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Les Filles en orange de Yaël André

Publié le 01/11/2016 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

Un hédonisme solaire et féminin

Étonnante aventure que celle de ces Filles en orange, dernier film de Yaël André et sa première fiction. Dès le départ, un vent de douce folie porte son projet, gonflant ses voiles d'imaginaire rebelle, l'emportant en des mers inconnues où les aurores ont cette beauté indomptée d'une première fois.

Les Filles en orange de Yaël André

Exploratrice sans boussole de cette liberté du cinéma, Yaël André veut filmer en toute indépendance. Pour se faire, elle invente un mode de production original, le film par souscription et se dote de plus d'une centaine de producteurs qui lui assure ainsi une base financière. Refusant la pratique sécurisante des notes d'intention et autres garde fous, elle décide de tourner au gré de sa fantaisie, sans scénario, sans marche à suivre, choisissant un lieu au parfum d¹utopie, les toits d'un vieux quartier de Bruxelles, où elle imagine la vie d'une communauté de filles dont elle s'attache à peindre la joyeuse insouciance. N'ayant guère de goût pour les obligations du travail et les contraintes du professionnalisme, elle s'entoure de ses proches et réalise son film avec ses amis devant et derrière la caméra. Ils sont suivant leurs inclinations et les aléas d'un tournage tout azimut, scénariste, opérateur, décorateur, costumier, comédien, conseiller et Yaël André en parfaite maîtresse d'oeuvre nourrit son film de l'inventivité et des trouvailles de chacun. Ignorant les échéances d'un calendrier voué à la rentabilité, le tournage des Filles en orange vit de sa propre durée.

Étranger à la marche rectiligne du temps, il se déploie sur de nombreux mois, habité du rythme circulaire des saisons et c'est tout naturellement qu'il se termine comme se projette au cinéma Nova un bout à bout des rushes sonorisés live par un DJ au mieux de sa forme. Et c'est une première surprise et de taille. Un univers cinématographique se révèle, un monde loufoque et chaleureux voit le jour, fait de poésie et d'irrévérence, d'invention et de joie de vivre. Burlesquement drôles, bizarrement touchant et singuliers, ces rushes laissent pressentir un film pour le moins passionnant. Et commence le montage. Là aussi Yaël André rompt avec la tradition du monteur deus ex machina. Elle commence seule à organiser sa matière puis la confie à des amis pour qu'ils la montent suivant les lignes narratives qu'ils y devinent, les fictions qu'ils y trouvent. Enfin bénéficiant d¹une aide de la Culture, elle rassemble ces différentes moutures, peaufine l'histoire de ces filles en orange et nous livre un film aussi personnel que réussi. Son histoire se résume facilement. Des filles habillées en orange vivent sans soucis du seul bonheur d'être ensemble. Surviennent des garçons habillés de bleu et des histoires d'amour se tissent comme des mots à même la peau s'échangent. Puis un jour les garçons s'en vont. Et les filles retrouvent leur vie de tous les jours. Et des bébés voient le jour. Et la vie continue. Rien de très nouveau dans ce type de canevas si ce n'est cette liberté des filles, ce plaisir de vivre qu'elles se donnent comme s'il allait de soi, cette façon solaire de nous proposer un hédonisme féminin dont les hommes ne sont qu'une composante parmi d'autres. Subversion joyeuse, détournement des codes qui régissent les rapports Masculin féminin, l'originalité des Filles en orange dépasse pourtant cette relecture libertaire de la condition féminine.

 

Les Filles en orange de Yaël André

Elle est avant tout dans cette façon de considérer que dans la vie tout est matière à jouer et s'inventer. Alors la ville se découvre sous les attraits d'une immense plaine de jeu et les activités les plus banales deviennent sous la baguette magique de Yaël André autant d'expériences ludiques où les hommes et les femmes n'écoutent que leur fantaisie et les plaisirs qu'elle procure. Impossible de dire les surprises, les coups de coeur dont ce film fourmille. Des audaces d'écriture qui allient la pêche à la ligne au fil à la patte aux images impossibles qui oscillent entre le rêve éveillé et le somnambulisme enchanté en passant par le tonique pop d'une chorégraphie psychédélique, chaque séquence vibre et résonne d'un merveilleux qui parcourt tout le film. Et l'une de ses réussites parmi bien d'autres tient dans le fait que ces filles en orange existent, chacune à sa manière, chacune avec son charme et sa vérité et qu'ensemble, elles nous touchent et nous sont proches. De là qu'on ne demanderait qu'à les connaître, à les rencontrer dans nos vies qui sont quelques fois si ternes, il n'y a qu'un pas. Et si on pense, investi d'un soucis de filiation, aux films de Demy ou de Tati, il paraît évident qu'aujourd'hui il nous faut rêver et vivre aussi avec Les Filles en orange de Yaël André.

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