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Baraque à frites - Fritkot de Manu Poutte

Publié le 09/07/2010 par Arnaud Crespeigne et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Dans le pic des frites


Fritkot, le dernier film de Manu Poutte nous a laissé pantois. Incroyable mais vrai, une friterie, okay, tout les belges connaissent. C'est même devenu la métaphore du pays. Mais Valerie, la patronne de la friterie véritable Fabrice Lucchini de la frite, là c'est la consécration babelair, du brusselair, non peut-être!

Des frites à la mayonnaise ou la bearnaise? De l'andalouse! Non, peut-être!

Entretien avec Manu Poutte et Valérie Lucchini qui s'y glisse mine de rien.

Cinergie : Ce qui nous a frappé d'emblée dans Fritkot ce sont les sons de ce quartier de Jette. On se croirait dans une rue aux Indes ou en ex-Indochine.
Manu Poutte : J'ai eut la même réflexion. J'ai beaucoup voyagé, comme tu le sais et je me suis dit en découvrant le quartier que ce que je cherchais dans le monde n'est autre que cette vie informelle que l'on rencontre dans la rue et que l'on ne trouve presque plus chez nous.
Il suffisait de passer au-delà du canal pour la découvrir à Jette. C'est une petite poche, une petite bulle mais je me demande si elle n'est pas due en grande partie à la friterie de Valérie. Il faut un lieu comme celui-là pour faire vivre la sociabilité sur cette place où se situe la gare. La friterie en Belgique est ce qui nous reste de la vie informelle que l'on ne découvre plus qu'en Orient, en Afrique ou en Extrême-Orient.

C. : Avec Fritkot tu n'est pas du tout dans le bref-bref du court-termisme mais dans la durée.
M. P. : Je voulais faire un film qui prenne le temps, qui n'ait pas peur de la durée parce que c'est un film sur les gens. Des gens que l'on ne voit pas au cinéma et qui ne cherche donc pas le spectaculaire. C'est un film tout simple sur leur vie quotidienne. Pour cela, la friterie était un formidable révélateur. Dans son Fritkot, Valérie qui prend tel une psychologue de quartier le temps d'écouter les gens, de parler avec eux et qui a une verve spontanée aime les gens. Dans le film, je vais vers les gens et j'apprends à les aimer avec elle. 

C. : Tu as filmé neuf mois, comme le développement d'un enfant?
M. P.  : Non, huit. (rires)

C. Cela donne une vérité au film. Valérie est toujours positive avec la vie. Lorsqu'elle se fait attaquer elle pense tout de suite à l'avenir et pas du tout à se plaindre.
M. P. : Elle a une philosophie de vie exemplaire à un certain niveau. Lors de cet épisode dont tu parles, où pendant la nuit, des gens ont voulus forcer sa friterie, elle dit juste "qu'il faut des voyous, on a besoin de tout pour faire un monde". Elle est philosophe ce qui ne l'empêche pas d' être aussi très piquante. Il lui arrive de retourner les gens. Il y a aussi sa façon de parler. Cela me réjouit d'entendre le brusselair. Je suis bruxellois dans l'âme. J'aime cette langue cette manière de parler, cette façon d'avaler la réalité.
Il suffit que je reste cinq minutes avec elle pour que je parle avec l'accent du ketje que je suis, non peut-être!

C. :Tu as fait pas mal de recherches avant de filmer la friterie de Valérie?
M. P.  : Valérie était la la personne idéale que je cherchais dans une friterie. C'est plus qu'un fritkot, c'est un endroit où les gens peuvent se confier. J'ai vu pas mal de friterie mais celle-ci correspondait --"C'est pas vrai, il faut pas croire tout ce qu'il dit" signale Valérie qui nous écoute entre deux clients achetant leur sachet de frites (rire de Manu : "tout ce que je dis est vrai, mainant") -- parce qu'elle n'était pas une industrie de la frite comme certaines le sont devenues. J'aurais pu le faire en province mais c'était plus excitant de le faire à Bruxelles dans un endroit que je ne connaissais pas que je découvrais comme si j'étais un étranger dans ma propre ville. Et le tout dans une langue que je croyais devenue folklorique où l'on parle spontanément un charabia flamand et français. Et bien non, peut-être, c'est, tout simplement, la langue quotidienne que l'on utilise à 10 kilomètres du Canal! Une découverte du monde tout près de chez moi. Je croyais connaître ma ville et je me rend compte que je ne la connait pas du tout. Il suffit de prendre le temps et d'explorer les interstices. 

C. : Tu m'as dit que tu avais rencontré des spécialistes de la frite.
M. P.  : Oui. On le mettra leurs analyses dans les bonus, si il y a un DVD, un jour. L'un d'entre eux, un sociologue et un historien nous a dit que la baraque à frites est le symbole de la Belgique. Un pays fait de bric et de broc, qui n'existe provisoirement que depuis peu de temps et qui correspond au tempérament des belges. Parce que ceux-ci s'infiltrent un peu partout en ne respectant pas vraiment les règles du jeu. Ils peuvent s'infiltrer dans le paysage et faire leur "brol", leur petite cabane. C'est plus ou moins autorisé. Il y a chez les belges un petit coté frondeur. Ce ne sont pas des rebelles ou des révolutionnaires mais ils savent s'arranger. Ce phénomène ne pourrait exister ni en Hollande, ni en France, ni en Angleterre. C'est impossible, tout y est réglementé. Il précise que la friterie n'existe qu'en Belgique et un tout petit peu, au nord de la France et au Luxembourg mais la Belgique est le coeur de la friterie. J'ai rencontré un peintre qui m'a dit : "je suis un homme de la nostalgie car les friteries sont en train de disparaître".Il a peint des centaines de friterie. La plupart des gens trouve cela laid. Mais c'est la beauté de cette laideur qui m'intéresse. 

C. : Le lien entre le football et la friterie est aussi très intéressant.
M. P.  : "Tu n'as qu'à venir à Anderlecht et tu vas voir le lien !", intervient Valérie; Rire de Manu.. C'est une supportrisse d'Anderlecht.

C. :Toi aussi, non?
M. P. : A fond. Le football est ce qui relie les gens fondamentalement entre eux aujourd'hui. Les coulisses de la friterie c'est le café Welkom puisque la télévision y retransmet les matchs. Les gens s'y réunissent pour les voir. A travers cela j'ai pu filmer les rituels communautaires qui nous réunissent et qui n'existent plus beaucoup aujourd'hui. Le foot est un endroit où les gens vibrent au même moment, partagent les choses, se laissent déborder, se lâchent. C' est magnifique. J'ai un grand plaisir à filmer cela.

C. : La passion de Valérie pour le foot est communicative et pas très répandue dans l'univers féminin....
M. P.  : Elle est à cent pour cent dans tout ce qu'elle fait. Valérie est passionnée. Elle est à l'aise n'importe où., avec n'importe qui. Je voulais filmer une friterie comme dernier lieu où il existe un mélange de classes sociales différentes. Un endroit où celles-ci peuvent encore se rencontrer . C'était mon idée de départ et je me suis rendu compte que cet endroit le permettait, pour mon plus grand bonheur. C'est aussi dû au fait que Valérie à une histoire personnelle dans lequel elle a traversé différents milieu sociaux. Elle est aussi à l'aise avec des gens venus de milieux populaires qu'avec les gens aisés ou qu'avec eux issus de la classe moyenne. Pour elle cela ne fait aucune différence. Je pensais que c'était le propre d'un lieu comme cette friterie et qu'il serait dommage de perdre ces lieux conviviaux parce que les cafés ne sont pas vraiment des endroits où les gens se mélangent. Ils ont tous un certain genre. On les connait, les cafés branchés, les cafés populaires, les cafés de supporters. Il est rare qu'il y ait encore une mixité. Au Welkom aussi il y a une mixité. Mais cela est propre à ce quartier de Jette et propre à la friterie. Les gens de toutes les conditions y vont comme aux friteries de Saint Job (Uccle) ou de Flagey (Ixelles).

C. : Valérie vient du cirque...
M. P.  : Non elle a été foraine. Elle vient d'une famille de forains. Le petit théâtre. L'espace clos dans un lieu ouvert qui fait que tu fait se révéler les gens. Il faut voir la facilité avec laquelle ceux-ci parlent à Valerie. Elle tire les ficelle. Mais pour cela il faut une bonne mise scène et une bonne actrice. Les forains sont des gens du voyage qui ont la facilité de pouvoir s'adapter ("on est obligés" intervient Valérie qui à une oreille partout, "on va quelque part, on doit s'adapter en deux trois minutes à la mentalité des gens, au climat, si on ne sait pas faire cela il ne faut pas voyager"). Valérie résume bien, poursuit Manu.
Valérie : "Il est chouette, vraiment chouette, Monsieur (s'adressant à nous), il a souffert avec moi"
Manu éclate de rire : J'ai pas souffert ou si peu. Merci, mangez des frites. Personnellement j'y ajoute de la sauce andalouse.
Valérie . : Il a grossi avec moi.
Manu : Non j'ai tout appris sur les frites et la bonne saison de la pomme de terre.

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