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Nic Balthazar à propos de Tot altijd

Publié le 15/02/2012 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Dans les années 80', une bande de 3 copains gantois s’apprête à se lancer dans l’aventure de l’âge adulte. Jeunes et enthousiastes Mario, Thomas et Speck sont plein d'assurance. Mario se marie et, promis à une brillante carrière professionnelle, se lance dans la politique. Hélas, le temps de l’insouciance sera vite épuisé.
Après une courte introduction rythmée et lumineuse qui présente les personnages et dévoile leur personnalité, le réalisateur nous plonge dans une chronique de vie zébrée d’espoirs, de tristesse et de tendresse.

 

Nic Balthazar : Mon film, Tot altijd est basé sur des faits réels. Mario Verstraete a été le premier à employer la loi sur l'euthanasie votée en 2002 en Belgique. Lui-même s'était battu pendant plus de 7 ans pour faire passer cette loi. Mario souffrait de la sclérose en plaques, il était trentenaire et ne voulait pas mener sa vie à moitié. Ce que nous avons voulu raconter, c'est l'histoire personnelle derrière la politique, une histoire d'amour et d'amitié, un film sur la vie et non pas sur la mort. J'ai essayé de dédramatiser pour que cette discussion sur l'euthanasie prenne enfin un aspect personnel au point d'oublier les propos purement idéologiques ou religieux.

C. : Quel a été votre parcours avant d'arriver au cinéma ?
N. B. : J'ai d'abord fait du théâtre, j'étais un très mauvais acteur. Ensuite, j'ai été critique de cinéma pendant longtemps et comme on dit toujours : un critique de cinéma, c'est quelqu'un qui connaît ou croit connaître le chemin, mais ne sait pas conduire. Ensuite, à travers la télé, j'ai appris un peu à conduire en écrivant des scénarios, puis j'ai osé réaliser Ben X, un film dont je suis fier. Il a eu du succès en Flandre comme en Wallonie et a été vendu à 52 pays. 

C. : Quels sont les réalisateurs qui vous inspirent ?
N. B. : Comme journaliste de cinéma, j'ai eu le plaisir de pouvoir interviewer tous mes héros, Ken Loach ou Mike Leigh. Le cinéma anglais m'a beaucoup inspiré dans la façon de travailler avec les acteurs : les acteurs pouvant faire beaucoup plus que lire un scénario ou jouer la scène comme vous l'avez écrite.

C. : Les thèmes sociaux vous préoccupent.
N. B. : On ne se rend pas souvent compte qu'il n'y a que trois pays au monde où il existe une législation sur l'euthanasie : la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Le premier à en avoir bénéficié, c'est Mario Verstraete, que j'ai moi-même connu, mon frère étant un de ses meilleurs amis. Ce n'est qu'après qu'on s'aperçoit que cette confrontation avec la mort s'est passée devant nos yeux. Pouvoir organiser ses adieux est une chose très intense et très réconfortante, et c'est de ça que traite Tot altijd, qui veut dire en français, « pour toujours ».

C. : Depuis la législation sur l'euthanasie en Belgique, la demande est-elle vraiment présente ?
N. B. : L'euthanasie est perçue d'une manière totalement différente dans la partie francophone et dans la partie flamande. Cette dernière est plutôt axée vers les Pays-Bas, plus progressiste, alors que la partie sud de notre pays penche vers Paris, qui est encore dans le refus de quelque chose qui semble « anti-naturel ». En Flandre, une nouvelle manière de se dire adieu s'installe. L'écrivain Hugo Claus a ainsi invité ses amis à passer ses dernières soirées avec lui, un journaliste flamand a organisé une cérémonie d'adieu où lui-même était encore présent. C'est très fort, très difficile, mais tous ceux qui assistent à des moments pareils réalisent que la mort sera toujours l'ennemie, mais que l'important, c'est la qualité de mourir, et mieux encore, la qualité de vivre. C'était ce que voulait faire Mario Verstraete. La sclérose en plaques n'est pas une maladie mortelle en soi, mais elle est de plus en plus handicapante. Il disait toujours : « Je ne vais pas vivre ma vie à moitié, j'ai eu une belle vie, dans mes 40 ans, j'ai mis 140 ans. Make it short and sweet. ». C'est ce dont traite le film, la solidarité, le soutien dans cette démarche, savoir si on est pour ou contre, si on a du mal avec ça ou pas, c'est de rester avec quelqu’un jusqu'à la fin : Tot altijd

C. : Une scène dans le film questionne. La scène du suicide avorté. Il se reprend disant qu'il ne peut aller jusque-là. Comment peut-il ne pas se donner la mort et préférer que ça soit une mort assistée ? Par respect pour les survivants ?
N. B. : C'est là tout le thème, la grande différence entre l'euthanasie et le suicide. Beaucoup de gens disent que c'est plus ou moins la même chose, mais c'est faux. Dans une mort légale, on peut s'organiser avec ses proches, on peut se dire adieu, on peut clôturer sa vie d'une manière très belle, très forte. Tous ceux que j'ai rencontrés, qui ont vécu des moments comme celui-là, en témoignent. Je crois que tout le monde a des adieux à faire, et quand on peut le faire, c'est toujours moins pénible. C'est ce que dit Speck : « Toi, dans ton chemin, t'as fait ton choix, tu as pris ta mort entre tes mains parce que ta vie t'a pris ta propre vie des mains.» L'euthanasie, ce n'est pas abattre un chien parce qu'il souffre, ce n'est pas une question de pitié, c'est une question de respect pour quelqu'un qui décide pour lui-même. Aussi pénible que ça puisse être, dans cette souffrance, on va aussi trouver l'amour pour cette personne, car si on souffre c'est parce qu'on l'a aimé. 

C. : C'est dans cet esprit que le film a été fait, la vie est courte et fragile, vivez la pleinement ?
N. B. : Oui, je crois que c'est un des clichés qu'on utilise régulièrement. Il faut vivre comme si c'était votre dernier jour et personne ne le fait. Les gens continuent à vivre comme s'ils avaient encore 50 vies à vivre. Le cinéma, la fiction, nous donne la chance d'exorciser ses propres peurs. Ne pas vouloir se confronter au fait qu'on va mourir, c'est encore une attitude qu'on a tous, et pourtant, c'est tellement idiot. On est à 100% sûr qu'on va quitter cette planète à un certain moment, et on ne veut pas en parler ou se préparer. Tot altijd est un film qui ose parler de ça, et les gens qui osent faire l'aventure avec vous en sortent en disant qu'ils vont vivre à 200 à l'heure, c'est un pari réussi pour moi. 

C. : Il y a eu un travail physique du personnage principal qui s'est totalement métamorphosé.
N. B. : Oui, c'est assez spectaculaire. Koen De Graeve, qui joue Mario Verstraete, a perdu presque 30 kilos pour le film. Mais tous les acteurs ont fait du film une histoire vraiment personnelle. J'aime travailler avec plusieurs caméras, comme ça, je ne dois jamais supplier les acteurs pour avoir des larmes ou des sourires : je capte ce qu'ils font, ils sont vrais et c'est ça qui fait la force du film. Tout le monde a eu à faire des adieux, tout le monde a aimé, et voir des gens qui aiment, qui souffrent, c'est faire un film où on investit le spectateur.

C. : Vous travaillez tout le temps avec plusieurs caméras sur le plateau ?
N. B. : Pour les scènes cruciales, je ne voulais vraiment pas demander à quelqu'un de rejouer l’émotion. C'est ce qu'on doit faire normalement dans le cinéma traditionnel. Le cinéma digital permet de dire : c'est le plateau, jouez. Un acteur peut toujours vous emmener beaucoup plus loin que ce que vous lui demandez.

C. : C'est une caméra sur chaque personnage ?

N. B. : Non. Le caméraman avait une certaine liberté, je lui disais toujours : va chercher la vie, les émotions. C'est un jeu entre la caméra et l'acteur qui aboutit à des scènes assez spéciales et assez vraies. Il y a juste une organisation basique et le reste doit se faire sur l'émotion du moment. 

C. : Vous aviez énormément de répétitions à faire, ça a surtout eu lieu avant le tournage ?
N. B. : Comme le cinéma belge est moins riche que d'autres, j'ai toujours dit que faire des répétitions ne coûtent rien. J'ai écrit le scénario avec tout ce que les acteurs m'ont apporté. C'est un peu le système Mike Leigh. Sur le tournage, on n’a pas de temps à perdre, time is money. Mais on a tous vécu ça ensemble, tous les acteurs se sont investis dans leurs rôles et les répétitions, ainsi on a pu avancer sans perdre de temps. 

C. : Dans ce film, comme dans Ben X, le cadrage est très centré sur les personnages, vous aimez utiliser des gros plans ou c'est le film qui appelait ça ?
N. B. : Tot altijd, tout comme Ben X, est un film sur des émotions très fortes, et là il faut rester près des personnages, un peu comme un anthropologue avec son microscope suivant les situations. Nous, en tant que spectateur, on a le privilège d'assister à ça. Si on peut être aussi près des personnages, c'est parce que ces acteurs sont vrais. Car on voit s'ils mentent. C'est ce qui me fascine. 

C. : Vous tissez plutôt vos films autour du jeu d'acteurs comme d'autres mettraient l'accent sur l'image ou la musique ?
N. B. : Je suis un homme de cinéma à 100% mais c'est vrai que dans le cinéma flamand, beaucoup d'acteurs sont venus du théâtre et on aime bien partir de là, de l'essentiel de l'histoire. Avec la caméra, on a essayé de suivre le personnage même dans la façon de filmer. Quand ils sont jeunes, la caméra bouge, quand il a du mal à se déplacer, la caméra va beaucoup plus lentement, quand il est dans la chaise roulante, la caméra est fluide, quand il est dans son lit, la caméra s'arrête, c'est tout à fait organique. Je n'aime pas trop les films dont on dit qu'il y a de belles images, je préfère qu'on me dise que c'est une belle histoire et qu'on ne se rend même pas compte de la construction des images et de la musique qui sont, malgré tout, très importantes. Un spectateur m'a fait le plus grand compliment encore hier, en me disant, « On m'a demandé ce que j'avais pensé du film et je me suis dit « Nom de dieu, c'est vrai, c'est un film ! Pour moi c'était une histoire ». 

C. : Des projets pour la suite ?
N. B. : Ce sera très intéressant de voir comment le film sera perçu à l'étranger en dehors de ce petit îlot qu'est la Flandre où on est déjà habitué à la thématique. Dire à quelqu'un en France ou en Amérique que, chez nous, il est possible d’aller chercher ses papiers pour sa propre euthanasie… Je suis curieux de voir. 

C. : Avez-vous déjà écrit votre testament ?
N. B. : Non. Pour mes recherches, j'ai rencontré beaucoup de gens qui travaillaient avec des gens qui allaient mourir, ils disent tous qu'ils auraient dû moins travailler, prendre plus de temps avec leurs amis et leurs enfants, qu'ils auraient dû choisir pour eux-mêmes et non pour leurs carrières. Dès qu'on sait ça et qu'on peut encore le réaliser avant de mourir, c'est gagné ! 

C. : C'est une leçon de vie ?
N. B. : Je crois, oui. C'est très prétentieux de vouloir dire que c'est un film qui pourrait changer la vie des gens, mais moi, ça a changé ma vie de le faire et de m'investir avec beaucoup de gens ayant appris qu'ils allaient mourir. Ils m'ont apporté la joie de vivre qu'ils avaient. Mario Verstraete était aussi un bon vivant, mais il a toujours dit : « Je ne veux pas vivre cette vie comme une plante. Je préfère finir en beauté, dans la dignité ».

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