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L'Année prochaine de Vania Leturcq

Publié le 15/05/2015 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

A fleur de peau

Les films sont tournés puis tournent, de festivals en festivals… Après avoir obtenu le Zénith d’argent au Festival des films du monde de Montréal, la Namuroise Vania Leturcq revient chez elle pour présenter son tout premier long métrage au FIFF : L’année prochaine. Un teen-movie sensuel qui met en scène deux jeunes femmes à un tournant de leur vie. 

L'Année prochaine de Vania LeturcqElles sont belles, elles vont avoir dix huit-ans et leur bac, elles sont amies depuis toujours sans doute…Elles sont à l'âge des sentiments fusionnels que l’on ne traversera plus avec autant de puissance, un attachement fort entre amour et amitié où il est inenvisageable de s’imaginer respirer sans l’air de l'autre.

Clotilde (Constance Rousseau), la jolie blonde butée et sur la réserve et Aude (Jenna Thiam), la grande rousse délicieusement délurée vivent dans une petite ville de province bien trop étroite pour accueillir leurs rêves. Une chose est sûre, elles n’auront pas la vie de leurs parents... pas question d'être aussi "connes" pour finir "femmes au foyer" comme la mère d'Aude (magnifique et désespérée Anne Coesens) et puis quoi, "chacun sa merde".

Alors, plus loin, dans leur imaginaire fertile de femme en devenir, scintille la capitale française et les grandes écoles, les mots doux de "Sorbonne" et "Beaux-arts" qui font planer. Leur "chance", c'est d'avoir à disposition un appartement à Paris que Clotilde a hérité de sa mère. A l’initiative de Clotilde qui a tout pris en main sans trop se soucier de ce que pense son amie, un rêve de vie et une vie de rêve peuvent commencer. Clotilde s'inscrit en 1ère année de philo, Aude, elle, en prépa pour les Beaux-Arts... et elles vont faire de grandes choses, c'est sûr. Mais c'est sans compter sur la réalité.


A mesure que le film progresse et s’assombrit, glissant des rêves et des espoirs au réel et son lot de désillusions, il ne reste plus qu’une  impression de faillite intime, un goût de cendres ou plutôt de gueule de bois. Sur les rythmes sensuels d’une bande originale signée Manuel Rolland, Vania Leturcq réinterprète les passages obligés des films d’ados, dont elle assemble les figures de style. Tout ce que l’on attend est bien là avec un vrai talent de mise en scène et des comédiennes qui décoiffent, les scènes de boîtes de nuits comme défouloirs, les longs plans sur les toits de Paris, les rêves brisés, en un mot, tout est là mais à la manière d’un livre d’images élégant et voluptueux. Car ce que Vania Leturcq filme le mieux, ce sont ces deux jeunes filles et tout ce qui les lie dans le dire, le geste et les silences, ce sont leurs peaux qui palpitent de vie, les regards qui s’échangent et s’évitent et comment, dans ce cas, tout ce qui est extérieur à leur lien pourrait-il ne pas sembler frêle ? Comment capter, sans faiblir, cette belle intensité tout au long d’un métrage ? Fragile donc comme ses héroïnes, le film met en place malgré tout une réelle profondeur. Sur ce vieux thème, « qu’est-ce que la vie prend et qu’est ce qu’elle nous apprend », la cinéaste, in fine, a le mérite de ne pas clairement révéler si les deux héroïnes ont appris quoi que ce soit. Les chemins se sont séparés, c’est sûr sans que cela ne soit ni bien, ni mal pour l’une ou l’autre, seulement différent. Conte initiatique sans véritable résolution, le film a la délicatesse de ne pas imposer de morale mais de tendre un miroir éclaté d’une réalité dans laquelle les personnages apparaissent comme les pions d'un grand échiquier, cherchant leur place dans un monde sans concession. Car tout l’enjeu du film et toute sa subtilité tiennent dans la recherche de cette place à trouver : toujours trop ou pas assez, jamais là où il faudrait, les deux jeunes filles sont sans cesse renvoyées de gauche à droite. A l’image de Peau d’âne qu’elles regardent visiblement en boucle et dont elles connaissent les chansons par cœur, de quelle peau s’agit-il de se revêtir pour ne pas perdre son âme ? Celle d’une provinciale amoureuse ou celle d’une artiste accomplie ? Celle d’une philosophe arriviste ou d’une amoureuse aveuglée ? La peau qu’on habite n’est pas toujours une question de choix mais de circonstances…

l'Année prochaine de Vania LeturcqEt les hommes dans tout ça ? Les hommes ont aussi une partition complexe à jouer. D’un côté, Kévin Azaïs à la fois rêche et lunaire, à la frontière entre le doux baiser et le coup de poing dans la gueule (on l’a vu récemment dans le film prodigieux de Thomas Cailley, Les Combattants), incarne le gamin de province qui a déjà choisi sa place. De l’autre, le très charismatique Julien Boisselier endosse la peau du philosophe, un pygmalion de 40 balais prêt à façonner sa jolie apprentie penseuse… et Clotilde le sait pourtant : « On n’épouse jamais ses parents », comme le répète la fée des lilas du conte tourné par Demy.

Un premier long métrage en demi-teinte, à fleur de peau, qui manque peut-être encore un peu de folie rageuse, mais qui impose un beau regard de femme et une envie de liberté, mieux, ce qui ressemble, déjà, à une nouvelle famille de cinéma.

 

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