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Interview Lucas Belvaux sur le tournage de Pas son genre 

Publié le 15/06/2013 par Anne Feuillère / Catégorie: Entrevue

Les histoires d’amour finissent toujours…

Entre deux installations de spots et trois interpellations de son chef opérateur ou de sa scripte, dans un fauteuil de coiffeur, devant les glaces rutilantes, Lucas Belvaux prend la pause pour nous et passe devant le micro. Nous sommes à Arras, sur le tournage de son nouveau film, Pas son genre. Adapté du roman de Philippe Vilain, Lucas Belvaux semble avoir troqué les flingues et les cris pour une histoire d’amour, interprétée par Emilie Dequenne et Loïc Corbery, que les différences sociales et culturelles vont mettre à mal. Petits points d’éclaircissements entre deux mises au point et trois spots…

Cinergie : Quel est l’enjeu de la scène que vous tournez ?
Lucas Belvaux : C’est la première scène où on découvre le salon de coiffure. C’est la vie de ce salon, l’univers de Jennifer en gros. Clément et Jennifer habitent des univers très différents, et cela se raconte par le travail évidemment.

C. : On vous a vu installer les lumières à l’extérieur puis à l’intérieur, installer la Dolly puis mettre des rails… La mise en place semble compliquée…
L.B. : C’est toujours un peu compliqué quand il y a des miroirs. On ne doit pas voir les projecteurs, alors, il faut monter la lumière, faire des ponts… Et puis, comme c’est la première fois qu’on voit le salon de coiffure en activité, c’est bien de le rendre vivant, que tout bouge et que tout se présente en un seul mouvement, sans trop de découpage. A priori, on va faire un plan-séquence. J’essaie de relier cette scène à la séquence précédente qui se passe dans la rue avec d’autres personnages. Ils passent devant la vitrine, on commence donc avec eux dehors, et c’est eux qui nous amènent dans le salon de coiffure. Mais les deux personnages ne se voient pas. Il n’y a pas de connexion entre eux.lucas Belvaux, réalisateur

C. : Vous adaptez à nouveau un livre. Comment avez-vous découvert le roman de Philippe Vilain ?
L.B. : J’en ai entendu parler à la radio. J’ai tout de suite eu l’impression que cela pouvait faire un beau film. Je l’ai acheté, je l’ai lu, et voilà. Une adaptation, c’est forcément quelque chose qui se passe… - comment dire ?  - naturellement… Ce n’est pas une idée qui arrive et qui se nourrit petit à petit. Il faut que l’envie soit immédiate. Il y avait deux très beaux personnages, et leur rencontre était forte. C’est ça qui m’intéressait. Il y a des personnages périphériques qui ont leur importance, mais l’histoire se concentre sur eux.

C. : Comment les voyez-vous ?
L.B. : Jennifer est un personnage chaleureux, vivant, c’est ce qui la qualifie le mieux, je crois. Elle vit tous ses sentiments pleinement, elle est maîtresse de sa vie, consciente, et elle ne se laisse pas faire.
Lui est plus dans le contrôle. C’est quelqu’un qui se réprime, qui ne se laisse pas aller. Il subit une autre forme de violence sociale. Il a une espèce de surmoi surdéveloppé. Il reste dans ses codes et il s’interdit beaucoup de choses, alors qu’elle ne s’interdit rien, qu’elle suit son plaisir et son bonheur quand il y en a. Partout où il y a du bonheur à prendre, elle le prend.

C. : Vous avez le sentiment de réaliser un film différent de vos derniers films ?
L.B. : Pas vraiment… C’est un film plus joyeux que les trois précédents, mais moins joyeux que Pour rire par exemple qui était une comédie. Mes trois derniers films étaient évidemment des films noirs. Ici, ce n’est ni une comédie, ni un film noir, ni un vrai mélo. C’est un film qui… - je ne dirais pas qu’il ne ressemble qu’à lui-même, parce que c’est le cas de beaucoup de films, - mais ce n’est pas un film typé. En même temps, je n’ai pas l’impression de changer vraiment de cinéma. Ce qui est différent de mes autres films, où il y a finalement beaucoup d’histoires de couples, c’est qu’ici, il y a des scènes d’amour, des scènes sexuelles. C’est nouveau pour moi, car je n’en ai jamais filmées. Mais finalement, que ce soit une scène d’amour ou autre chose, ce qui est important, c’est ce qui se raconte à l’intérieur, les rapports entre les personnages et les enjeux dramatiques. Cela se filme à peu près comme le reste. Il y a la question du corps, de sa représentation, et le rapport des acteurs à tout ça. Ça a à voir avec l’intime, et même le très intime, il y a toujours un enjeu, au moins pour les acteurs. Et dans le film, ça doit être intense. C’était ça la difficulté, peut-être : plus pour les acteurs que pour moi. Pour moi, la difficulté, c’était de les mettre à l’aise le plus possible, qu’ils se sentent bien. C’est une histoire d’amour qui commence, donc c’est forcément intense. Mais à partir du moment où ces scènes ont une fonction dramatique dans le film, on les filme comme d’autres scènes dramatiques, et voilà. Elles racontent quelque chose…

C. : Comment avez-vous choisi vos deux comédiens ?
lucas Belvaux, réalisateurL.B. : Comme toujours, parce que j’ai considéré qu’ils étaient les meilleurs pour ces rôles. J’ai l’impression qu’ils allaient de soi. J’ai vu plusieurs acteurs pour chacun des rôles, j’en ai imaginés d’autres, et puis, au bout d’un moment, le choix se fixe sur ceux qui sont les plus évidents. Un casting, c’est toujours une alchimie délicate… Il faut aussi que les gens fonctionnent ensemble. En même temps, tant qu’on ne tourne pas, on ne sait pas vraiment. Il y a quelque chose d’un peu théorique à la base. Et puis, en général, quand on les voit ensemble pour la première fois, ils sont déjà choisis. Là, ça commence à sentir la fin. À la fin de la semaine, Emilie aura terminé. C’est joué maintenant. Et ça correspondait très exactement à ce que je voulais. Ils sont épatants. Ils sont vraiment formidables, tous les deux, chacun dans leur travail et dans leur relation. Je suis très content et confiant.

C. : Est-ce que le tournage a fait évoluer votre film ? Son histoire ou la vision que vous en aviez ?
L.B. : Non, je ne change jamais l’histoire de mon film. Sinon, je n’écrirais pas de scénario (rires !) Et puis, j’ai adapté ce film à partir d’un roman, et il y avait une histoire qui était construite, qui se tenait, qui était très bien, qui me plaisait. Je n’ai aucune raison de changer quoi que ce soit.

C. : Alors la fin est terrible…
L.B. : Mais non, elle n’est pas terrible ! C’est la fin d’une histoire d’amour (rires). C’est une histoire plutôt triste, oui, mais en même temps, il n’y a pas mort d’hommes, pas d’assassinat, pas de sang, ça va, c’est une histoire de la vie. C’est terrible parce qu’on est ému, qu’on l’aime bien, mais en même temps, elle s’en remettra, elle en a vu d’autres. Et lui aussi. La fin est censée être émouvante. Mais ce n’est pas un drame.

C. : Mais la perte d’un amour, d’une certaine manière, n’est-ce pas plus terrible que ces autres violences que vous avez filmées dans vos films précédents ? Qui racontaient la rage, la fureur, la révolte ?
L.B. : J’ai fait des films sur la violence et sa représentation au cinéma. Ici, il s’agit d’autre chose, d’une violence intime. Ce n’est pas un film violent ! Il y a des traces de violences, mais ça n’a rien à voir. Aujourd’hui, dans notre société, il y a une violence à basse intensité, à bas bruit, je dirais. Elle n’est pas nécessairement vécue comme telle, mais pourtant, ça en est. C’est une violence sociale qu’on vit au quotidien, à laquelle on s’est habitué et qui a l’air d’aller de soi. Ce qui est grave, c’est qu’on la vive sans plus la voir…

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