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Partie de Tennis avec Jean-Marie Buchet

Publié le 15/11/2013 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Jean-Marie Buchet tournait un film en ce mois de septembre 2013, au parc Solvay. L'équipe de Cinergie s'y est rendue. La plupart des réalisations de Jean-Marie Buchet sont des films minimalistes, à l'humour décalé. Un regard sur notre façon de vivre, sur un quotidien souvent dérisoire, souvent limité à des modèles préexistants. Produit par Patrice Bauduinet, producteur et réalisateur, ce court métrage s'appelle Tennis. Une comédie douce amère autour de trois filles et de deux garçons qui ne savent pas trop quelles sont leurs envies; tennis ou lecture ? Je l'aime ou je ne l'aime pas ? Nathalie, le personnage principal est interprété par Erika Sainte, jeune comédienne belge que l'on a découvert dans des films comme Elle ne pleure pas elle chante.
Le film se tourne avec une caméra Aaton Super 16 mm. On ne cesse de nous dire que l'ère de la pellicule est terminée. Pas tout à fait. Patrice Bauduinet précise que Kodak continue à en fabriquer, mais uniquement comme matériel scientifique, pour les studios Hollywoodiens qui s'en servent pour archiver leurs films. Mieux, les caméras étant moins utilisées, elles sont devenues moins chères à la location.

Nous assistons à la première séquence de Tennis, dans laquelle Nathalie (Erika Sainte), jeune fille mélancolique, préfère lire un livre sur le banc d'un court de tennis plutôt que d’utiliser sa raquette : « Tu viens –Non, j'ai pas envie – On avait pourtant décidé – Je peux changer d'avis, non ? »
Entre deux prises, discussion informelle avec Erika Sainte. Elle nous explique un scénario que le réalisateur juge inracontable, sauf pour les comédiens qui savent de quoi il s'agit. « Dans le film, je suis censée aller dans un court de tennis avec mon amoureux. Finalement, je lis un bouquin sur un banc et je n'ai plus envie d'aller jouer au tennis, et c'est tout.... Nathalie n'a pas envie de lire, mais lit quand même, puis elle s'arrête. Elle préfère rêvasser. Ne sachant pas très bien ce qu'elle veut, elle emmène les autres dans son indécision... Ce qui est intéressant dans les dialogues de Jean-Marie Buchet, c'est qu'ils offrent un non-jeu à l'acteur... C'est une écriture très particulière. Il n'y a pas de fioritures, j'aime bien ça. »

 

Après le tournage, dans la Kerkstraat d'une petite ville du Brabant flamand, nous revoyons Jean-Marie Buchet. Devant sa bibliothèque, il répond aux questions que lui pose Cinergie. Il nous parle de ses films comme s'il jouait une partie de tennis, en tenant la raquette avec beaucoup d'humour. 

Cinergie : Explique nous le scénario...
Jean-Marie Buchet, réalisateurJean-Marie Buchet : Le film est inracontable. J'ai écrit des scénarios qui peuvent se raconter, mais pas celui-ci. Il est très logique... J'en ai discuté avec les acteurs et pour eux, il n'y avait pas de problème.

C. : Sur le plateau, tu laisses jouer les acteurs. Tu n'as pas l'air de regarder le combo...
J.-M. B. : Cela m'arrive de temps à autre. Lorsqu'un acteur hésite, il faut lui donner une seconde chance sinon je considère qu'un acteur ayant lu avec moi le scénario sait ce qu'il doit faire. Je ne suis pas là pour les diriger, pas comme Elia Kazan. Ton comédien a fait l'Actor's studio ou une école de théâtre, il est donc au courant de ce qu'un metteur en scène attend d'un acteur. Le réalisateur n'a pas à en remettre une couche.

C. : Tu préfères écrire un scénario ou tourner un film ?
J.-M. B. : Ce qui m'intéresse, c'est tourner. Si je fais des scénarios, c'est pour ça. Je disais aux étudiants, lors de mes cours à Elicit ( ULB), que le meilleur scénario, s'il n'est pas tourné, ne sert à rien ou alors on en fait un roman que l'on peut publier. Un film se fait sur le plateau. On peut avoir un bon scénario et faire un film innommable. Je ne pense pas qu'on puisse arranger un film au montage. Frederick Wiseman est une exception, ou chez nous, Boris Lehman. Ils accumulent du matériel sachant comment ils vont l'organiser au montage. Lorsqu'on dit, en parlant d'un film de fiction, qu'il sera sauvé au montage, cela signifie qu'on est mal parti.
Mon seul mérite, en tant que réalisateur, c'est de faire en sorte qu'on puisse saisir ce quelque chose d'imperceptible, ce moment de vie qui va au-delà de la technique. Quand c'est le cas, on se dit : « Ça y est, on l'a eu, ouf ! » Mais pas seulement moi, tout le monde sur le plateau le ressent, tout le monde est content.

C. : On parle de toi dans la plupart des livres consacrés au cinéma belge.
J-M. B. : De temps en temps, cela arrive lorsque on a pu voir mes films.(1)

C. : Pour le livre À chacun son cinéma que nous avons publié, tu as écrit un texte dans lequel tu parlais de cinéma comme étant un compromis entre un métier chiant et un métier moins chiant...
Jean-Marie Buchet, réalisateurJ.-M. B. : Oui, oui, entre être clerc de notaire et faire du cinéma, le choix est assez simple, me semble-t-il.

C. : Tu dis aussi que tu n'imaginais pas le cinéma comme un projet artistique, mais comme un métier...
J.-M. B. : Je me méfiais du statut d'artiste, qui a évolué depuis. Pendant mes humanités, je faisais de la peinture et un jour - grâce à Dieu - j'ai vendu un tableau. J'ai été en contact avec le monde des galeries d'art… C'était dans les années cinquante, et je me suis dit vade retro satanas, je ne veux pas en faire partie. J'ai dû me résoudre à entrer dans une école artistique, La Cambre, pour étudier le cinéma. À l'époque, il n'y avait pas d'autres écoles de cinéma. On y apprenait à tout faire; on y étudiait l'optique, comme le son. On considérait que le metteur en scène devait avoir une solide base technique.

C. : On pouvait vivre du cinéma dans les années septante ?
J.-M. B. : Vivre du cinéma ? ...Pas bien. Je me débrouillais. Mais à l'époque on vivait pour trois fois rien. J'avais de quoi me loger, de quoi me laver, de quoi manger, de quoi aller au cinéma, de quoi acheter quelques bouquins et de quoi payer le téléphone. Lorsque je parle de métier, je parle de fonction, pas de moyens de subsistance. Je n'ai jamais cherché à avoir un certain train de vie.

C. : Tu es d'une génération de cinéphiles qui voulaient passer derrière l'écran.
J.-M. B. : Il faut s'imaginer ce qu'était le cinéma des années 50-60 en Belgique. C'était un domaine extrêmement vivace qui commençait à peine à être reconnu par la culture officielle. Il n'y avait pas d’argent pour le cinéma. Si tu voulais faire un film, tu ne pouvais pas te payer des chars d'assaut. On était forcement limité dans nos choix.
Pour La Fugue de Suzanne, j'ai emprunté 200.000 francs belges (5.000 €) à une vieille tante. Avec ces modestes moyens, on a fait un long métrage, copie du film comprise.

C. : Tu préfères la fiction au documentaire...
Jean-Marie Buchet, réalisateurJ.-M. B. : Je ne comprends pas qu'on fasse de distinction entre le documentaire et la fiction. Ce qui compte, c'est le film. Les documentaires sont des fictions. Par exemple, le documentaire Les hommes le dimanche de Robert Siodmak, c'est une histoire simple qui aurait pu être racontée de mille façons différentes et sans doute, sans intérêt. Alors que le scénario de Siodmak, Fred Zinnemann et Billy Wilder est génial. Fires were Started de Humphrey Jennings, un film sur les pompiers pendant les bombardements de Londres, est une fiction pure et simple. Or, il est considéré par les dictionnaires de cinéma comme le plus grand documentaire britannique.

En ce qui concerne la fiction, le cinéma actuel m'ennuie avec ces films qui cherchent à nous monter des choses ou des gens exceptionnels, uniquement dans l'espoir d'attirer le chaland.

C. : Comment définirais-tu ton cinéma ?
J.-M. B. : Cela dépend avec qui ! (rires) Soyons prétentieux, si dans 2000 ans, mes films existent encore et qu'on les retrouve, on pourra se faire une autre idée de notre époque que celle des historiens. On pourra se rendre compte que des gens existaient et savoir ce qu'ils vivaient, même s'ils ont vécu une époque épouvantable. Ils n'étaient pas aussi nuls qu'on le dit (rires) !

C. : Il y a une raison pour laquelle l'Histoire t'intéresse autant ?
J.-M. B. : Dans l'adolescence, j'ai eu ma nuit à la Blaise Pascal, ma révélation sur l'Histoire, ce qui m'a aidé à écrire des scénarios. Un scénario fonctionne comme l'étude de l'Histoire. Quand, en quatre heures de temps, tu dois assimiler l'Histoire des Temps Modernes en Europe, tu vas à l'essentiel, les liens entre la succession des événements. Un scénario, c'est la même chose.


 

(1) Jean-Marie Buchet est modeste et fait de l'humour lorsqu'il nous dit qu'il est peu connu. Il figure dans tous les dictionnaires du cinéma belge. Dans le tome II de La kermesse héroïque du cinéma belge, de Frédéric Sojcher aux éditions l'Harmattan, dans Une Encyclopédie des cinémas de Belgique, de Guy Jungblutt, Patrick Leboutte et Dominique Païni aux éditions Yellow Now, dans Un siècle de cinéma belge de Paul Thomas aux éditions Quorum, dans Le cinéma belge de Marianne Thys avec la Cinémathèque Royale de Belgique aux éditions Ludion/Flammarion, dans À Chacun son cinéma, cent cinéastes belges écrivent pour un centenaire aux éditions Luc Pire/Cinergie, dans Big Memory, cinéastes de Belgique de Richard Olivier, aux éditions Les Impressions nouvelles.

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