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Paul Geens: L’archéologue du cinéma

Publié le 01/04/2009 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Entrevue

L’archéologue du cinéma

Depuis le temps que l’on vous présente les sorties en DVD de l’association Belfilm qui ressuscite les films oubliés du patrimoine, il était temps de rencontrer, en chair et en os, l’initiateur de ce projet audacieux : Paul Geens. L’historien du cinéma, en véritable passionné, s’est transformé en archéologue pour obtenir l’impossible. À une époque où la vie des films annonce déjà leur mort imminente, Paul Geens fait acte de mémoire et part à la recherche de ce qui fut trop tôt enterré. Au fil de la conversation, ce n’est pas seulement un immense cinéphile que nous découvrons, mais un enquêteur qui nous entraîne dans des histoires dignes parfois d’un véritable polar !

Cinergie : Comment un jeune étudiant du RITS, l’école de cinéma néerlandophone, se retrouve-t-il à gérer les droits d’anciens films belges ?
Paul Geens :
J’ai toujours été passionné par l'histoire du cinéma. Mon film de fin d'études n'était pas une fiction, mais un documentaire sur un producteur de films, Jean Daskalidès, qui était aussi fabricant de pralines et médecin. À ma sortie du RITS, un éditeur m’a proposé d’écrire un livre qui traitait à la fois de l’histoire du cinéma francophone et celle du cinéma flamand. Comme le projet comprenait les deux communautés, il n’a reçu aucune aide financière, d'un côté comme de l'autre. Le livre sur le cinéma flamand, Naslagwerk over de Vlaamse film, a quand même été publié en 1986. C’était le premier ouvrage qui paraissait sur ce sujet spécifique. Grâce à cette publication, je suis entré en contact avec beaucoup d’anciens professionnels du cinéma, et c’est aussi comme cela que l’on m’a proposé d’organiser une exposition d’affiches du cinéma belge francophone lors du Festival de Namur (FIFF) en 1987. J’ai alors contacté le réalisateur Yvan Govar pour savoir s’il avait gardé les affiches de ses films. Il n’en avait pas, mais au lieu de cela, il m’a proposé les copies de ses films qui visiblement n’intéressaient plus personne, et voilà comment tout a commencé !

deux heures à tuerC. : Ça n’intéressait personne, mais vous oui !
P. G. :
Bien sûr ! Yvan Govar est un des plus grands metteurs en scène belges des années 50. Il venait d'une famille très riche, ce qui lui a permis de réaliser son premier long métrage à l'âge de 19 ans. Il a fait trois films en Belgique puis, il a enchaîné avec des co-productions françaises dont un dernier film, Deux heures à tuer (1965) avec Michel Simon et Claude Brasseur… Malgré ces grands noms à l’affiche, ses films ont été des échecs commerciaux. Il a cessé de tourner et a complètement été oublié; si bien que lorsqu'il a proposé ses films belges à RTL la réponse a été « Les gens ne payent pas la télévision couleur pour voir des vieux trucs en noir et blanc ! » On croit rêver !

Dans les années 70, les producteurs français de ses films ont fait faillite et il n'a pas pu récupérer le matériel. Il m’a donné ses trois premiers films belges et m’a demandé de récupérer ses 5 films français grâce à l’argent que je pouvais en tirer. Ce que j’ai fait. Belfilm était né. Il y a 20 ans déjà ! J’ai alors commencé à collecter des films un peu partout, et j’ai pu constituer un fond.

C. À qui s’adresse particulièrement ce fond ?
P. G. :
Avoir un fond, c’est bien, mais si les films ne sont pas accessibles, ça ne sert pas à grand-chose. C’est pour cela que j’ai essayé, au fil des années, de trouver des éditeurs, mais ça s’est avéré plus difficile que je ne le pensais. J’ai pu trouver un éditeur en France qui croyait naïvement que, grâce à cela, il allait devenir le nouveau René Château ! Finalement, j'ai découvert qu'il faisait des ventes sans m’avertir… Les éditeurs professionnels ne s’intéressent pas vraiment à ce genre de film car ce n’est pas assez commercial.

C. : Et les télévisions ?
P. G :
Il y a quelques années, je vendais des films à de petites chaînes privées, mais les achats aux télévisions ont beaucoup baissé. Depuis une dizaine années, les télévisions sont gérées par des jeunes qui n’ont pas l'esprit cinéphile, qui ne connaissent rien à l’histoire du cinéma de leur pays ou d’ailleurs.

Quand je vois les programmes qui passent l’après-midi, le sempiternel Derrick et autre Tatort que les gens ont vu mille fois, je trouve ça incroyable ! Il serait tellement plus intéressant de passer de vieux films que l’on a pas vus depuis des années, ou que l'on a jamais vus tout simplement ! Il y a tant de chefs-d’œuvre oubliés ! Je ne dis pas qu’il faut passer ces films à 20h00, mais pourquoi pas l’après-midi ? Quand ce ne sont pas des séries stupides que l'on programme, ce sont des films que les gens ont aussi vus mille fois, Les Enfants du Paradis, Les Visiteurs du soir, Quai des brumes... comme s’il n’y avait que ça !

prune des boisC. : C'est ce problème de visibilité qui vous a donc poussé à faire vous même de l'édition DVD ?
P. G. :
Oui, parce qu'il n'y avait aucun autre moyen de les rendre accessibles. Au début, j’ai fait quelques essais. J’ai commencé avec des films que l’on pourrait qualifier de films d’auteur, comme Palaver d’Emile Degelin. Ça a été le premier. Puis des films qui ont eu une certaine popularité comme Thanasse et Casimir tiré d’une œuvre d’Arthur Masson et qui continue à se vendre au Musée qui lui est consacré; ou encore Prune des bois, un film pour enfants, qui a eu un réel succès à sa sortie, dans les années 70'. Mais ça reste quand même difficile. Quand on voit, par exemple, le nombre effarant de films jeune public qui sortent toutes les semaines et la publicité que l'on fait autour de ça, on est en droit de se demander si un film comme Prune des bois a encore sa chance ?
Certains films ne marchent pas du tout, je pense au Cercle romain de Raymond Haine car même s’il est excellent, il n’est pas du tout connu. Je n'ai évidemment pas les moyens de faire de la publicité. De plus, pour un petit éditeur comme moi, il est impossible de passer par des grosses chaînes de distribution, comme la FNAC car il y a tellement d’intermédiaires que ça coûte plus que ça ne rapporte.

C'est un système vicieux. Je vends essentiellement les DVD sur mon site, en moyenne 500 exemplaires par an, ce qui n’est déjà pas si mal. Les seuls endroits où la vente reste possible sont de petits indépendants, le bozar shop ou encore la librairie Tropismes. Mais le marché du DVD reste très concurrentiel (Internet, les DVD offerts avec les magazines) et c’est de plus en plus difficile.

C. : Récemment, la collection Belfilm s’est agrandie. Après « Made in Belgium », on trouve « Souvenir de France ».
P. G. :
Oui. J’ai édité deux DVD qui n’ont rien à voir avec la Belgique. Il s’agit d’En grande pompe un film d’André Teisseire et un double DVD des films d’Yvan Noé, Le Château des 4 obèses et Une femme coupée en morceaux. J’ai eu l’opportunité d’avoir les droits. C’est un risque supplémentaire, mais ça vaut la peine d’essayer. Je vais voir ce que ça donne et d’autres entreront peut-être au catalogue…pourvu qu'il s'agisse de films méconnus !

C. : Vous privilégiez, dans les bonus, les courts métrages plutôt que les interviews filmées ?
P. G. :
C’est une question de coût et de possibilité aussi. Souvent, les gens sont morts et même s’ils sont encore en vie, faire une interview coûte très cher, il faut filmer, mixer etc. Et puis le but, c’est de faire découvrir les films qui sont au catalogue. C’est intéressant de montrer le court métrage d’un réalisateur que l’on découvre avec un long, ou bien des courts sur un thème similaire. Le manque d’argent pose divers problèmes. Les films flamands ne sont pas sous-titrés, par exemple, et vice-versa. De toute façon, c’est triste à dire, mais ça ne vaudrait pas la peine, les choses sont très séparées, un film flamand ne se vend pas en Wallonie et un film francophone n’a aucun public en Flandre. Seul Le père Damien est en version bilingue, parce que c’est un personnage connu et apprécié des deux communautés. En plus, il va devenir saint dans le courant de l’année !

C. Vous détenez tous les droits des films qui sont dans le catalogue ?
P. G. :
C’est mon but. Il y a quelques exceptions avec des co-productions, comme par exemple La triple mort du troisième personnage d’Helvio Soto où je n’ai pas les droits pour la France. Mais pour la majorité des films, en tout une centaine de longs métrages, l’association Belfilm est la seule détentrice des droits.

J’ai quelques copies dont je ne peux rien faire à cause des problèmes de droits. C’est le cas d’un des meilleurs films belges selon moi, Simona de Patrick Longchamps, tiré de l’ Histoire de l’œil de Georges Bataille. Le film a été tourné en 71 en Belgique et il n’est sorti qu’en Italie. L’exploitation du film est bloquée par les héritiers de Georges Bataille qui ont vendu, en 1998, les droits cinématographiques à une société de production américaine, bref il y a des tas de problèmes qui m’empêchent d’exploiter ce film, malheureusement. Le film a quand même été montré deux fois en cachette, au cinéma Nova, comme « film surprise ».

en êtes vous bien sûrC. : Ce doit être parfois un véritable casse-tête pour retrouver les producteurs ou les ayants droit ?
P. G. :
En Belgique, c'est assez facile, parce que je connais les gens, mais pour les co-productions, c’est quelquefois compliqué lorsque la société de production n'existe plus. Il y a aussi des films qui ont totalement disparu et que je passe des années à chercher. C’est le cas des films d’un certain Marc Maillaraky. Il a fait des films à Liège dans les années 50 et 60 dont deux longs métrages A vos ordres Ernestine, avec Georges Guétary et Et que ça saute. En 66, il a quitté Liège et il a laissé les pellicules chez un ami. Maillaraky est mort dans les années 90. On a retrouvé, par hasard, quelques bobines de Aux ordres d'Ernestine, mais le film est incomplet et les autres n’ont jamais pu être retrouvées. Plus personne ne les a vues depuis 50 ans ! Disparues ? Jetées ? Perdues ? Détruites ? Personne n'en sait rien...
J'ai heureusement quelquefois plus de chance. Ça a été le cas de
En êtes-vous bien sûr ? le film de Jacques Houssin avecMartine Carol. Je l’ai cherché pendant 20 ans. Beaucoup de productions, réalisées avant 1951, ont été fabriquées sur une pellicule à base de nitrate, une substance extrêmement inflammable. Toutes les copies de ce film avaient brûlé. Finalement, grâce à un cinéphile français, j'ai appris que des collectionneurs canadiens possédaient l'unique copie 16 existante. La plupart du temps, les collectionneurs ne veulent pas dire ce qu’ils ont. C'est un secret bien gardé.

C. : Mais comment faites-vous dans ce cas ? Les collectionneurs n’ont pas les droits des films ?
P. G. :
Normalement, le producteur donne le film au distributeur pour un temps déterminé. Quand le contrat s'achève, le distributeur a trois possibilités : renvoyer le matériel chez le producteur, le donner à la Cinémathèque ou le détruire. Certains collectionneurs ont des contacts avec les distributeurs et achètent des copies. Ce n'est pas vraiment légal, mais c'est une chose courante et on en trouve de nombreux exemples… Je pense à un vieux monsieur à Anvers dont le travail consistait à vérifier l'état des copies chez des distributeurs. Au lieu de se faire payer, il en prenait une. Il avait plus de 700 films chez lui. Il organisait des projections privées ou dans des kermesses. À sa mort, sa femme a vendu les films un peu partout. Il n’y a rien à faire contre ça. La police ne peut pas intervenir si les copies n'ont pas été volées. S’ils sont de bonne volonté, on peut négocier un achat de la copie avec les collectionneurs, mais il est évident que le prix est totalement aléatoire. C’est comme ça que certaines copies uniques partent chez des collectionneurs américains qui ont les moyens de se les offrir. C'est dommage, mais c'est comme ça !

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