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De Lola à Laila de Milena Bochet

Publié le 01/12/2015 par Serge Meurant / Catégorie: Critique

Le film de Milena Bochet apparaît comme le moment nécessaire pour la cinéaste de nous livrer, de façon intime et tout à la fois ouverte sur le monde, le dialogue qu’elle entretient avec sa mère. 

 

De Lola à LailaLes récits nourrissent ses images et sa réflexion sur l’histoire de plusieurs générations de femmes espagnoles dont les prénoms tissent son récit. C’est une célébration de la figure maternelle, vivante, chaleureuse et forte en même temps que le constat des épreuves traversées par les femmes dans une société soumise à la dictature franquiste et durement divisée par la guerre civile.

La mémoire s’irrigue des images de la mer, de son rythme qui est celui de la vie, des naissances. S’établit sans cesse l’analogie entre le matériau du film et le «mystère de ce qui naît». Je sens le film couler entre mes doigts, dit Milena Bochet. « Aujourd’hui, des années après mes premiers essais, je continue à filmer en super 8, alors que la pellicule disparaît. Je veux résister, défendre l’image granuleuse, vivante, charnue de la pellicule. Regarder et dire le monde. Filmer et vibrer.» Ce caractère expérimental du film répond à une réelle nécessité et ne concède rien à une esthétique extérieure à la sensibilité de la cinéaste.

L’alternance des voix de Milena et de sa mère poursuit un même mouvement vers une libération. La mémoire s’allège d’être dite à haute voix et d’être ainsi partagée. Elle possède parfois l’accent du secret et traduit l’histoire commune aux femmes espagnoles ayant vécu leur enfance pendant les années d’après-guerre.

La mère se souvient de la maison vidée de ses hommes qui combattaient au front dans les troupes franquistes et qui seuls auraient droit aux sépultures et aux honneurs. Elle se souvient de cette poupée qu’elle convoita longtemps et qui symbolisait la fillette convenable, à l’image de celle imposée par la dictature. L’école religieuse qu’elle fréquenta était, dit-elle, un concentré d’hommes et de femmes qui avaient renoncé à leur vie sexuelle et qui « souvent, avec peu d’éducation s’étaient octroyé le droit d’éduquer, de former, de déformer, l’esprit des enfants. »

Le récit des accouchements et des naissances donne à comprendre l’évolution des mentalités et des esprits. « Ta grand-mère, dit la mère, ne m’a jamais raconté son accouchement. C’était tabou de parler de cela. » Par contre, « je me souviens que quand je t’attendais, je lisais A la recherche du temps perdu de Proust, et quand j’ai terminé la dernière page, j’ai perdu les eaux. » Et la liberté que l’on perçoit bien, dans la confrontation de ces souvenirs, est l’héritage maternel, le don de la mère à sa fille. Le sourire de la mère de Milena qui illumine la fin du film demeure vibrant en nous comme le souhaitait la cinéaste dans son éloge du super 8.

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