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Archipels nitrate de Claudio Pazienza

Publié le 06/02/2009 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

Disparition apparition

Ecrire dans l'urgence, filmer dans l'urgence. L'urgence de faire la nique au temps, à la mort qui gagne, à ce qui est et n'est déjà plus. Sans doute, mais aussi dire, regarder pour faire naître, apparaître ce qui, jusqu'alors, n'était pas. Le cinéma a ceci de paradoxal, qu'il garde une trace de ce qui a été et dans le même geste, fait surgir ce qui n'était pas encore advenu.
Disparition, apparition, mort et naissance, étrange contradiction d'une création inconcevable où ce qui se clôt sur l'absence, s'ouvre dans le même temps à la présence. Effet de volet, effet mécanique de fermer et d'ouvrir, fragmentation du temps en d'infinis présents, enchâssement d'univers parallèles. Et ceci dans le même geste. Avec peut-être la retenue de deux émotions, différentes, étrangères l'une à l'autre et pourtant indissolublement liées. Et puis sauver, perpétuer ce geste et aussi ce qui s'incruste sur la pellicule en réveillant les cristaux d'argent d'une émulsion, ce qui fait trace en un objet appelé, lui aussi, film. Sauver l'objet pour que cette magie-là recommence et recommence encore.

Archipels nitrate

Le dernier film de Claudio Pazienza Archipels nitrate, est une invitation à rendre hommage à la Cinémathèque Royale de Belgique, aujourd'hui Cinematek. Et Claudio Pazienza le fait à sa manière si particulière. Son cinéma joue sans cesse des techniques du collage, de la juxtaposition, du puzzle. Il tisse des trames philosophiques à partir d'éléments divers, hétéroclites, ouvrant des voies hasardeuses qu'il semble suivre avec la curiosité d'un enfant émerveillé. Aventureuse, sa démarche nous entraîne de jeux savants en rencontres inattendues là où précisément manquent les pièces de son puzzle, où des béances d'ombres nous attendent avec leurs résolutions improbables. Et là parfois, Claudio Pazienza fait naître des lumières étranges et fulgurantes qui sont pour nous autant d'éblouissements. Avec Archipels nitrate, il mélange extraits de films et documents d'archives, images de sa vie quotidienne habitée d'étonnantes expérimentations et photos du travail de conservation et de restauration des films par la Cinémathèque. Matériaux composites qu'il organise suivant des pistes récurrentes : alchimie de la pellicule révélée, déplacement optique du monde vu de la fenêtre d'un train, mouvement de clôture où se dévoile une rencontre, mort et vie des images dans ce qu'elles ont d'animal, de brut, de premier. Autant de thèmes, autant de combinaisons aléatoires qui font sens dans cette invention d'une manière de dire, de voir qu'est le cinéma à la première personne qu'élabore et peaufine, film après film, Claudio Pazienza. 

Et ce qui nous attache à le suivre dans ses pérégrinations existentielles, ce qui s'éveille en nous de complicité pour ces dérives empiriques tient dans la façon dont il met en partage la singularité de son regard. Cinéma de la subjectivité même, écriture organique d'une quête personnelle, Archipels nitrate, au-delà de la richesse de son foisonnement, de son désordre voulu, de sa parole poético philosophique, réussit ce geste si périlleux de nous relier à cette aventure énorme et passionnante qu'est le cinéma devenu, par la singularité d'un film, lieu de questionnement et de bouleversement de nos vies et de notre présent.

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