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Guru. Une famille hijra

Publié le 07/03/2016 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Né quelque part, au milieu

On raconte qu'un Roi se maria à la Déesse Bahushara Mata. Mais, chaque soir, ce roi partait avec son cheval dans la forêt. Un jour, la Déesse décida de le suivre et découvrit son mari vêtu comme une femme. Le Roi révéla alors son secret à son épouse et, à partir de cet instant, il ne put continuer à cacher ses doutes quant à sa sexualité. Il décida de s'émasculer devant sa femme. Un temple lui fut dédié et la légende des hijras est née... Dans la culture indienne, Hijra désigne un individu qui n'est né ni homme ni femme. Biologiquement, les hijras sont nés hommes mais ils ont été émasculés pendant l'enfance ou l'adolescence. Les hijras, voilà le sujet du documentaire de Laurie Colson et Axelle Le Dauphin. Les deux réalisatrices ont suivi une communauté de hijras chapeautée par un guru. Le spectateur découvre les rapports de force qui existent au sein de cette communauté, la manière de vivre de ces êtres entre-deux.

 

Guru de Laurie Colson et Axelle Le DauphinLe film commence par le gros plan d'un homme, ou d'une femme, on ne sait pas vraiment. En voix off, ce personnage raconte qu'il n'a pas peur, lui à qui on a coupé un membre. Mais, de quoi s'agit-il ? Véritable matrone, cet être donne le rythme et gère ses troupes dans sa petite maison colorée. L'une des filles s'affaire en cuisine, l'autre doit se réveiller. Le guru, Lakshmi Amma, véritable chef d'orchestre, veille au grain. Les hijras forment des communautés très hiérarchisées et structurées : les chelas, véritables disciples, suivent leur guru qui endosse à la fois les rôles de mère, de sœur, d'amie, de modèle. Véritable pilier de la communauté, le guru gère le quotidien de sa tribu.

Mais de quoi vivent les hijras ? De la prostitution, de la mendicité. Elles vont et viennent dans des wagons bondés et arrachent quelques roupies aux passagers. Leur récolte est plus probante que dans nos métros... Pourquoi ? Car les hijras sont respectées et craintes. Les hijras ont non seulement un pouvoir de fertilité pour les Hindous, mais elles peuvent également attirer le mauvais œil.

Laurie Colson et Axelle Le Dauphin parviennent à s'immiscer au plus près de cette communauté, comme si nous, spectateurs, en faisions également partie. Et, c'est assez perturbant d'être plongé au milieu de ces saris colorés. La relation que ces filles entretiennent avec leur guru est, pour le spectateur, difficilement identifiable. Une bande de gosses, sans réels repères, rejetés par leur famille, qui obéissent au doigt et à l'œil à leur mère-guru.
Un documentaire, produit par Tarantula, qui fait sens aujourd'hui. Autrefois respectées, les hijras sont, de nos jours, méprisées par une partie de la population pour des raisons homophobes. Certaines n'hésitant pas à se présenter comme des femmes pour éviter l'équivoque. Les deux réalisatrices parviennent à rendre compte de l'ambiguïté intrinsèque de Lakshmi Amma, Silky Preema, Priyanka, Trisha, Kuyili, Durga, Mahima, Vasundhara et Yamuna, ces êtres marginaux, à la fois forts et fragiles, qui évoluent au gré des rythmes lancinants de Chloé.

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