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Belle de Nuit : Grisélidis Réal, autoportraits de Marie-Eve de Grave

Publié le 09/11/2016 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

La vie comme une œuvre

Écrivaine, poète, taularde, fugueuse, prostituée, mère de famille, amante, militante, anarchiste, féministe, Grisélidis Réal fut tout cela à la fois et ne se laissa jamais enfermer dans aucune définition. Son personnage, elle l'a construit chatoyant, provocant, habité de désir, pourfendeur de limites. Marie-Eve de Grave s'empare de tout cela à bras le corps et nous entraîne dans l'univers de l'écrivaine hors de toutes normes. Dans sa voix, ses écrits, ses hallucinations, elle tisse sa narration et se glisse dans ses pas, pour plonger dans cet univers poétique et illuminé. Allant jusqu'à assumer certains risques formels. En compétition au Festival Vision du Réel à Nyon, Belle de Nuit : Grisélidis Réal, autoportraits sera en avant-première à BOZAR le samedi 30 avril. Un hommage ambitieux et sincère, parfois maladroit.

Belle de Nuit : Grisélidis Réal, autoportraits Un film de  Marie-Eve de Grave« La fiction et le réel sont indissociables, ils ne forment qu'un... Pour moi, le réel est une fiction et la fiction est réelle. ». Marie-Eve de Grave ouvre son film sur ces mots de Grisélidis. C'est là tout un programme d'écrivain, un véritable manifeste de cinéaste. Il n'y a donc pas de vérité à chercher autour de Grisélidis, de ses écrits, de son personnage. Il n'y en a pas non plus dans le film qui assume d'entrée de jeu sa part de réinvention, qui s'autorise les mises en scène à la manière dont Grisélidis déclame sa parole. Parce qu'elle la joue et théâtralise son corps, ses mots, exaltée jusqu'à l'hallucination. Peu à peu, au fil de ce portrait, Grisélidis Réal apparaît comme une femme absolument libre, animée de désir, que rien n'arrête ni ne fait taire. Et qui aura fait de sa vie la matière de son œuvre. Ou l'inverse.

De ses amants noirs jusqu'à la prostitution, la prison, l'écriture comme espace de salut et de réinvention de soi, Marie-Eve de Grave multiplie les procédés pour raconter toutes les facettes de cette femme comme elle juxtapose à l'écran les photographies de Grisélidis. Musique, reconstitution d'ambiance, scénettes qui viennent illustrer les écrits, archives visuelles et sonores, dessins, manuscrits, le film mélange les matériaux qui foisonnent. Ce qui le tient, c'est la ligne narrative qui se calque à la chronologie de la vie de l'écrivaine. Ce qui le scande, ce sont les interviews des trois hommes de lettres qui ont compté dans sa vie, qui l'ont fait advenir écrivain, à commencer par son dernier éditeur, Yves Pagès, qui dira d'elle qu'elle est inclassable. Et ce qui le brode, l'enrobe et l'ouvre, c'est la voix off qui, si elle n'est pas toujours celle de Grisélidis, vient comme la doubler puisqu'elle n'est construite qu'à partir des mots même de l'écrivaine. On le comprendra plus tard, on la reconnaît plus loin, c'est la voix de la réalisatrice elle-même. Se devine là comme un dialogue entre femmes, des allers et retours que le film finira par mettre en scène avec délicatesse lorsque Marie-Eve de Grave filme Grisélidis vieillissante, malade, mais toujours belle et grave, lire son texte qu'elle appelle « Mort d'une putain », sur sa mort tout proche.Belle de Nuit : Grisélidis Réal, autoportraits Un film de  Marie-Eve de Grave

Sans jamais basculer dans le portrait classique et linéaire, Marie-Eve de Grave réussit à donner à entendre la voix à Grisélidis, celle de ses écrits, tout en racontant cette trajectoire exceptionnelle. Fidèle à la poésie fragmentée et illuminée de cette femme absolument libre, elle tente de reconstruire un portrait éclaté, en étoile, insaisissable. Sans cacher sa propre fascination, ni les limites de cette artiste finalement inclassable.

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