Cinergie.be

Raymond Ravar, fondateur de l'INSAS

Publié le 01/12/2005 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Dossier

Au début des années soixante, la création de l’INSAS – quelques années après l’IAD – a permis au cinéma belge de se développer en formant des professionnels tant au niveau de l’image, du son, du montage que de la réalisation. Au moment où le cinéma belge obtient une reconnaissance internationale pour la qualité de ses films, il nous a paru opportun d’interroger Raymond Ravar, créateur avec André Delvaux de l’INSAS et son premier directeur, animateur du CILECT et fondateur d’EAVE.

Raymond Ravar

 

Cinergie : Avant de vous consacrer au cinéma, vous vous êtes intéressé au théâtre?
Raymond Ravar : En réalité, je suis entré à l’université, plus par passion pour le théâtre et en l’occurrence pour le « Jeune Théâtre de l’ULB» de l’époque, que pour y faire des études ! Comme je devais travailler pour payer mes études et que je ne pouvais pas faire directement du théâtre professionnel, j’ai passé une audition à la RTBF d’alors (l’INR à Flagey), et fait beaucoup de théâtre radiophonique. Et, tout naturellement, les études en Sciences économiques terminées, j’ai été engagé dans l’équipe qui démarrait, chez nous, la télévision, où j’ai tout fait, avec quelques détours, pendant huit ans. Parmi ces détours, une expérience de trois mois de télévision et d’observation de l’enseignement du théâtre et du cinéma aux Etats-Unis, et aussi un an de lancement de RTL Télévision au Luxembourg…

 

C. : Et vous avez également réalisé un film sur l’expo 58 ? 
R. R. : J’y ai en effet réalisé, devant ou derrière la caméra, plusieurs dizaines de programmes au sein de ce monde miniature présenté sur le plateau du Heysel. Le plus souvent en multicaméras et en direct, ce qui m’a toujours passionné. Quant au film que vous évoquez, c’est en fait, une histoire d’amour avec le pavillon tchécoslovaque qui attirait l’intérêt de tous par sa beauté et sa créativité ! La vedette de cet intérêt, le spectacle La Lanterne magique présenté dans ce pavillon, était un des clous de la programmation culturelle de l’exposition. Il s’agissait d’une réussite exceptionnelle de mélange de spectacle scénique et de projection de film dans une seule et même continuité. L’équipe d’artistes réalisateurs de ce programme était dirigée par un metteur en scène étonnant de théâtre et de cinéma, entouré d’une brochette de personnalités plus talentueuses les unes que les autres, dont un jeune homme pour le scénario nommé Milos Forman. Nous avons réalisé ensemble le film sur le spectacle pour la télévision belge. C’était une expérience particulièrement forte. J’y retrouvais deux pistes : mon amour et ma curiosité pour le cinéma et ma passion du théâtre. Ce qui m’a conforté dans la perception que j’avais de notre travail en Belgique, où nous étions quelques-uns comme Pierre Laroche, Paul Anrieu ou Paul Roland à ressentir le manque d’exigence et de professionnalisme dans l’activité artistique. Une génération de jeunes gens insatisfaits et souhaitant « bouger » pour que quelque chose change dans les conditions de travail et dès lors aussi dans la formation. La chance m’a fait retrouver un de mes anciens professeurs en économie sociale, de l’ULB. Il dirigeait l’Institut de Sociologie de l’université et je l’ai trouvé extrêmement conscient de ce que représentaient la télévision et la radio, ce que l’on commençait d’appeler les nouveaux médias. Il m’a invité à le rejoindre au sein d’un Centre de sociologie du travail pour engager des recherches en sociologie des loisirs : comment remplir le temps laissé libre par des horaires de travail allégés. Il est né entre nous un dessein plus précis devenu de plus en plus évident de la nécessité de créer un enseignement supérieur des arts de la scène. C’était l’époque où en France, une personnalité telle que Edgar Morin apparaissait comme le jeune sociologue des médias. Son ouvrage Le cinéma et l’homme imaginaire a été une base de notre réflexion, tout comme les travaux de Gilbert Cohen-Seat et de son Institut de Filmologie où de grands noms de la science française étaient réunis. J’ai participé à ces travaux. En mai 59, coup de tonnerre au festival de Cannes avec la projection  d’Hiroshima mon amour. Comme pour beaucoup de monde de ma génération, ce film a été une révélation bien que Resnais ait été connu par ses courts métrages. On a élaboré un séminaire autour du film. Il s’intitulait Tu n’as rien vu à Hiroshima et a réuni tout au long d’une année, quelques quatre-vingts participants, étudiants de l’université, et bien d’autres, c’est là que j’ai fait la connaissance d’André Delvaux. Avec lui, Jean Brismée, Paul Anrieu, Paul Roland, Jean-Claude Batz et quelques autres, c’est dessiné ce qui allait devenir en 1962, l’INSAS, préparé par une suite de séminaires et d’études dans ce que nous avons appelé le Centre expérimental d’enseignement du théâtre, du cinéma et de la télévision. Quant à Pierre Laroche, il n’a pas poursuivi cette aventure avec nous, et a inspiré au sein de l’enseignement libre, la création de ce qu’allait devenir l’IAD.

 

C. : Vous êtes allé voir d’autres écoles comme l’IDHEC en France, l’école de Lodz en Pologne, l’Ecole de Prague, voir comment ça se passait ailleurs. 
R. R : Le modèle des écoles de l’Est, que je connaissais bien pour avoir séjourné à Prague, était le plus fort, malgré son contrôle idéologique sévère ! La FAMU de Prague apportait toutes les réponses aux questions, et elles étaient nombreuses, que je me posais et que j’ai vérifiées plus tard. L’IDHEC a été une déception. Avec André Delvaux, nous sommes allés trouver Ghislain Cloquet, qui enseignait la prise de vue à l’IDHEC et qui avait réalisé la photographie de quasi tous les courts métrages d’Alain Resnais. Contact immédiat avec lui, il était prêt à s’investir dans notre aventure et nous a rejoint, ainsi qu’Antoine Bonfanti, l’un des pionniers du son direct et une grande chef monteuse, notamment des films de Louis Malle, Suzanne Baron. J’ai aussi visité avec beaucoup d’intérêt le Centro sperimentale di cinematografia de Rome, qui existe toujours et qui est l’une des plus anciennes écoles de cinéma d’Europe.

 

C. : Votre investissement dans le Centre International de Liaison des Ecoles de Cinéma et de Télévision (CILECT), a été pour vous l’occasion de donner une dimension internationale à L’INSAS ? 
R. R. : Certes, cela a aidé l’INSAS, mais beaucoup plus tard et progressivement. En réalité, faire de l’INSAS une école internationale était l’hypothèse de départ à laquelle je n’ai jamais dérogé. Il m’a toujours paru absurde de créer une école uniquement pour nos petites provinces ! Quant au CILECT, l’expérience a été tout à fait extraordinaire, au plan des échanges entre écoles et des sources d’inspirations pour chacune d’entre elles. Après 1968, l’IDHEC, qui avait généré la création du CILECT en 1955, était en pleine crise ; le secrétariat général du CILECT est devenu vacant en 1970. J’y ai été élu avec un président hongrois. En 1974, nous avons enfin réussi à remplir un objectif : rassembler des films d’étudiants de toutes les écoles de cinéma du monde réunies au sein du CILECT. La première rencontre a démarré au sein d’un festival de courts métrages de Grenoble. L’année suivante, nous étions à Lodz, la ville où se trouvait la célèbre école de cinéma polonais. Ensuite, un collègue tchèque m’a invité à Karlo-Vivary, où une infrastructure professionnelle complète de festival était à disposition, une année sur deux, en juillet : de 1979 jusqu’au milieu des années 90, le CILECT a eu son festival de films d’étudiants réunissant à chaque fois plusieurs centaines de participants étudiants. Cela a fait école, puisque, pratiquement depuis cette époque, les courts métrages de fiction des écoles sont largement majoritaires dans la programmation des festivals. Parmi les modèles les plus appréciés aujourd’hui, le Festival Premiers Plans d’Angers.

 

C : En 1988, la création d’EAVE (Les Entrepreneurs de l’Audiovisuel Européen), dont vous vous chargez, est destinée à donner un aspect plus européen au cinéma national ?
R. R. : Et bien non, les choses se sont passées autrement. Fin des années 80, j’ai commencé à penser que naturellement je quitterais un jour la direction de l’INSAS, et je me suis demandé : « qu’est-ce que tu n’as pas fait à l’INSAS ? ». Cette chose qu’on appelle la production au cinéma est tellement particulière que les programmes réguliers des écoles l’abordaient très peu. A l’INSAS, un homme remarquable comme Jean-Claude Batz avait beaucoup parlé de l’économie générale du cinéma dans le monde. J’ai cherché à comprendre pourquoi il était si difficile d’organiser des formations de producteurs. Le producteur est une personne qui doit avoir une sensibilité artistique qui l’incite à initier et porter des projets de production de films, lutter, d’une part pour les financer et, d’autre part réunir l’équipe créative de base pour les réaliser. Il fallait en quelque sorte être m û par une folie encore plus grande que celle qui anime les futurs réalisateurs ou scénaristes.

 

C. : Le travail a été bénéfique pour les réalisateurs et les producteurs ? 
R. R. : 
Le programme de formation a existé dès 1988 comme la première manifestation des actions de formation de MEDIA. L’idée novatrice était de reconnaître au producteur sa qualité de véritable entrepreneur prenant des risques d’entrepreneur pour produire un film et, de faire travailler de front sur leurs projets de production de films – en grandeur et temps réels – une cinquantaine de jeunes producteurs professionnels venus de tous les pays de l’Union, tout au long de trois semaines d’ateliers réparties sur un an. Chaque semaine correspond à une phase de développement du projet de production. D’abord, son analyse, le développement du scénario avec la présence des scénaristes, puis, l’exploration des sources de financements possibles, et enfin le montage progressif du dossier de production dit  package, à présenter la troisième semaine à des décideurs cinéma et télévision. Ce dispositif avait séduit l’animateur du projet au sein de la Commission, Holde Lhoest, qui inventait le programme MEDIA comme outil majeur d’aide au développement du cinéma et de l’audiovisuel en Europe.

 

C. : Par exemple, un top du programme EAVE? 
R.R. : 
Bien évidemment le film de Jaco Van Dormael, Toto le héros qui a obtenu, en 1991, la caméra d’or au Festival de Cannes.

 

C. : Après bientôt vingt ans d’existence, la pédagogie a-t-elle évolué ?
R.R. : La structure s’est révélée quasi inoxydable. Elle n’a incroyablement pas bougé. L’exigence de prise en responsabilité d’un projet par un producteur a encore été améliorée. On apprend à mieux faire travailler ensemble scénariste, producteur et réalisateur, conseillés par des experts en écriture. Cette chimie du développement de projet a été affinée par experts et participants tout au long de la quinzaine d’années d’expérience d’EAVE afin que les projets et leur problématique de production convergent – si possible mieux encore - dans la présentation finale aux décideurs. Actuellement, un millier de professionnels dans toute l’Europe ont suivi cette formation. Plus de la moitié d’entre eux continuent de produire et de co-produire en permanence. Au lancement du projet en 1988, parmi les « élèves » belges, on comptait notamment Pierre Drouot (avec Jaco Van Dormael), Benoît Lamy et Hubert Toint. EAVE a ainsi véritablement lancé une pédagogie européenne de formation professionnelle continue qui a fait école et se poursuit toujours. La Communauté française de Belgique a soutenu cette action jusqu’à mon départ en 2002. Depuis, EAVE est basé au Luxembourg, financé par le Fonds Luxembourgeois du Cinéma.

Tout à propos de: