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Rencontre avec Céline Brouwez, coordinatrice de la Fondation Chantal Akerman

Publié le 04/04/2024 par Fred Arends et Cyril Desmet / Catégorie: Entrevue

Cinematek propose une rétrospective de l'intégralité des films de Chantal Akerman. De ses premiers essais pour passer l'examen de l'INSAS jusqu'à No Home Movie (2015), c'est une occasion unique de re-découvrir une œuvre puissante et protéiforme. Ce sera également la mise en lumière des films qui l'ont marquée et les cinéastes qu'elle a influencés. Rencontre avec Céline Brouwez, coordinatrice de la Fondation Chantal Akerman.

Cinergie : Pouvez-vous nous parler de la Fondation Chantal Akerman ?
Céline Brouwez : La fondation a été créée par Sylviane Akerman, la sœur de Chantal Akerman, matérialisant le désir de Chantal Akerman de voir son travail préservé et pérennisé. Chantal Akerman avait jeté les bases de cette fondation et elle voulait que cette fondation se fasse en collaboration avec la Cinémathèque royale de Belgique. Il a y en effet une longue histoire, une longue tendresse entre la Cinémathèque et Chantal. Elle venait ici en tant que cinéphile fin des années 60. Elle avait dans la figure de Jacques Ledoux (fondateur de la Cinémathèque, NDLR) rencontré un homme qui l'a toujours stimulée en tant que cinéaste et en tant que personne. Tous les conservateurs suivants ont toujours joué un rôle important lorsqu'elle était cinéaste confirmée. Elle  a notamment fait un film Rue Mallet-Stevens (1986) qui est une demande de soutien pour l'institution. Il y a vraiment une relation d'amitié, une relation professionnelle, une volonté de conservation de la part de Jacques Ledoux qui, dès le début, voulait préserver ses films, s'inquiétait des formats et des négatifs, et la soutenait. En 1996, quand il y a eu la première installation, D'Est, présentée à Bozar, la Cinémathèque faisait en même temps une première grande rétrospective comme celle présentée actuellement, mais ses films étaient plus éparpillés. En 2013, Chantal Akerman avait déjà débuté la restauration de ses films avec Cinematek et elle en a confié la suite. Ce travail a commencé avec Hôtel Monterey (1972).  Elle a ensuite suivi les étapes de ses premiers films avec Saute ma ville(1967), News From Home (1977), Je, Tu, Il, Elle (1972) jusqu'à Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1975). Ce travail se poursuit aujourd'hui avec ses collaborateurs, avec ses proches, les directeurs de la photographie, les techniciens du son, etc. La Fondation s'entoure de toutes ces personnes pour pallier son absence.

 

C. : Comment avez-vous pensé et organisé cette rétrospective totale de son œuvre ? Il y a aussi une carte blanche posthume à Chantal Akerman. Comment l'avez-vous imaginée ?
C. B. : Je voulais vraiment rejoindre le propos de l'exposition coordonnée par Laurence Rassel : voir Chantal Akerman au travail. D'ailleurs le sous-titre de l'exposition est « Chantal Akerman en création ». Il me tenait à cœur de ne pas faire une simple rétrospective 1967-2015, mais d'intégrer tous ces films qui ont été importants pour elle, qui l'ont accompagnée, des films qui lui ont permis de s'éloigner de la fiction comme le cinéma expérimental, des films qui ont marqué son travail à tout jamais. Pour sa carte blanche, c'était formidable car j'ai pu la faire avec Marilyn Watelet qui est son amie de jeunesse avec qui elle notamment mené l'aventure de Paradise Films, leur maison de production, et par ailleurs, je pouvais piocher dans toute la collection de Cinematek. Sa carte blanche est assez classique, elle reprend des films qu'elle-même avait cités et qui faisait partie de l'hommage rendu en 2020 par la Cinetek[1] sous le titre « Les Films de sa vie ». Lorsque j'ai fait cette carte banche pour la Cinetek, j'avais déjà demandé à Claire Atherton[2], à Marilyn Watelet et à Sylviane Akerman de nous confirmer que les films choisis étaient les bons. Ensuite nous avons fait tout le travail pour retrouver ce qu'elle dit à propos de ces films. Bien entendu, il y aura Pierrot le fou (1965) de Jean-Luc Godard que nous avons intimement lié à Saute ma ville parce que nous sommes en 1968 et que Saute ma ville est un film de révolution. La rétrospective est chronologique et on suit aussi le parcours de vie et le travail de Chantal Akerman. Elle voit Pierrot le fou à Bruxelles, ensuite elle part aux Etats-Unis, on met donc bien sûr les films qu'elle a vus là-bas dont La Région centrale (1971) de Michael Snow qui est une référence pour elle et les films de l'avant-garde new-yorkaise pour bien montrer le milieu dans lequel elle évoluait. Ensuite, on suit le rythme des films et ce qui est très important ce sont les dossiers de presse de ses films, les notes d'intention où elle parle de tous ces films. Par exemple, on sait qu'elle aime Bresson, mais met-on Pickpocket (1959) ou Mouchette (1967) ? On choisit Mouchette car elle fait le rapprochement entre le « Je » dans Je, Tu, Il, Elle, elle dit « c'est comme une sorte de Mouchette ». Voilà un peu comment nous avons procédé. Tous ces liens-là, ces jeux, ces dialogues ont été faits grâce au travail sur les archives.

 

C. : Comme l'exposition, la rétrospective fonctionne comme un véritable montage, il y a des raccords entre le films, entre les cinéastes qui l'ont influencé et ceux qu'elle a influencés.
C. B. :
Absolument, c'est comme une caisse de résonance. Il y a notamment Todd Haynes dont elle aimait beaucoup Far From Heaven (2002), il y a Gus Van Sant – les deux cinéastes sont de grands admirateurs de Chantal Akerman – dont elle appréciait également le travail.

 

C. : Comment se déroulera la rétrospective ?
C. B. : La rétrospective est pour le moment programmée jusque fin mai. On s'arrête en 1989 dans la première partie. Il y a beaucoup de collaborateurs de Chantal qui viennent, par exemple Caroline Champetier[3], Luc Benhamou qui a travaillé sur plusieurs films, Aurore Clément qui nous fait le plaisir de venir, il y aura Eric De Kuyper qui a été son co-scénariste qui viendra présenter un de ces films. Je voulais aussi avoir plus de voix belges et pas toujours les mêmes voix qu'on entend et de resituer Akerman à Bruxelles, en Belgique. Il y aura donc encore de belles surprises à venir en juin et juillet. 

Il y aura également 3 belles soirées. L'une autour de Je, Tu, Il, Elle car c'est aussi le devoir de la fondation de respecter les positions de Chantal Akerman et sa volonté de ne pas être labellisée comme une cinéaste féministe, une cinéaste femme, une cinéaste queer, etc. Et donc on réfléchit avec les responsables du rendez-vous LGBT de Cinematek autour de la place de Je, Tu, Il, Elle dans le cinéma queer, Akerman refusant que ce film circule dans les festivals LGBT. Il y aura aussi Laura Mulvey invitée à Bozar qui viendra présenter Golden Eighties (1986) on accueille aussi Sharon Lockhart et Anouk De Clercq qui ont participé à la publication autour de l'exposition et qui revendiquent l'héritage d'Akerman dans leur travail.

 


[1] La Cinetek, plate-forme de streaming où les films proposés sont choisis par des cinéastes. www.lacinetek.com      

[2] Claire Atherton est la monteuse des films de Chantal Akerman

[3] Directrice de la photographie de Toute un nuit (1982)

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