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Le Coeur régulier de Vanja D'Alcantara

Publié le 03/05/2016 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Alice n'est plus ici

Dès le premier plan où Isabelle Carré nous apparaît de dos, la réalisatrice accompagne le personnage principal qui semble n'être plus vraiment de ce monde. Alice mène une vie confortable dans une maison luxueuse et moderne. Elle est mariée à ce qui paraît être un homme d'affaires plutôt fade et est mère de deux adolescents quasi invisibles. Quand son frère Nathan débarque du Japon à l'improviste et meurt d'un accident peu de temps après, cette vie déjà éteinte sera violemment réanimée.

Le coeur régulierPour son deuxième long-métrage après le remarqué Beyond the Steppes (2010), la cinéaste belge Vanja D'Alcantara opte pour la sobriété, la retenue et la mise en scène des gestes plutôt que celle des mots. La première partie qui décrit le quotidien monotone d'Alice est très précise, déployant un univers dépressif où les seules expressions d'Isabelle Carré suffisent à faire sentir l'horreur de cette vie, cachée par les masques des conventions et par une mélancolie inexplicable. Face au talent d'Isabelle Carré, Fabrizio Rongione est stupéfiant en ombre de mari.
L'arrivée de Nathan est l'occasion d'une première rupture car il représente une vie libre et heureuse. Marqué par un passé douloureux, suggéré par un magnifique plan sur le bras du garçon, Nathan en est revenu et il oppose à sa sœur passive une danse, une gestuelle vitale, faite de désir et de joie. Sa mort brusque est la seconde rupture qui force Alice à bouger. En décidant de partir au Japon, pays inconnu, elle effectue de fait une traversée du miroir qui lui permettra peut-être de se retrouver elle-même, changée.

Le coeur régulierAu Japon, elle part à la recherche d'un homme dont son frère lui a parlé et qui l'a beaucoup aidé. Cet homme, Daisuke (fabuleux Jun Kunimura, comédien vu chez Kore-Eda, Miike ou Tarantino), est le gardien d'une falaise très connue dans le pays car des japonais désespérés viennent pour se jeter dans la mer. Plus risquée, cette seconde partie est pourtant également réussie, la cinéaste évitant les écueils de l'exotisme et du « zen » japonais; même le cliché de l'écolière hystérique est joyeusement renversé au profit d'une scène de bain tout en délicatesse. Bien au contraire, elle poursuit avec bonheur sa mise en scène des gestes simples et quotidiens et des rencontres qu'Alice fait durant son séjour. Il ne s'agit plus ici de rupture violente mais de réajustement, de revalidation du cœur, par petites touches. Les discussions et les silences avec Daisuke sont l'occasion « d'écouter sans rien attendre en retour », les paysages, évidemment émouvants, ne sont cependant jamais filmés pour eux-mêmes mais toujours en relation avec les personnages et ce qu'ils ressentent. Cette révolution intérieure se fera finalement en douceur tout comme la photographie sera marquée par une évolution lumineuse, de tons grisâtres du début à la clarté finale apaisante. Et comme le chantent si bruyamment The Posterz au début du film, « Paradise is where you find me ».

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