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Vania Leturcq - "L'année prochaine"

Publié le 15/03/2014 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Vania Leturcq était en plein montage de son premier long métrage, L'Année prochaine, dans les locaux de son producteur, Hélicotronc. Nous l'extirpons de sa pièce capitonnée le temps d'une réflexion sur le tournage qui avait pris fin quelques semaines auparavant.

Cinergie : L'Année prochaine est l'histoire de deux jeunes filles à un tournant de leur vie.
Vania Leturcq : C'est l'histoire de deux amies d'enfance, Clotilde et Aude, 18 ans, meilleures amies depuis toujours et qui viennent d'un petit village de province qu'elles n'ont jamais quitté. Le film commence quand elles vont finir l'école et devoir décider ce qu'elles vont faire l'année prochaine. Clotilde ne s'est jamais sentie à sa place dans son village et a toujours eu envie de partir alors que son amie Aude s'y sent bien : elle a des amis, un copain, elle n'a aucune réelle envie de partir, ni forcément une ambition précise. Clotilde prend la décision de les inscrire toutes les deux à Paris pour faire leurs études là-bas, pour quitter le village. Une va partir par désir, l'autre va suivre son amie par amitié. Le film raconte ce que devient leur amitié durant cette première année à Paris, sur ce qu'elles veulent devenir, ce qu'elles veulent vraiment être et sur leurs différences.

Vania Leturcq, réalisatriceC. : Pourquoi avoir choisi Paris et la France pour situer cette histoire, toi qui est Belge ?
V. L. : Paris est une ville emblématique, c'est une ville où on va pour réussir et où, neuf fois sur dix, on se casse la figure. Je voulais que les personnages soient confrontés à ça.

C. : Comment as-tu vécu le tournage de ce premier long métrage ?
V. L. : J'ai eu la chance d'être très libre. Je travaille avec Anthony et avec Hélicotronc depuis toujours - en tout cas, pour mes films de fiction. Ce que j'aime beaucoup, c'est qu'ils me laissent beaucoup de liberté de choix d'équipe. J'ai ma petite équipe avec laquelle j'aime bien travailler, que je connais depuis l'IAD, et qui sont aussi mes amis. Je ne voulais pas en changer parce que je passais au long métrage. C'était important pour moi d'être entourée de certaines personnes et de pouvoir continuer à travailler comme on l'a toujours fait, sans se mettre de pression. Le fait de ne pas avoir eu beaucoup de moyens a permis justement d'avoir moins de pression.

C. : As-tu tourné ce film en pellicule ?
V. L. : Non, j'ai tourné en numérique. Alexa est une caméra numérique de très bonne qualité. Je n'ai tourné qu'un court métrage en pellicule, La Maison, et le reste était en numérique.

C. : Est-ce très différent de tourner en numérique plutôt qu'en pellicule ?
V. L. : Honnêtement, oui. C'était très agréable de tourner le film La Maison, avoir cette concentration et savoir qu'on a que quelques prises et qu'on doit tous être prêts au même moment, au même endroit. Le rendu est différent. Sur La Maison, c'était la première fois que j'avais le rendu que je voulais.

Pour ce film, le numérique a été choisi pour des raisons économiques, mais aussi en fonction du projet. On savait qu'on devrait prendre beaucoup de prises et qu'on aurait peu de temps pour le faire. On a fait le film avec très peu d'argent, du coup, on n'avait pas le nombre de jours de tournage qui était nécessaire, on n'avait pas les moyens techniques nécessaires non plus, même si on s'en est très bien sorti. On adapte la manière de tourner, on pense la mise en scène en fonction des moyens qu'on a. On a choisi de travailler avec une équipe plus légère, tout le film a été tourné caméra à l'épaule, sauf quelques petits plans, avec une volonté de liberté de mouvement, une liberté de tournage.

C. : Après le film d'Amélie van Elmbt, La Tête la première, tourné dans les mêmes conditions que tu décris pour ton film, as-tu l'impression que le cinéma des jeunes réalisatrices s'est décomplexé ?
Vania Leturcq, réalisatriceV. L. : J'ai l'impression que ça fait 10 ans que ça fonctionne comme ça ! C'est mon école. Mon premier court métrage, je l'ai produit avec rien du tout, et ça a toujours fonctionné comme ça pour moi. Ça ne m'a jamais complexé de faire des films sans argent. Mon producteur n'a jamais eu peur de ça, il ne cherche pas l'argent, il cherche à faire des films, et c'est aussi ce que je veux. Dans mes films, il y a toujours eu peu de personnages. Dans celui-ci, il y en aura plus.

C. : Ces deux jeunes filles arrivent donc à Paris, ville où on peut facilement se faire manger. Est-ce que malgré ça, le film reste optimiste ?
V. L. : J'avais envie de parler d'une amitié comme on parlerait d'une histoire d'amour, de la fin d'une histoire d'amitié comme la fin d'une histoire d'amour, avec toutes ses difficultés, ses douleurs et, en même temps, tout ce qu'il y a de beau dans la relation de ces personnes qui se connaissent depuis toujours et qui s'aiment profondément. Je suis convaincue qu'une histoire peut très bien fonctionner à un lieu donné, à un moment donné et, déplacée dans un autre contexte, ne plus fonctionner. C'est ce qui se passe ici. Ces deux filles, on ne doute pas qu'elles s'aiment, mais elles se retrouvent toutes les deux dans un contexte tellement différent que leur équilibre à deux est transformé et fragilisé. Je voulais que le film soit optimiste dans le sens où même si leur histoire se termine, celle-ci est vraiment formatrice. C'est ça que je voulais à travers ce film : parler d'une rupture sans que ce soit tragique. C'est difficile, mais c'est aussi beau parfois d'apprendre à se détacher de personnes et d'apprendre à continuer tout seul. Je voulais qu'elles soient confrontées à la rupture la plus déchirante qu'elles n'aient jamais vécue, mais que celle-ci soit une ouverture vers leur vie à chacune.

C. : Est-ce que tu as voulu faire un film psychologique, explorer des caractères ?
V. L. : Oui, j'imagine que je l'ai fait par la force des choses, mais je suis plus attachée aux sensations, aux émotions et si je peux me passer de mots, je préfère. Je préfère qu'on sente les choses par un regard, une posture, un éloignement physique... Là, forcément, vu que c'est un long métrage, il y a plus de dialogues, mais il s'agit d'être au plus proche de leurs émotions.

C. : Tu savais quelles émotions il fallait qu'elles interprètent ?
V. L. : J'ai écrit deux parcours de personnages qui, pour moi, étaient très clairs, mais ce que j'aime, c'est qu'à un moment donné, les personnages m'échappent et deviennent ce que les comédiennes vont y apporter. Les personnages ne sont pas figés, on voulait pouvoir tourner des variations pour pouvoir, au montage, dessiner au plus juste ces deux parcours et leurs émotions.

C. : C'est un film qui se crée au montage plutôt qu'à la préparation ?
Vania Leturcq, réalisatriceV. L. : Non, parce que je l'ai écrit pendant des années mais, au montage, on le redécouvre. L'équipe savait que je voulais des choses que l'on avait pas le temps d'avoir. Du coup, on a fait beaucoup de plans volés par exemple. Dès qu'il y avait quelque chose qui était bien, un joli moment entre les personnages, on y allait, et on filmait. Il y a plein de petites choses comme ça qu'on a volées et qui nous servent beaucoup. C'est plutôt agréable. On a vraiment des possibilités, mais on ne s'est pas perdu en essayant de tout explorer non plus. Ce qui compte maintenant, c'est d'entrer dans la subtilité, rendre ces personnages vivants et dans ce travail de subtilité, on a matière à changer d'avis. Heureusement, mon monteur me cadre parce que si on me laissait faire, je voudrais tout essayer.

C. : As-tu répété avant avec les comédiennes ?
V. L. : Nous avons répété mais pas autant que je l'aurais voulu et c'est tant mieux. Je voulais faire des répétitions pour me rassurer et les comédiens me disaient : « Ne t'inquiète pas, on verra au tournage ». À 4 jours du tournage, les deux filles sont venues à Bruxelles pour travailler, faire plein d'impros autour de leurs personnages. Je pense que ça les a nourri et que ça m'a appris à les filmer, à les voir, à les connaître, à connaître leur visage. J'avais besoin de sentir leur manière de bouger... afin de mieux les filmer. Ce n'est pas la même chose de filmer un profil ou l'autre. Malgré ça, il est clair que les personnages se sont créés au tournage.

C. : Comment as-tu choisi tes comédiennes ?
V. L. : Constance Rousseau joue le rôle de Clotilde et je l'avais vue, adolescente, à 15 ou 16 ans, dans Tout est pardonné. Je n'ai pas directement pensé à elle, mais je l'ai revue dans un court métrage qui s'appelle Un monde sans femme où elle était super. Au début, mon producteur voulait que je la rencontre et moi, je ne voulais pas, parce que je la trouvais trop jolie. Elle joue le personnage le plus dur des deux, le plus manipulateur, le plus renfermé. Avant de la choisir, je la trouvais trop douce aussi, mais je l'ai finalement rencontrée, et je lui ai dit cash mes a priori. Elle m'a répondu que c'est justement ça qui l'intéresse, d'aller ailleurs. Elle m'a aussi fait remarquer que ce serait redondant d'avoir une fille pas très jolie avec un physique difficile pour jouer le rôle ingrat. Là, on était vraiment d'accord, la dureté d'un personnage ce n'est pas le physique, c'est une attitude. Je voulais choisir les comédiennes ensemble, que ce soit vraiment des amies, mais la personne qu'on avait choisie pour le rôle d'Aude s'est désistée à la dernière minute et on a dû reprendre les recherches. Finalement, on a trouvé Jenna Thiam – je l'avais vue dans la série les Revenants et je l'avais trouvée incroyable. Entre les deux comédiennes, il y a vraiment eu un truc qui s'est créé. On aurait dit deux sœurs, mais pas faites dans le même moule et ça marchait complètement pour ce que je voulais faire.

C. : Comment choisit-on les noms de ses personnages ?
Vania Leturcq, réalisatriceV. L. : C'est venu comme ça. Le personnage de Clotilde est un personnage très réfléchi. Aude est vraiment dans les émotions, dans la spontanéité. Aude n'est pas quelqu'un qui a un plan de carrière, Clotilde, c'est tout le contraire. Je ne sais pas du tout comment c'est venu. Est-ce qu'elles s'appelaient déjà comme ça, à l'écriture ? Je crois que oui, à un moment, un prénom devient évident. Par contre, ça m'aide de ne pas prendre des prénoms de gens proches de moi, je ne pourrais pas. Dans le prénom Clotilde, il y a ce côté un peu « désuet », pas « cool » alors qu'Aude, ça coule... Clotilde est moins à l'écoute de ses émotions alors qu'Aude est vraiment quelqu'un de spontané.

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