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Ca rime et ça rame comme tartine et botterham d'Isabelle Dierckx

Publié le 15/12/2011 par Edith Mahieux / Catégorie: Critique

Isabelle Dierckx reconstruit avec habileté un documentaire entremêlé d’animation pour nous révéler que toute langue n’est rien d’autre que poésie.

ça rime et ça rame comme tartine et botterham Il était une fois deux peuples qui cohabitaient : La Flandre et la Wallonie. Chaque Belge a toujours vécu tant bien que mal au milieu de ces deux cultures, et de ces deux langues : le français et le flamand. Certains considèrent ce bilinguisme comme une richesse inépuisable, d’autres, comme l’arrière-grand père d’Isabelle, Octave Dierckx, choisissent d’arrêter de parler la langue de l’Autre, voire leur propre langue – cet ancien ministre né à Anvers, était néerlandophone d’origine – pour ne s’en tenir qu’à celle dans laquelle ils se reconnaissent le plus.

Francophone sans concession depuis l’arrivée d’Octave à Bruxelles, la famille d’Isabelle a enfoui, au plus profond de l’inconscient familial, sa langue d’origine. Se rendant compte un jour qu’elle a toujours vécu en niant involontairement une grande partie de son identité, la réalisatrice décide d’apprendre le néerlandais et de partir à la découverte de cette moitié d’elle-même qu’elle a trop longtemps mise de côté – après calcul, elle a pourtant 50% de sang flamand ! La voilà partie à bord de son Super Truc Zut, une machine à remonter le temps et survoler les querelles linguistiques, pour découvrir sa Flandre intime.

Son investigation est d’autant plus touchante qu’elle est personnelle. La réalisatrice fait le choix intelligent de se mettre en scène. Elle ne peut pas rester en dehors d’un problème qui la concerne directement. Comédienne avant d’être cinéaste, (Isabelle Dierckx sort du Conservatoire Royal de Bruxelles), elle réussit à installer la distance comique nécessaire au traitement d’un thème national si épineux. Sans nous imposer sa présence, elle nous rend les choses plus légères en nous les rendant plus proches.

Construit tel un roman d’apprentissage ludique, le film de Dierckx, se présente comme le cours de langue idéal. Afin d’éviter l’écueil du manifeste catégorique en faveur d’un bilinguisme forcé, la réalisatrice dévoile ses faiblesses. Elle nous confesse au départ qu’elle n’a jamais été douée en néerlandais. Mais elle décide de vaincre ses peurs par tous les moyens (du cours de langue en petit comité aux méthodes beaucoup moins traditionnelles !) et brave, avec courage, la difficulté d’entrer dans un nouveau système linguistique. Qui ne se reconnaît pas dans ses bafouillages et sa maladresse à se faire comprendre ?

C’est aussi une formidable leçon d’ouverture à l’autre. Apprendre une langue, c’est avant tout, tenter de comprendre le quotidien de ceux qui la parle. Pour ce faire, elle se plonge aux côtés de ses amis ou cousins flamands pour connaître leur humour, goûter à leurs plats, s’intéresser à leurs dialectes. Nous découvrons avec elle, des tranches de vie sur fond de mélodie de carillon et des sonorités chantantes de la langue flamande.

Dans la veine des documentaristes de l’autocinébiographie (Van der Keuken, Varda ou encore Boris Lehman), Dierckx signe un film à la première personne. Mais la donnée autobiographique s’efface devant le geste créateur, et elle construit avec un matériel hybride composé avec soin (saluons au passage son assistante Marie Verwacht pour les décors), une démarche profondément humaniste. Son problème identitaire concerne en fait tous les Belges d’aujourd’hui, et elle nous incite, avec courage, à rompre avec nos peurs. Oui, il est difficile d’apprendre une langue et nombreux sont les obstacles sur sa route, mais puisque la diversité est à la base des richesses de la Belgique, pourquoi ne pas l’exploiter plutôt que la renier ?

La frontière linguistique est la cicatrice visible et jamais refermée du pays.  Ce sujet reste sensible d’un côté comme de l’autre car on dresse les baïonnettes rien qu’en l’effleurant.  Mais, comme le fait remarquer l’un de ses compatriotes sur sa route, cette séparation découla d’une erreur historique, non individuelle, mais historique. Avec son film, Isabelle Dierckx tente de refermer les blessures, de comprendre et de guérir.       

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