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Black de Billal Fallah et Adil El Arbi

Publié le 15/11/2015 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Back to black

Adapté des romans Back et Black de Dirk Brack, Black, aura été un projet porté par Hans Herbots, qui a le don de transformer tout ce qu'il touche en succès du box office. Mais Billal Fallah et Adil El Arbi le veulent, ce projet, et ils insistent. Et voilà le grand Herbots qui s'incline – sans disparaître tout à fait ; il cosigne le scénario. De culot, donc, mais aussi de verve et d'énergie, le duo n'en manque pas. Black revient de Toronto porté par un joli bouche à oreille, une presse élogieuse et le prix « Discovery ». Il sera bientôt au Festival de Gand et le voilà au FIFF à Namur. Plus maîtrisé, mais tout aussi fougueux qu'Image, leur premier long-métrage, Black est une tragédie romanesque en diable, un West Side Story contemporain et stylisé, tantôt nerveux, tantôt langoureux, qui a la niaque, en veut, au risque parfois d'aller trop vite. Mais qu'importe les raccourcis, pourvu qu'on ait l'ivresse !

 

 Black de Billal Fallah et Adil El ArbiTout commence par une sorte de jeu qui tourne mal. Deux gamins plus tout jeunes braquent un sac. Les benêts font flamber les cartes bleues. Les flics ne tardent pas à rappliquer. Mais qu'importe, c'est un jeu, et il se poursuit jusque dans le commissariat de Molenbeek où chacun, flic ou voyou, occupe sa place, joue son rôle, récite son texte. Le grand frère est envoyé en taule. Cela semble faire partie des risques, personne n'est vraiment mauvais perdant. Quant au petit frère, Marwan à la gueule d'ange, il s’assoit sur un banc à côté de Mavéla, une superbe jeune fille à la langue bien pendue, qui se retrouve au commissariat parce qu'une partie, engagée du côté de Matonge cette fois, a elle aussi mal tournée. Commence entre les jeunes gens les oeillades, les piques et les sourires, les jolis jeux de la séduction. Et l'amour s'en mêle. Sauf que les deux jeunes gens appartiennent à deux bandes rivales. Sauf que tout ça n'est pas un jeu innocent, qu'on joue ici à quitte ou double. Lentement mais sûrement, Marwan mais surtout Mavéla sont pris dans des spirales de violences qui les emportent, l'un comme l'autre. Peu à peu, l'étau se resserre, les masques tombent, les pièges se referment. Chacun d'eux, en voulant jouer sa partition dans sa bande, a trop misé. Et leur destin est scellé.

 

 Black de Billal Fallah et Adil El ArbiBillal Fallah et Adil El Arbi jouent eux aussi, au cinéma, avec maestria. Black s'empare de son sujet dès les premiers minutes à coup de montage cut, séquences ultra découpées, montage alterné, ambiance urbaine contrastée à fond les ballons sur de la musique énergique et enivrante. C'est parti, ça décape, c'est tout le Nouvel Hollywood et ses suites qui est convoqué. Violent, parfois ultra stylisé, langoureusement noyé de musique, parfois construit autour de plans-séquences époustouflants, multipliant les ambiances nocturnes, Black a du souffle et porte le romanesque de son intrigue jusqu'à ses plus extrêmes conséquences. Avec verve, avec énergie, il construit sa tragédie dans un montage alterné qui va et vient entre la vie des deux jeunes gens, leurs mondes, leurs territoires, leurs rites. Il se fraie un chemin dans Bruxelles qu'il découpe selon les axes des rencontres et des affrontements, entre Molenbeek et Matonge, les rues parcourues en tous sens, quelques territoires neutres comme le métro, une église en chantier où se mettre à l'abri du monde. Le film déploie dans la ville l'itinéraire de ses violences, les convulsions d'une société parallèle et organisée selon ses codes et ses lois et qui se joue bien des autres lois. Mais si l’univers de Marwan est presque entièrement dehors, dans la rue, dans des déambulations et des réunions en plein air, dans des teintes plus crues et plus réalistes, celui de Mavéla se construit à partir du Q.J. d'X, le chef de la bande, d'où le groupe se déploie. Là, avec ses ralentis, ses contrastes, ses ambiances crépusculaires, le cinéma se stylise jusqu'au bout, se fait lyrique, baroque, presque fasciné par son objet. Si Black aligne vite fait un certain nombre d'archétypes cinématographiques, en fait un peu des tonnes en terme de cinoche, s'éparpille parfois et se risque à jouer avec les clichés, c'est qu'une certaine innocence l'anime lui aussi : une foi totale dans le cinéma.

 

 Black de Billal Fallah et Adil El ArbiFinalement, dans cet univers régi par la loi de gamins qui jouent aux hommes, jusque dans leur plus extrêmes violences, où les femmes ne sont que des objets sexuels qu'on s'échange, dont on se gratifie ou que l'on s'attribue, le film glisse peu à peu vers Mavéla (superbe Martha Canga Antonio) dont les doutes, les peurs, les choix viennent guider la narration. Et la jeune fille, à la fois sauvage et fragile, devient le coeur battant de ce film masculin. Au-delà de l'histoire de deux bandes rivales, plus qu'un film urbain dans son petit monde maffieux, plus qu'un Roméo et Juliette moderne, Black, finalement, est le portrait vibrant d'une jeune fille qui tente de trouver dans le monde violent qui l'écrase, l'espace de son intimité, de sa liberté. Mais Black est un film noir.  

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