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Les Enfants du Borinage - Lettre à Henri Storck de Patric Jean

Publié le 01/10/1999 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

En 1933, Henri Storck et Joris Ivens réalisaient Misère au Borinage, véritable pavé dans la mare de la paix sociale chère à la bourgeoisie d'alors. Ils y soutenaient les revendications et les luttes d'une classe ouvrière vampirisée par les barons du charbon et dénonçaient les conditions de vie misérables des mineurs.

Les Enfants du Borinage - Lettre à Henri Storck de Patric Jean

Soixante-cinq ans plus tard, Patric Jean revient sur les lieux du tournage de Storck et Ivens. Ces lieux, il les connaît bien, il y a vécu une partie de son adolescence mais aujourd'hui, les images de Misère au Borinage plein la tête, il les regarde autrement et le choc est total.
Là où il pensait la misère disparue, il la retrouve plus présente que jamais. Là où Storck et Ivens appuyaient le combat d'un prolétariat encore solidaire, Patric Jean ne découvre que l'horreur des handicapés sociaux croupissant dans l'ordure et l'oubli, avec ce mépris d'eux-mêmes et cette résignation qui sont déjà la mort au quotidien.


Notre monde a changé. De zone surexploitée, le Borinage est devenu zone sinistrée. L'exploitation des travailleurs n'est plus le creuset d'une transformation du monde car, ici, du travail, il n'y en a plus. 42% de la population est sans emploi et se compose en grande partie de déclassés qui, devenus inutiles, doivent disparaître et disparaissent.


Patric Jean le sent, le voit et c'est là qu'il plante sa caméra et trouve la chair de son film : Les Enfants du Borinage - Lettre à Henri Storck.
Encore sous le choc, il filme sans distance. Sa caméra mal à l'aise dérape bien souvent ou reste scotchée à ce qu'elle voit comme heurtée de trop en voir. Et quand il intervient, Patric Jean titube à son tour des interviews maladroites, ose des questions malvenues et tout cela bizarrement renforce l'effet de choc, l'indigence de ces vies anéanties.


Ce qui frappe dans ce qu'il nous montre, c'est que rien ne vient arrêter cet engrenage de l'exclusion.
Et quand il va trouver les responsables politiques de la région, nous tombons de haut. Car pour ces hommes, la misère n'existe plus ou si peu qu'ils le disent sans détour à la caméra. A tel point que cela en devient grotesque, voire odieux, parce que bien sûr ces hommes politiques sont responsables et cautionnent un ordre social qui favorise une telle mise sous silence.


Par delà cette vérité terrible que les exclus reproduisent leur exclusion parce qu'ils ne connaissent que cela, se devine chez ces politiques une soumission à cette stratégie de la disparition.

Et c'est là sans doute que Patric Jean ne va pas jusqu'au bout de son film. Ces responsables, il ne fait que les survoler, nous les montrant au bord de la caricature, sans voir qu'ils sont eux aussi l'expression de la misère, d'un pourrissement qui les dépasse et nous concerne tous.
Et c'est dommage car à focaliser sur cette misère qui se voit, Patric Jean reste dans l'évidence du constat et dans ce manichéisme réducteur et bancal qui masque les raisons d'une telle situation plus qu'il ne les révèle. Après les victimes, c'est trop facile de nous agiter les guignols.


Il n'empêche, loin de ces maladresses d'écriture et de réalisation, Les Enfants du Borinage a le courage de mettre les pieds dans le plat. C'est déjà beaucoup et c'est déjà ce bruit immense qu'annonce le silence des exclus.

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