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Babysitting Story de Vincent Smitz

Publié le 15/05/2014 par Edith Mahieux / Catégorie: Critique

En ouverture du cycle des courts métrages belges au BIFFF le 11 avril, le film de Vincent Smitz a placé la barre haut pour la sélection des 14 films présentés. Réinvention des codes du film d’horreur, ce court métrage en avant-première mondiale démontre, en un tournemain, qu’il est possible de faire de bons films de genre en Belgique. Intelligent et bien mené, Babysitting Story, a surpris aussi bien le geek fana de film d’horreur que le spectateur moins averti.

Babysitting Story de Vincent Smitz« Ecoute Vincent, ce n’est pas un problème d’écriture, mais tout ce qui est film de genre, fantastique, science-fiction etc, on ne produit pas1 ! » Le jugement de la Commission semblait catégorique et pourtant, fin 2013, le film, produit par Artémis, est fini. Il a finalement convaincu le Centre du Cinéma de la Fédération Wallonie-Bruxelles. On voit que la Commission s’ouvre, prend des risques en dehors du naturalisme belge. Et elle a raison : le film de Vincent Smitz est une vraie réussite.

Ancien étudiant de l’IAD, le jeune réalisateur hutois a toujours voulu sortir des sentiers battus en s’accrochant à son envie de films d’horreur. Il avait déjà été remarqué par un court métrage autoproduit en 2011, Finir en Beauté, l’histoire grinçante de deux petits vieux ayant décidé de mettre fin à leurs jours en s’assassinant mutuellement. La couleur était déjà annoncée !

Un soir d’orage, Julie et Sarah ont rendez-vous pour un babysitting chez la tante d’un de leurs amis. Le père leur présente le bébé bien endormi, et s’en va. Les deux filles s’installent au coin du feu, et la plus chipie des deux profite de la naïveté de la seconde pour lui raconter une histoire qui fait d’autant plus peur qu’elle concerne l’ami qui les a envoyées dans cette maison ce soir-là. S’instaure alors un dispositif filmique très bien agencé : le récit de l’adolescente se transforme en film dans le film dans lequel les deux jeunes filles sont témoins directs du récit très inquiétant qui se déroule devant leurs yeux, et les nôtres.

Si le film d’horreur plaît toujours autant aujourd’hui qu’il ne plaisait dans les foires au début du XXème siècle, c’est sûrement parce qu’il s’amuse sans cesse de nos peurs les plus anciennes. Ici, le court métrage reprend avec finesse les codes pour notre plus grand plaisir : on craint pour l’innocence féminine, les bruits sourds du tonnerre résonnent dans notre poitrine comme un appel au danger, et le cadre, souligné par le fameux travelling-arrière qui ouvre peu à peu l’espace autour de personnages d’abord cadrés en plans serrés, nous rappelle que notre représentation de l’espace se limite à 360 degrés, et que le pire peut toujours surgir derrière les jeunes filles à n’importe quelle seconde ! Vincent Smitz fait bon usage des effets spéciaux et le maquillage d’orfèvre nous faire croire à cet univers d’effroi.

Seulement, il va plus loin, et c’est précisément cette deuxième direction qui donne au film toute son étoffe. Contrairement au spectateur des films primitifs, le spectateur contemporain ne se laisse plus si facilement avoir par les trucages et autres effets de mise en scène. Or, la peur provient de ce à quoi l’on croit. Si le spectateur refuse d’y croire, la terreur s’évapore et laisse place aux rires. Au BIFFF, la salle, qui connaît par cœur les codes, ne reste pas dans le silence religieux convenu, mais s’adresse directement au protagoniste pour lui indiquer les dangers à venir. Il devient donc de plus en plus difficile de maintenir cette ambiguïté continue propre au fantastique, située entre réel et imaginaire.

Si le jeune réalisateur parvient ici à tenir la tension jusqu’au bout, c’est grâce à cette belle idée d’entremêler la narration filmique et le récit de Sarah dans deux espaces distincts : la maison du babysitting et le hangar perdu dans la campagne désolée. Sarah prend un malin plaisir à donner le plus d’éléments crédibles à une histoire qui est sans cesse remise en question, et alors qu’au début, on réagit comme Julie, en refusant d’y croire car ce n’est pas rationnel, on finit par se laisser prendre au piège sans plus parvenir à distinguer la réalité de la fiction.

On regrette malgré tout que la dernière image apparaissant au générique rompe brutalement avec cette ambiguïté latente. L’avant-dernier plan fait froid dans le dos, avec une fin poignante digne de la chute qu’on attend d’un court métrage. Apporter une solution à l’énigme brise le flou inhérent au genre. Mais, au vu de la réussite de ce film, on espère que l’erreur du débutant ne se reproduira pas.

Le film a reçu le Prix de la Critique UPCB et est sélectionné aussi au Brussel Short Film Festival. Vincent Smitz se rendra à Cannes dans le cadre du Short Film Corner.


1 Extrait d’une interview donné par Vincent Smitz et l’actrice Sophie Breyer pour Radio Equinoxe

NB : Finalement, le dernier plan, qui faisait aussi débat au sein de la production, a été supprimé pour la tournée du film en festivals. On ne peut que s’en réjouir !

 

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