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Métamorphose d'une gare de Thierry Michel

Publié le 12/01/2010 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Qu'en affaire à Lidge !!!

"Une gare", aurait dit ma grand-mère avec son bon sens populaire, "c'est un endroit où les trains s'arrêtent et où les voyageurs montent et descendent, point à la ligne". "Une gare, c'est bien plus que cela", répondent les visionnaires. "C'est la vitrine d'une ville et d'une région, la première chose que les visiteurs voient en arrivant, et la dernière qu'ils emportent en partant. C'est un monument qui doit être à la mesure de ce rôle".
À Liège, visiblement, les visionnaires ont gagné. La nouvelle gare des Guillemins est une cathédrale moderne, faite de béton, de verre, d'acier et d'air, entièrement dédiée à l'ambition de la ville de revendiquer son statut de métropole en marche vers le futur. Et après dix ans de chantier, la polémique fait toujours rage entre les 'enthousiastes', dans l'ambition d'un grand projet dont les défis technologiques sont à la mesure du savoir-faire liégeois, et les 'réalistes' qui accusent ces schieven architek (en brusseleer dans le texte) d'avoir déversé des tombereaux d'argent public dans une construction mégalomane qui, finalement, ne tient aucun compte des contraintes pratiques, d'un entretien difficile et dispendieux, et mal adaptée tant à sa fonction qu'aux rigueurs du climat belge.

Métamorphose d'une gare de Thierry Michel

Au-delà de cette polémique, Thierry Michel s'intéresse au rêve et à sa réalisation. Pendant les neuf années qu'a duré ce gigantesque chantier, il a promené sa caméra partout, s'intéressant tant aux problèmes concrets rencontrés par les hommes d'œuvre (la confection du béton blanc, si particulier, utilisé pour les structures), qu'aux défis technologiques affrontés par les ingénieurs (le "poussage" des arches de la grande verrière  qui a été une première mondiale et qui duré six mois au cours desquels on a poussé ces arches millimètre par millimètre pour les mettre en place. - T.Michel dixit, aux journalistes de RTC Télé Liège).

Il est le témoin des confrontations, des doutes, des retards, mais aussi des moments de ferveur. Il suit l'architecte Santiago Calatrava lorsqu'il inspecte le chantier et s'exalte sur ses réalisations.  Il est aux côtés de Vincent Bourlard, le médiatique patron d'EuroLiège TGV, la société créée par le groupe SNCB pour réaliser la gare. Il évoque aussi les bouleversements subis par le quartier et ses habitants, la destruction du tissu urbain vieilli, et le projet de perspective sur la Meuse, qui doit ouvrir l'espace devant la gare jusqu'au fleuve en 'rénovant' davantage encore l'environnement de cette zone.

Le résultat est un film de 80 minutes (une version "courte" de 52 minutes est prévue pour la TV) qui sera projeté en avant-première à Liège (Sauvenière, le 19 janvier, en présence du réalisateur) et à Bruxelles (Vendôme, le 25 janvier, avec débat) avant de faire l'objet d'une diffusion TV (sur Arte  Belgique le 3 février à 22h20' au cours d'une soirée débat animée par Hadja Labib, et rediffusion sur La deux le 7 février à 22h45). Le DVD lui-même devrait être disponible, dès le mois de février.

Le réalisateur de Mobutu Roi du Zaïre et de Katanga Business, qui aime les grandes épopées, ne cache pas son engouement pour l'aventure humaine de ce projet un peu fou. Il ne pouvait qu'être au rendez-vous de ce qu'il considère comme l'une des plus grandes réalisations architecturales européennes du nouveau millénaire. Et il en rend compte avec le lyrisme tout particulier qui est sa marque de fabrique.

 

"Le bonheur", explique-t-il à nos confrères de RTC, "c’était de participer à cette aventure et de l’observer avec un regard emporté par l’enthousiasme qu’a suscité ce projet, et en même temps avec un regard critique, une distance qu’il fallait garder pour mieux apprécier la beauté de l’œuvre".
Fasciné par les défis techniques, Thierry Michel part à la rencontre des hommes qui les affrontent avec un regard moins tranché. Santiago Calatrava, par exemple, est dépeint comme un homme aux idées fulgurantes, qu'il vend avec une science consommée à ses interlocuteurs. Pénétré de la mission de rendre fierté à la ville par son travail architectural, il apparaît néanmoins comme quelque peu découplé des réalités concrètes de son chantier. Le portrait du maître d'œuvre, Vincent Bourlard, en meneur d'hommes alternant, avec une énergie inépuisable, les réunions en bras de chemise dans les bureaux et les visites sur le chantier, casque sur la tête et cigarillo vissé aux lèvres, est particulièrement impressionnant, jusque dans les excès du personnage. Ainsi, Thierry Michel se garde de prendre ouvertement parti, laisse parler sa caméra, et confie au spectateur le soin de faire la part des choses sans dissimuler le lot de doutes et de réticences qui ont jalonné ce formidable défi.

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