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Timgad de Fabrice Benchaouche

Publié le 07/02/2017 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

La Victoire au bout du ballon

Lorsqu’il foule le sol algérien, Jamel, jeune archéologue français d’origine algérienne, vient effectuer des fouilles sur les sublimes ruines romaines du village de Timgad. Tout un glorieux passé s’offre à lui mais c’est le présent, tristounet, qui lui tombe dessus lorsqu’il est propulsé malgré lui entraîneur de l’équipe de foot locale des juniors, surnommée « La Juventus de Timgad ».

TimgadJamel se retrouve à entraîner onze joueurs de 12 ans au quotidien difficile, des gamins qui ne jurent que par Zidane et Thierry Henry, qui n’ont ni maillots ni chaussures, mais qui dribblent avec talent. Lorsque le père de l’un d’eux retire son fils de l’équipe pour l’inscrire dans l’équipe rivale, « Le Real de Batna », Jamel, à court d’effectifs, est confronté à un dilemme. Il déguise la jeune Naïma, seule fille du village, en garçon, ses cheveux coupés très court faisant illusion ! Mais Jamel et Naïma oublient que la religion musulmane interdit la pratique du sport à la fillette ! Le prochain match de foot relance donc un débat archaïque sur la place des femmes dans la société, d’autant plus que Naïma s’avère très douée sur le terrain ! Entretemps, Jamel tombe amoureux de la belle Djamila, jeune veuve élevant seule le petit Mustapha, l’un des joueurs. Le gamin voit cet amour naissant d’un mauvais œil. Dans le village, Djamila est surnommée « la balafrée » à cause d’une cicatrice au visage reçue lors d’un attentat où fut tué son mari. La simple suggestion de l’union entre une veuve et un étranger choque terriblement les villageois. Ceux-ci finiront-ils (selon les mots de Jamel) « à sortir du Moyen Age », à confronter leurs préjudices et à modifier leurs mentalités archaïques, à évoluer et cohabiter avec des idées, des forces et des influences nouvelles ? La victoire des enfants, susceptible de rejaillir économiquement sur la région, en dépend !

Entre des vestiges antiques et les plaies des luttes récentes, Jamel découvre à Timgad les racines et les jeunes pousses d’une Algérie qui se rêve enfin en paix… et championne de foot ! Timgad est un véritable paradoxe : renommée pour ses ruines classées au patrimoine de l’UNESCO, véritable mine d’or pour les scientifiques internationaux, ses habitants doivent néanmoins lutter quotidiennement pour vivre et s’inventer un avenir, tout en essayant d’affronter les inégalités sociales qui déchirent le pays, même dans le sport ! Plus qu’un simple village, Timgad est un microcosme de l’Algérie, de sa mémoire collective, de ses aspirations et, par la présence de Jamel, de son dessein de réconciliation avec la France.

Très objectivement, rien ne devrait fonctionner dans Timgad, version algérienne d’un genre cinématographique archi-rebattu : la comédie sportive familiale mettant en scènes de braves enfants qui vont défier les probabilités et arriver, grâce à leurs efforts, leur passion et leurs grands cœurs, à une victoire que personne n’attendait. Les américains pondent ce genre de film à la chaine. Mais ici, l’aventure sportive et la passion du foot, en retrait, ne sont qu’un prétexte pour se concentrer sur une fresque de quartier, une comédie enjouée, réaliste et sociale, qui fait le portrait humoristique d’une poignée d’adultes hauts en couleur, rescapés d’une violente attaque terroriste ayant fait de nombreuses victimes au sein de leurs familles huit ans plus tôt. Parmi eux, on trouve Mokhtar, l’autre personnage principal du film, le vieil instituteur du village. Veuf inconsolable ayant perdu sa femme et son fils de manière tragique, il a retrouvé goût à la vie grâce à la proximité de ses élèves. Sévère mais bienveillant, il donne ses cours d’histoire en les animant comme un commentateur sportif ! Il y a également l’épicier radin, qui arnaque ses clients en augmentant régulièrement ses prix pour des raisons inventées de toutes pièces, ainsi qu’un imam qui tente, sans succès, de ramener Mokhtar, devenu laïque et anti-religion depuis les attentats, vers l’Islam.

TimgadAvec ces personnages très attachants, ainsi qu’une jolie histoire d’amour amenée avec subtilité (entre Jamel et Djamila, interprétée par la très belle Myriem Akheddiou), Timgad s’avère être une bonne surprise dont la modestie et la capacité à aborder de nombreux sujets graves sur un ton bon enfant et volontairement naïf sont les atouts principaux. L’immigration, l’intégration, l’inégalité des sexes, les droits des femmes, la religion, le rapport difficile entre tradition et modernité, la sauvegarde du patrimoine culturel d’un pays à l’histoire fracturée… Tout y passe dans une succession de saynètes aux dialogues amusants ! Dans l’ensemble, les effets comiques fonctionnent très bien, notamment lorsque, la nuit avant un important match de qualification, les chèvres du petit Mustapha mangent les chaussures de toute l’équipe… obligeant les enfants, pieds nus sur le terrain, à se peindre les pieds en noir pour faire illusion.

Certes, nous sommes dans le cadre d’un premier film artisanal, bourré de bons sentiments, à la réalisation peu assurée et sans grands moyens. Le manque d’expérience du réalisateur, qui signe son premier long, est évident mais, paradoxalement, apporte au film un charme suranné. Ainsi, pour illustrer que Jamel est un important archéologue ayant fait de longues études, Fabrice Benchaouche filme son acteur devant les ruines avec une brosse à fossiles et un air concentré, « à la Ed Wood »… Le dirigeant de l’équipe adverse est un méchant odieux et caricatural sorti tout droit d’un dessin animé… Voilà pour les maladresses. Mais malgré son statut de « tout petit » film, Timgad est une plaisante ode à la tolérance et à la solidarité via une passion commune et universelle : le foot ! Véritable bouffée d’air frais, Timgad célèbre la notion d’espoir, symbolisée par l’enfance et son innocence. sans tomber dans le pamphlet moralisateur et bienpensant. Un ballon pour sauver des ruines !… voilà bien une histoire aussi originale que cocasse !

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