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Adios Carmen de Mohamed Amin Benamraoui

Publié le 15/05/2015 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Présenté en avant-première au Festival du film francophone de Namur, en octobre 2014, nous avons découvert dans la grande salle de la Maison de la culture un long métrage de fiction, Adios Carmen. Il ne s’agit nullement du dernier opus du célèbre Calzadeño Almodovar, mais du premier film de Mohamed Amin Benamraoui, inconnu pour le grand public et auteur de quelques courts métrages produits en Belgique et au Maroc d’où il est originaire. Comme son film précédent, Sellam et Démétan, le cinéaste replonge donc dans sa région natale, le Rif, pour évoquer des souvenirs personnels plutôt douloureux.

Adios Carmen de Mohamed Amin Benamraoui

Amar, un pré-adolescent pataud et fragile, vient de perdre son père. Sa mère, remariée, doit accompagner son nouvel époux en Belgique et abandonner, de force, son enfant au bled qu’elle promet de rapidement venir chercher. Le film déroule les quelques mois de cette absence autour de plusieurs figures en forme d’ogres et de fées. Il y a cet oncle violent, alcoolique avec lequel Amar est obligé de cohabiter, il y a les gamins de la rue qui jouent de sa timidité et de sa mollesse, il y a le prédateur près à bondir sur les enfants sans défense mais il y a aussi, et, heureusement, Carmen. Et Carmen… comment dire ? Carmen porte des escarpins à talons, du parfum et des jupes droites. Carmen surtout sourit, parle espagnol et travaille comme caissière au cinéma du quartier. Une aubaine pour ce jeune garçon. Une aubaine aussi pour nous, spectateurs, l’occasion de se replonger dans une histoire passionnante et peu évoquée au cinéma, celle de la colonisation espagnole au Maroc, histoire ancienne qui est à un point critique en 1975 (date où se déroule le film) et qui continue, aujourd’hui encore, à produire des effets. Car dès 1912, le Protectorat franco-espagnol est instauré sur le Maroc. La zone Nord du Maroc passe sous le protectorat espagnol et les villes de Ceuta et Melilla deviennent, à cette occasion, les véritables enclaves de la pénétration coloniale. Les deux villes espagnoles vont bénéficier, en ce début du XXe siècle, d'un étonnant développement qui va durer jusqu'à l'Indépendance du Maroc, en 1956.
Adios Carmen de Mohamed Amin BenamraouiLes territoires seront restitués au Maroc de 1958 à 1975 sans Ceuta (qui est espagnole depuis 1580) et sans Melilla (espagnole depuis 1497). C’est tout ce contexte historique qui est ici évoqué par la présence de Carmen, farouche anti franquiste et son frère projectionniste (sympathisant) qui n’hésite pas à bousiller les bobines d’actualités pour rendre fous les Marocains qu’il déteste et qui le lui rendent bien. C’est aussi toute la vie cinéphilique d’une époque qui nous est contée grâce à ce petit cinéma de quartier où le jeune Amar va finalement passer tout son temps auprès de sa protectrice. Et l’on assiste, comme s’il l’on y était, à ces projections de films made in bollywood, où de gros durs (il n’y pas une seule femme dans les salles) viennent répandre leurs larmes sur des chansonnettes pour midinettes pas sorties de l’enfance. Larmes, tonnerre d’applaudissements, cris et explosion de joie accompagnent Shashi Kapoor, l’acteur hindi érigé en véritable héros national. La projection de Aa Gale lag Jaa, pur massala des années 70, avec pour moment-clé la chanson Janitou chantée par l’enfant handicapé du film et reprise par Amar est un moment irrésistible qui restera dans les mémoires.

Mohamed Amin Benamraoui puise donc au cœur de son enfance pour nous en restituer toute la douceur et la violence. Ce film en forme de conte initiatique est à la fois un hommage vibrant aux deux femmes de sa vie (sa mère et Carmen) et le récit touchant d’un enfant qui va, à son rythme, se choisir comme homme.  

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