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Sophie Racine, prix Cinergie Anima

Publié le 30/04/2014 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Entrevue

En décernant le prix Cinergie « Anima » 2014 à Rêves de brume, notre jury distinguait une œuvre éminemment personnelle, une flânerie impressionniste en animation traditionnelle, à rebours des tendances actuelles du cinéma d’animation où le numérique règne en maître. Sophie Racine, elle, choisit le dessin sur papier pour nous emmener au fil de ses rêveries, partageant avec nous ses impressions fugaces de traits de lumières, de reflets d’images dans l’eau ou de voiles de brumes se délitant au vent. Ce que le jury découvrait ensuite, c'est que Rêves de brume, n’est pas une œuvre isolée mais la continuité d’un projet commencé il y a deux ans par cette artiste singulière dans le cadre de ses études à l’école d’animation de La Cambre.

Cela nous a donné envie de mieux connaître cette jeune femme un peu timide qui nous reçoit dans son appartement du quartier Molière avant de partir présenter son court métrage au prestigieux festival d’Annecy. Française d’à peine 25 ans, elle a choisi de venir étudier à La Cambre, un ce choix parfaitement représentatif d’un tempérament indifférent à l’air du temps, mais qui sait où il veut aller.

Sophie Racine, réalisatriceSophie Racine : Après mon bac, j’ai fait une année préparatoire en France pour me diriger soit vers les beaux-arts, soit vers l’animation. À la fin de cette année, j’ai été sélectionnée dans plusieurs écoles d’animation en France, et à La Cambre. La Cambre ne dispense peut-être pas l’enseignement le plus pointu techniquement, mais elle offre tout un champ artistique et des liens avec les autres options de l’école. Cela reste aussi une école d’animation traditionnelle et comme c’était vraiment ce que je voulais faire, je suis allée à La Cambre. 

Cinergie : Votre intérêt pour le cinéma d’animation se situe donc dans le cadre d’une démarche artistique plus large ? Vous êtes aussi dessinatrice, photographe, vous avez fait de la linogravure… Pourquoi privilégier l’animation ?
S.R. : Je pense qu’au départ, ce qui m’attirait, c’était de pouvoir mélanger peinture, vidéo, dessin, utiliser aussi des sons, de la musique et d’être au croisement de tout cela.

C : Avant Rêves de brume, il y a eu Envolée et Balade, deux films qui traitent aussi de l’homme au milieu de la nature, et mettent en scène les éléments naturels comme l’eau, la terre, le vent… en mouvement. Considérez-vous vos trois films comme reliés…
S.R. : Effectivement, ils ont beaucoup de points communs. D’ailleurs, au départ, Balade et Rêves de Brume devaient constituer un seul travail sur deux ans. Finalement, j’ai choisi de boucler Balade comme un film autonome parce que je ne voulais pas couper dedans, mais du coup, j’ai enchaîné Rêves de brume dans le même esprit, avec l’envie d’approfondir toujours les mêmes thématiques.

C : Dans Balade, le thème central est une pérégrination urbaine, alors que Rêves de Brume, au contraire, est l’histoire d’un homme qui a besoin d’air, qui étouffe en ville et part respirer à la montagne ?
S.R. : C’est vrai, mais il y a dans les deux l’envie de déambulation et, même si le cadre change, je ne les vois pas comme opposés. Certes, Balade est très urbain, je m’y attache aussi beaucoup aux arbres, à l’eau, à tout ce qui reste de nature. Je ne voulais pas que la ville soit uniquement négative, je l’ai traitée aussi de façon poétique, avec les nuages qui se reflètent dans les bâtiments. Cette idée de reflet, on la retrouve dans Rêves de Brume.

C : Il y a une unité de style entre les deux, mais dans Rêves de brume, on quitte la ville. C’est l’occasion de magnifiques effets de brouillard qui file sur la montagne, cachant et dévoilant tour à tour le paysage.
S.R. : En fait, ce qui m’intéressait, c’était d’avoir un paysage qui s’efface, de retrouver une tache blanche et ensuite de faire réapparaître les choses par petites touches. De là l’idée du brouillard.

C : Ce qui frappe aussi dans ces deux films, et particulièrement dans le dernier, c’est l’acuité et la justesse du regard. Ces paysages de montagne, on sent que vous avez vibré en les regardant. 

Sophie Racine, réalisatrice

S.R. : C’est vrai que je m’intéresse surtout aux décors, à l’environnement, aux ambiances. Les personnages sont assez secondaires. De là à parler de ressenti… Disons que je me suis inspirée d’ambiances et de lieux que j’ai visités, d’images qui m’ont frappée et que j’ai voulu finalement retranscrire : rendre un éclat de lumière à un moment qui m’a plu, quelque chose qui m’a marqué. J’ai eu la chance d’aller souvent dans les Pyrénées, et à l’occasion de balades que j’ai faites en montagne, j’ai pris l’envie de restituer ces images que je percevais, la beauté des paysages… toute une ambiance aussi, les jeux de lumière… J’y ai mis un peu de tout : des croquis, des souvenirs, … Je me suis aussi inspirée de photos, de vidéos.

C : Vous alternez aussi le noir et blanc et la couleur ?
S.R. : Au départ, en tous cas pour Rêves de brume, la volonté de travailler à la fois en noir et blanc et en couleurs, c’était pour rendre sensible l’évolution du personnage. On commence en noir et blanc, puis la couleur revient au fur et à mesure que l’état d’esprit du personnage change, pour finalement finir complètement en couleurs. Le choix s’est fait aussi en fonction d’images que j’avais plus envie de rendre, soit en noir et blanc, soit en couleurs. Les torrents, par exemple, je ne les voyais pas autrement qu’en couleurs. Aussi les cerfs-volants, de couleurs vives, et de multiples jeux de lumière que je voulais rendre. A l’opposé, des choses comme, par exemple, le brouillard, je les voyais plus en noir et blanc. C’est un environnement moins contrasté, où tout se ternit.

C : Dans l’environnement en noir et blanc, des taches de couleurs apparaissent : un lac dans la montagne, les cerfs-volants dans le vent…
S.R. : Tout simplement pour mettre en avant l’un ou l’autre élément à un moment donné, comme un éclat : un éclat de lumière dans le paysage.

C : Vous maîtrisez les logiciels de dessin, d’animation, de mise en images, mais vous travaillez encore avec papier, crayons, marqueurs, pinceaux…
S.R. : Tout Rêves de brume est fait en peinture sur papier. Du papier très fin éclairé par en dessous. Pour chaque plan, il y a plusieurs couches de papier qui se superposent et se combinent par transparence. Enfin, pour être honnête, pour les séquences de brouillard, il y a aussi un travail, après, sur l’ordinateur. Quand on peint plusieurs images et qu’on les met à la suite, cela sautille de façon très rapide et, pour les nuages, je voulais quelque chose qui se transforme, mais très lentement. Je n’arrivais pas à l’obtenir en travaillant sur papier. Du coup, j’ai travaillé avec différentes prises de vue que j’ai ensuite mêlées pour créer l’animation sur l’ordinateur.

C : Vous préférez le papier aux cellos, ou à l’animation virtuelle ?
Sophie Racine, réalisatriceS.R. : Oui, pour le contact, pour le coup de pinceau. Je peux aussi dessiner à la palette graphique, mais le rendu me plaît moins et je trouve plus agréable de travailler sur papier que de travailler sur l’ordi. Avoir la texture du papier, le son du crayon sur le papier… ce sont des choses que j’aime beaucoup et que j’ai envie de garder. Pour Rêves de brume, j’ai utilisé de la peinture acrylique au pinceau. Pour Balade, par contre, ce sont des croquis au feutre que j’ai faits dans la rue, pas très loin d'ici. J’ai aussi travaillé sur des transparents, notamment pour l’animation de l’eau, pour le mouvement bleu, mais la touche n’est pas la même. Il faut savoir alterner les deux en fonction de l’effet que vous voulez rendre.

C : De fait, quand vous animez l’eau des torrents, c’est complètement différent : le trait s’estompe et on se retrouve davantage dans une peinture impressionniste où la lumière, la texture, prend le pas sur la forme.
S.R. : Là, c’est vraiment de la peinture sur papier et sur cellos, en plusieurs couches. Je ne voulais pas cerner les formes, faire en sorte que la couleur, les tons soient finalement travaillés par touches, par coups de pinceaux sans avoir des formes avec une ligne noire et nette.

C. : À l’avenir, vous vous voyez continuer dans cette voie plutôt que dans l’animation digitale ?
S.R. : Oui, pour l’instant je pense continuer dans l’animation de dessins et peintures. C’est une technique que j’affectionne davantage. Je pense aussi pouvoir aller plus loin, et j’aimerais approfondir. Là, j’essaye de commencer un nouveau projet personnel de film d’animation. Pour l’instant, j’en suis encore au stade de recherches d’écriture. Sinon, je cherche à travailler dans l’animation ou dans l’illustration, mais j’aimerais beaucoup rester dans mon domaine. Et Bruxelles est une ville qui me plaît beaucoup et dans laquelle j’ai envie de rester.

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