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Battles de Isabelle Tollenaere

Publié le 01/11/2015 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Reliques de guerre(s)

 

Présenté au dernier festival de Rotterdam, le premier long métrage d'Isabelle Tollenaere s'impose par une maîtrise plastique rare. En quatre chapitres, la réalisatrice se met en quête de la guerre, des batailles. Ou de ce qu'il en reste. De leurs traces. 

 

 

Battles de Isabelle Tollenaere

À travers des paysages ruraux, elle nous emmène dans un voyage étonnant, parfaitement cohérent, où loin des guerres actuelles, se rejouent celles du passé, et particulièrement la Seconde Guerre mondiale. Et à travers elles, une forme de présent. Détruire un obus, jouer aux prisonniers de goulags, réaménager des bunkers en étables ou faire gonfler des tanks, permettent à la réalisatrice de penser la mémoire aujourd'hui. Sur une ligne esthétique très rigoureuse, mais aussi très généreuse, la cinéaste relie ses chapitres avec des leitmotivs peu nombreux, nuages, fumées, photos de guerre, mais toujours pertinents. De même que l'usage toujours diégétique des musiques et des sons.  Le premier chapitre est à ce titre remarquable. D'emblée, submergés par un son d'une grande force sur fond noir, nous découvrons les lames d'un tracteur labourant la terre. De la découverte d'un obus de guerre mondiale à sa destruction par une équipe de démineurs spécialisés, nous sommes les archéologues de ces guerres passées dont il ne reste que les traces, les fossiles rouillés mais toujours dangereux et dont il faut se débarrasser. Des guerres toujours présentes donc. Par des plans hypnotiques et magnifiquement cadrés, un travail sur le son complexe et un étonnant montage poétique, Isabelle Tollenaere s'intéresse à la trace concrète, la matière après un passage, une vie qui a couru. Ainsi, ce plan fixe dans un bois soudain envahi par la fumée est l'indice qui annonce l'explosion de l'obus à venir. Tout comme ce terrifiant plan d'orage la nuit, n'est-il pas une réminiscence forcément bouleversante de ces nuits où les bombes pleuvaient par milliers ? Ainsi enfin, où après la procédure très réglementée et lente pour faire exploser un obus, il n'en reste que quelques grains de poussières dans un sac plastique, linceul cheap pour un instrument de mort.

Le second chapitre, aux confins de l'absurde, nous entraîne dans un camp d'entraînement ou d'emprisonnement, où des touristes jouent à un « Escape Game », encadrés par un couple en habits de l'armée rouge mais qui leur parlent en anglais. Il s'agit toujours de retrouver un passé guerrier, une époque ou du moins une mémoire qui doucement se délite à l'image fascinante de ce bunker plongé dans la mer et qui est voué à disparaître, érodé par les flots et les vents violents. Bunkers que l'on retrouve réarrangés en étables pour bestiaux par des villageois fascinants dans le chapitre suivant. Enfin, la dernière partie fait le lien avec la guerre aujourd'hui, mais toujours sous forme de signes, à savoir le défilé de l'Armée russe à l'occasion des commémorations du Victory Day. Ce chapitre, à la fois grave et hilarant, met face à face la même absurdité de ces « batailles » avec un plan final, totalement stupéfiant et magique.

On reprochera peut-être à la réalisatrice et à son film son manque d'explications et d'informations sur où sommes-nous ? Et avec qui ? Même si l'on sent que l'on va toujours plus à l'Est. Mais elle n'est ni journaliste, ni historienne. Ces détails comptent peu quand son regard d'artiste nous importe tant. Après la radicalité de Gust Vandeberghe, ce Battles signe une nouvelle découverte à suivre du cinéma belge et flamand.  

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