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Rencontre avec Dimitra Karya, Directrice de la Sélection de la Cinéfondation

Publié le 15/06/2016 par Edith Mahieux / Catégorie: Entrevue

La prestigieuse Sélection de la Cinéfondation est un volet de la Sélection Officielle du Festival de Cannes, spécialisé dans les films d’école. L’INSAS est bien connue de la Directrice Dimitra Karya. Sarah Hirtt avait été sélectionnée (et primée) pour En attendant le dégel en 2013 et avant elle, Sung-A Yoon avec Et Dans mon cœur j’emporterai en 2008. Cette année, c’est le film Poubelle du jeune réalisateur belge, Alexandre Gilmet qui a été présenté parmi 18 autres films. Il est reparti sans prix, mais le public a beaucoup ri lors de la projection, ce qui est déjà une récompense en soi. Dimitra Karya revient sur son choix et les perspectives qu’offre la Cinéfondation aux réalisateurs en devenir.

Cinergie : Parlons tout d’abord du film d’Alexandre Gilmet, Poubelle est un film somme toute assez différent du reste de la sélection.
Dimitra Karya : Un film très différent, ça je l’aurai entendu ! Et je ne comprends pas car c’est comme si on était catalogué sur les films lents, difficiles, statiques… Moi je trouve qu’on a des films très divers.
Le film d’Alexandre est une comédie, une comédie féroce, intelligente, bien rythmée, avec une ambition de mise en scène. Comme il est difficile de trouver des comédies, dès qu’on en trouve une bonne, on se jette dessus ! C’est pour ça qu’Alexandre est là. Ce n’est pas non plus juste une comédie, c’est un film qui parle de choses qui nous préoccupe, de la lutte des classes, même si c’est poussé à l’extrême. C’est ce politiquement incorrect qui m’a plu.
D’ailleurs, si l’on regarde les prix [délivrés par le jury présidé par Naomi Kawase], les films choisis ne se ressemblent pas. Le premier prix, Anna d’Or Sinaï, est beaucoup plus accessible que le 3e prix par exemple, la Culpa Probablemente de Michael Labarca et puis, l’animation hongroise, A Nyalintas Nesze, récompensée elle-aussi, n’a rien à voir non plus(1).

CinefondationC. : Quand vous faites la sélection, l’axez-vous sur une variété de genres et de pays du monde entier ?
D. K. : Totalement. Il faut avoir cela à l’esprit : la différence des genres, les pays différents et pour la Cinéfondation, il y a encore un critère, les écoles différentes. À chaque fois, je fais un accord pour trouver de nouvelles écoles qui n’ont jamais été représentées chez nous et la preuve en est que cette année, on a 7 écoles qui sont représentées pour la première fois et un pays qui n’était jamais venu : c’est la première fois qu’une école vénézuélienne est sélectionnée [l’Universidad de Los Andes]. On fait cet effort et en plus, bien sûr, il y a la parité. Garder l’équilibre homme/femme. Cela fait beaucoup de contraintes et c’est assez difficile mais ce sont les contraintes de toute programmation. 

C. : Comment allez-vous à la rencontre de nouvelles écoles ?
D. K. : On est assez connus désormais pour ne plus avoir à démarcher. Au départ, quand la Cinéfondation a été créée [en 1998], il fallait faire l’effort d’aller vers les écoles : mon prédécesseur Laurent Jacob a pas mal voyagé pour faire connaître la Cinéfondation. Il est allé dans les festivals, a sélectionné les meilleurs films étudiants qu’il pouvait trouver et a réussi à convaincre les écoles de lui présenter le plus de films possibles. La toute première Cinéfondation avait une programmation de 15 courts métrages dont 3 de la National Film and Télévision School. Le choix était limité et la diversité des films écoles difficile à atteindre. Aujourd’hui, notre sélection est bien connue dans le monde des festivals et des films étudiants donc on reçoit de tout. Nous avons reçu 2.300 films cette année, et cela tombe bien qu’il y en ait beaucoup qui sont issus d’écoles qu’on n’a jamais eues. Ensuite, il ne reste plus qu’à sélectionner les bons.

C. : En parlant de sélection, combien êtes-vous dans le comité ?
D. K. : Il n’y a pas de comité de sélection. Je regarde tous les films. Un gros travail, certes, mais quel travail intéressant ! C’est une question d’habitude, le plus difficile est d’être confronté à des mauvais films, il y en a beaucoup. Mais quand on en voit un de bien, comme celui d’Alexandre, c’est une satisfaction immédiate et une grande récompense.  

C. : Et en ce qui concerne le jury de la Cinéfondation, les Frères Dardenne en ont déjà été présidents : Luc en 2000 et Jean-Pierre en 2012. Cette année, il est présidé par Naomi Kawase. Comment le composez-vous ?
D. K. : On fait des propositions. Ensuite, ce sont les organisateurs du festival qui les invitent. Nos choix se portent de préférence vers des réalisateurs, des acteurs. Cette année, je trouve que c’est un très bon jury [présidé par Naomi Kawase et composé de Marie-Josée Croze, Jean-Marie Larrieu, Radu Muntean et Santiago Loza], il n’y a rien à dire sur Naomi Kawase, cela va de soi. Mais les jurés ont fait un travail formidable, ils ont très bien discuté des films.

C. : Ont-ils l’occasion de rencontrer les réalisateurs pour discuter de leurs films. Car ils ne se sont pas beaucoup étendus sur les films quand ils ont remis les prix.
D. K. : C’est vrai. Mais il y a eu un point presse après le Palmarès durant lequel ils ont discuté avec les réalisateurs dont ils ont aimé le film et qui n’a pas reçu de prix, de manière plus confidentielle. Il y a eu beaucoup de générosité cette année. Naomi Kawase les a rencontrés : il y a eu des séances de photos avec elle, avec les lauréats.

C. : Les films choisis par la Cinéfondation sont présentés en plusieurs programmes, pendant le Festival de Cannes. Comment composez-vous ces programmes très divers ?
D. K. : Oui, il y 4 programmes d’une heure et demi. C’est comme du montage, il faut que les films se suivent, les longs sont positionnés à la fin de chaque programme. Je les pense de manière à ce que le précédent ne puisse pas nuire à celui qui suit. C’est tout un travail, il faut les regarder, les re regarder et voir les enchaînements, si on veut faire ça bien. Donc à ce stade, c’est vraiment une question de films, ce n’est plus une question de pays. De préférence, j’essaie de faire suivre des films d’horizons assez variés, mais ce n’est pas possible de remplir tous les critères. La cohérence est plus inhérente aux films.

jury cinefondationC. : Beaucoup de réalisateurs sélectionnés à la Cinéfondation aimeraient ensuite rester en contact avec le Festival de Cannes, est-ce possible ?
D. K. : À vrai dire, cela dépend des réalisateurs et des affinités. Il y en a qui ne gardent pas le contact, et il y en a au contraire, qui nous envoie tout ce qu’ils font par la suite pour avoir un retour, même des conseils sur le scénario : les courts, les longs-métrages. Et ça, c’est un plaisir. Je suis ouverte : les réalisateurs ont toujours une réponse et un conseil quand ils le demandent. Après, cela ne se fait pas avec tout le monde. Mais je suis en contact encore avec un certain nombre de personnes.
En ce qui concerne la Résidence, ce n’est pas automatique. Je sais que certains anciens sélectionnés ou ex-lauréats postulent à la Résidence mais je ne suis pas du tout impliquée là dedans. C’est George Goldenstern, le directeur général de la Cinéfondation qui choisit les projets. Je ne peux donc que les encourager mais ensuite, ce n’est pas moi qui décide. En tout cas, cela existe, il y a des anciens sélectionnés qui ont fait la Résidence aussi.

C. : Y a-t-il parfois des conflits entre les sélections ? Cinéfondation, Quinzaine, Semaine, Sélection Officielle? Un film d’école qui se situerait entre tous ?
D. K. : Non, il n’y a pas vraiment de conflit. Ils peuvent postuler pour tout en même temps, mais entre nous, nous n’avons pas de contact. De toute façon, notre date limite est un peu avancée : le 15 février, donc en règle générale, j’ai déjà fini ma sélection avant les autres, donc du coup, le film est déjà sélectionné, le film ne se pose pas. Il y a des films d’école qui vont dans d’autres sections mais on n’a pas encore eu un cas de conflit. C’est une question de goût aussi. Chaque programmateur a son goût personnel, on n’aime pas forcément les mêmes films, on ne va pas se bagarrer pour les mêmes films.

C. : Avez-vous eu des coups de cœur cette année ?
D. K. : C’est une question très non politiquement correcte, comme le film d’Alexandre ! Je les aime tous et pour différentes raisons.

Retrouvez le site de la Cinéfondation: http://www.cinefondation.com/fr/


Et le palmarès de la 19e édition : http://www.festival-cannes.com/fr/actualites/articles/naomi-kawase-et-son-jury-annoncent-le-palmares-de-la-19e-edition-de-la-cinefondation

(1) Anna dresse le portrait naturaliste et pudique d’une femme mûre qui se retrouve confrontée à une solitude qu’elle n’a pas vécue depuis longtemps, lors d’une chaude journée d’été.
Le film vénézuélien, La Culpa Probablemente, prend, lui, la nuit pour mise en scène. Un homme, rongé par la culpabilité probablement, revient protéger la femme qui a aimé et sa petite-fille. Quant à A Nyalintas Nesze, il en laissera plus d’un pantois. Ce conte à l’animation grouillante et léchée présente le jeu de séduction entre une femme et un chat.

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