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My first highway de Kevin Meul

Publié le 01/03/2017 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Benjamin (Aaron Roggeman), 16 ans, s’ennuie. Cet adolescent apathique, en vacances en Espagne avec ses parents et son petit frère dans un camping de caravanes, semble flotter dans l’existence. Ni très beau, ni particulièrement charmant, d’une mollesse décourageante, il ne semble avoir aucune passion, aucune personnalité, comme s’il avait grandi en suivant le mouvement, sans jamais se poser la moindre question ni prendre la moindre initiative.

My first highwayEn cet été ensoleillé, l’adolescent passe ses journées à glander, avachi devant la télévision (à regarder des documentaires animaliers narrant par l’image la sexualité des gastéropodes) ou endormi sur la plage. Benjamin a du vague à l’âme, de la brume dans le crâne et du sable entre les doigts de pieds ! Sa sexualité en éveil le taraude (il se masturbe jour et nuit), d’autant plus que ses parents, eux, profitent de la moindre occasion pour s’envoyer en l’air… Son hobby le plus excitant consiste à observer des mouches se noyer dans des flaques. Voilà donc son grand projet pour l’été (et au-delà) : ne rien faire de ses dix doigts ! Malgré le soutien d’une famille aimante (mais très laxiste au niveau de la discipline), Benjamin est le genre d’adolescent influençable qui ne réfléchit pas avant d’agir et ne calcule jamais les conséquences de ses actes. Même lorsque son père lui apprend à conduire, il rêvasse au volant et manque de percuter des passants ! Maussade, il tire la gueule en permanence et marche en regardant ses pieds. La médiocrité de Benjamin est emblématique de notre époque où les ados rebelles d’antan se sont mués en poseurs cyniques et pourris-gâtés ! Le fameux « Rebel without a cause » incarné par James Dean, n’est plus désormais qu’un « Rebel without a clue ».

Jusqu’au jour où… sans trop comprendre pourquoi, Benjamin se fait draguer par Annabel (Romy Lauwers), jolie fille belge du même âge que lui, vivant dans la région et qui s’ennuie tout autant dans son job d’été : assistante magasinière dans l’épicerie de sa mère. Yeux de biche, corps élancé, jambes de star hollywoodienne, la jeune femme, gentiment allumeuse et sacrément intrigante, a récemment pris conscience de son pouvoir de séduction sur les garçons, mais également des dangers que ce pouvoir engendre. En effet, quelques jours avant sa rencontre avec Benjamin, Annabel a été victime d’un viol. Trop honteuse pour en parler à la police, elle se confie à Benjamin. Ces deux-là se voient déjà comme des losers alors qu’ils n’ont que 16 ans ! Devenus complices, ils font les 400 coups ensemble : ils boivent, dansent, roulent à toute vitesse, ivres au volant… une douce insouciance (confinant au nihilisme) qui sera de courte durée ! Benjamin, amoureux, ne s’imagine pas encore la mésaventure dans laquelle Annabel va l’entraîner. Une nuit, sous un faux prétexte, elle le force à pénétrer, armé, dans la maison de son violeur. Un coup de feu part par accident. L’homme s’effondre. Paniqués, Benjamin et Annabel fuient… Dès le lendemain, Annabel décrète qu’il serait plus prudent qu’ils ne se voient plus.

Anti-héros « dardennien » par excellence, Benjamin commence à souffrir d’une forme de stress post-traumatique et se rend compte pour la première fois que ses actes irréfléchis ont des conséquences. Il va remettre en question ses certitudes vis-à-vis de son histoire d’amour. Annabel l’a-t-elle manipulé ou a-t-il une image de lui si déplorable qu’il s’imagine l’avoir été ? A-t-elle réellement été violée ou s’agissait-il simplement d’un homme à qui elle voulait faire une mauvaise blague ? Les sentiments de la jeune fille étaient-ils réels ou un simple prétexte pour trouver un « pigeon » ?

My first highwayPour son premier long-métrage (il avait jusqu’ici réalisé trois courts), Kevin Meul se lance dans une trame typique de drame social dans lequel un jeune homme paumé, sans la moindre fibre morale et à l’éducation déficiente, voit son univers s’écrouler après un acte irréparable, une douche froide qui lui fait prendre conscience que son insouciance est sa pire ennemie, mais qui révèle également chez lui une part d’humanité jusqu’ici insoupçonnable. Clairement influencé par le cinéma austère des frères Dardenne (nonobstant le paysage ensoleillé), dont il reprend à son compte de nombreuses ficelles, Kevin Meul réussit, en multipliant les scènes à priori anodines, à créer une atmosphère anxiogène, où le drame menace de surgir à tout moment. Le cinéaste fait totalement l’impasse sur l’enquête policière, réduisant son suspense à néant pour mieux se concentrer sur cette histoire de « coming of age » et sur le dilemme moral de Benjamin : se dénoncer à la police ou pas ? Dommage, car il eut été intéressant de voir le piège à loups se refermer lentement sur Benjamin et / ou Annabel.

Néanmoins, malgré cette réserve, une puissante scène finale (dont nous ne dévoilerons pas la nature, mais porteuse d’espoir) s’avère d’une violence et d’une force auxquelles le film ne nous avait pas préparés ! L’étiquette « film social » n’empêche pas l’émotion : des gestes anodins, comme l’étreinte tardive de Benjamin et de son petit-frère délaissé, apportent çà et là des moments touchants dont nous avions bien besoin, le réalisateur nous ayant mis dans l’incapacité totale de nous identifier à son « héros » ! Aaron Roggeman, qui a la tête de l’emploi (sorte de Morgan Marinne ou de Kacey Mottet Klein en version flamande) hérite d’un rôle ingrat, plongé dans la torpeur, dont le réveil trop tardif peine à nous faire pardonner ses errances. Nous retiendrons donc principalement la performance émouvante de sa partenaire, la lumineuse Romy Lauwers, entre séduction et fragilité juvénile à fleur de peau.

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