Cinergie.be

Éric Van Beuren, producteur

Publié le 01/06/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Métiers du cinéma

Après Alain de Halleux, Pierre-Paul Renders, Thierry Zamparutti et Jaco Van Dormael, dont nous avons publié les propos dans nos précédents webzines, voici ceux d'Eric Van Beuren, producteur, entre autres films et téléfilms, de Pleure pas Germaine et des Maîtres de l'orge. Les auditions de la commission parlementaire de l'Audiovisuel réunie autour du contrat de gestion de la RTBF ont récemment permis aux élus communautaires et au public de se rendre compte qu'entre le service public et la production cinématographique de notre communauté, contrairement à ce qu'on pourrait penser au vu de films comme Toto le héros ou Rosetta, le temps n'est pas au beau fixe et c'est un euphémisme ! Lors de leur audition, Willy Perelsztein, président de l'ARPF (Association des réalisateurs producteurs de films) et Eric Van Beuren, président de l'UPFF (Union des producteurs de films francophones), ont regreté la politique de la RTBF en matière de coproductions. Celle-ci abusant, en quelque sorte, du monopole dont elle jouit de facto. 


L'occasion faisant le larron, nous avons demandé à Eric Van Beuren de nous expliquer les axes de son intervention à la commission parlementaire de l'Audiovisuel en tant que président de l'UPFF, laquelle est une association regroupant l'essentiel des producteurs de longs métrages, téléfilms et documentaires en Communauté française. Elle a été présidée successivement par Marion Hänsel, Benoît Lamy et Nicole La Bouverie. Ajoutons, pour être complets, que ses représentants siègent à la Commission de sélection du film, à Wallimage et au comité de concertation.

 

Cinergie : Qu'est-ce qu'un producteur indépendant ?
Eric Van Beuren : Lorsqu'on lit les différents textes régissant l'octroi d'aides ou de financements publics, on découvre qu'un producteur indépendant doit constituer une société commerciale à l'intérieur de laquelle peuvent fonctionner plusieurs producteurs physiques.
En Belgique, la plupart des sociétés de production sont des PME occupant d'une à quatre personnes à temps plein. Les autres employés sont des intermittents du spectacle (comédiens, techniciens) engagés à durée déterminée pour un travail précis.
La moyenne des sociétés produisant du long métrage fonctionne avec un budget annuel qui oscille entre 6 et 12 millions de francs, et ce, pour couvrir les salaires, les frais généraux et les investissements en fonds propres sur quelques projets (achat de droits, écriture de scénario, frais de développement).

C. : Quel est le chiffre d'affaires d'une société de production ?
E. V. B. : Le chiffre d'affaires d'une société de production est constituée de productions à risques (toute oeuvre destinée à une exploitation) et de productions de commande dégageant une marge bénéficiaire prévisible (publicités, films industriels, productions exécutives pour le compte d'autres sociétés). Ce qui nous occupe aujourd'hui, c'est le secteur des productions à risques puisque nous coproduisons essentiellement ce type de productions avec la RTBF, à savoir des longs métrages, des documentaires et des téléfilms de fiction.C. : Quel bénéfice une production peut-elle espérer obtenir ?

E.V.B. : Le bénéfice d'une production à risques provient comme dans tous les domaines de la différence entre le coût et les recettes d'exploitation, et ce, au prorata des parts de propriété que le producteur détient dans le produit audiovisuel. C'est avec cette marge bénéficiaire qu'il pourra retrouver son investissement de départ et investir dans de nouveaux projets.
C. : Et les parts de propriété ? N'est-ce pas le point faible d'une production à risques?
E.V.B. : Oui. C'est essentiellement là que réside la fragilité du producteur indépendant belge. Le montage financier d'une oeuvre audiovisuelle nécessite de faire appel à un certain nombre de partenaires belges et étrangers et seules certaines sources financières vont pouvoir constituer la part de propriété du producteur.
À titre d'exemple, voici le schéma type du montage financier d'une production de long métrage initiée, produite et réalisée par un Belge.
Production de 100 000 000 BEF

Belgique

     
   

Parts de propriété du prod. indépendant

Investis. producteur

Aide communauté
(avance sur recettes)

15 000 000

7 500 000

 

Coproduction RTBF

500 000

   

Fonds spécial
(avance sur recettes)

4 500 000

    

Aide européenne
(avance sur recettes)

5 000 000

   

Préachat CANAL+

15 000 000

15 000 000

 

Loterie Nationale

1 000 000

1 000 000

 

Fonds propres

2 000 000

2 000 000

2 000 000

Producteur belge en participation

4 000 000

4 000 000

4 000 000

frais généraux 50% en participation

3 000 000

3 000 000

3 000 000

 

50.000.000

32.500.000

9.000.000

Etranger

     

Coproducteurs étrangers

50 000 000

   
 

100 000 000

32,5%

 


Le producteur détient donc environ 30% des parts dont il rétrocède environ 10% aux auteurs, au réalisateur et parfois aux comédiens. Il lui reste donc 20% pour récupérer son investissement en travail, ses frais généraux et ses fonds propres avant de dégager une marge bénéficiaire. Grosso modo, il doit donc récupérer 9 000 000 de francs pour couvrir seulement son investissement avant de dégager une marge. Et ce n'est pas simple au vu des circuits d'exploitation qui donnent les schémas suivants :
Recettes à la vente : les recettes brutes sont diminuées de 30% pour le vendeur.
Reste 70% dont 20% pour le producteur ou 14% sur le brut.
Environ 65 000 000 francs de recettes brutes (beau succès) sont donc nécessaires pour récupérer les 9 000 000 de francs.
Recettes à la distribution (celles qu'on contrôle) : les recettes brutes/salles sont diminuées de 50% pour la salle; ensuite sur le solde, 50% vont au distributeur, après récupération des frais de sortie.
Ce qui signifie qu'il faut plus ou moins 16 000 spectateurs pour couvrir les frais de sortie de 2 000 000 de francs et pour que le producteur accède aux recettes partageables.
Ces chiffres, il faut insister là-dessus, montrent à suffisance que dans la chaîne d'exploitation le producteur est marginalisé par rapport aux risques encourus et d'autant plus que le producteur belge est un producteur de prototypes puisque dans la plupart des cas, il ne peut mettre en chantier au maximum qu'un film tous les deux ans. Il est donc condamné à un succès dont personne ne connaît les clés.
Dans tous les cas de figure, le producteur doit donc se battre pour garder des parts de propriété. Cette démonstration a été souvent bien entendue par les pouvoirs publics, tant belges francophones qu'européens mais pas assez par les responsables du service coproduction de la RTBF, ce qui a entraîné dernièrement une fronde de la profession qui est en passe de se résoudre.

C. : Qu'attend la profession d'une télévision de service public ?
E.V.B. : La profession attend d'une télévision de service public qu'elle soit un vrai partenaire dans la production de programmes audiovisuels belges en acceptant de respecter les priorités suivantes : qu'elle respecte d'une part l'indépendance et la survie du producteur indépendant et des créateurs qu'il soutient. Et, d'autre part, qu'elle se distancie du comportement d'un opérateur privé qui place au premier plan son retour sur investissement.

C. : Comment l'UPFF envisage-t-il l'avenir ?
E.V.B. : Les rencontres cordiales et fructueuses entre l'UPFF, pour le compte de la profession, et le service de production de la RTBF ont permis en principe de dégager des pistes nouvelles qui doivent à terme aboutir à la rédaction d'un nouveau contrat type. Néanmoins certains obstacles importants posent encore problème à la production en continuant à fragiliser sa position. Ce sont :
a) le montant d'acquisition trop faible des achats et des droits d'antenne lors des coproductions A titre d'exemple, la VRT paie en général le double du tarif pratiqué par la RTBF pour un programme audiovisuel flamand. Les droits d'antenne en France sont en général vingt fois plus élevés et pour un nombre de passages réduits. Canal+ paie pour un film belge une moyenne de 15 000 000 de francs.
b) la durée des droits de diffusion La durée des droits oscille de sept ans à quinze ans. Elle n'est que de quatre à cinq ans en France.
c) le nombre de diffusions à l'intérieur du terme Le nombre de diffusions est limité en France à une ou deux diffusions. La RTBF en demande au minimum quatre et pour les téléfilms un nombre illimité.
d) le montant trop faible de l'enveloppe attribuée aux coproductions La RTBF attribue annuellement à la coproduction 41 000 000 de francs sur ses fonds propres, à savoir plus ou moins 0,5% de sa dotation. Cette faiblesse, cumulée à la pauvreté du droit d'antenne, contribue à elle seule largement à l'obligation de recourir en force aux financements étrangers mettant en péril la survie et l'indépendance du producteur et des créateurs de l'œuvre.
e) l'absence de majoration lors du passage à l'antenne en cas de succès en salle Certaines chaînes européennes octroient une majoration du droit d'antenne après un succès en salle.
f) les délais de paiement des engagements de la chaîne (coprode et achat) Actuellement, la RTBF a plus de cinq mois de retard de paiement pour ses achats de droits et en coprode ne s'acquitte de son droit d'antenne qu'au moment de l'ouverture desdits droits, soit vingt-deux mois après la première exploitation en salle, d'où des agios qui ne profitent qu'aux banques.
g) le service coproduction et le service commercial assuré par une même direction La logique commerciale peut perturber les décisions d'un engagement en coproduction et certainement polluer le climat de partenariat nécessaire.
h) l'accès aux archives (patrimoine public) à des tarifs commerciaux Cette attitude n'est pas le reflet de ce qu'on attend d'un partenaire public envers ses producteurs
i) les responsabilités Le producteur agit en tant que producteur délégué garantissant la bonne fin. Il supporte seuls les dépassements. Il est anormal dans ce cas de partager les économies qui sont souvent les imprévus non dépensés.
j) la promotion En tant que partenaire sur une production, il n'est pas normal que la RTBF fasse " 'payer " en part de producteur la promotion sur antenne dont un jour son audience profitera.
Et il n'est pas normal que la RTBF, dans ses émissions d'information et de promotion, coure derrière le succès des grosses productions étrangères et ne systématise pas le relais médiatique des coproductions dans lesquelles elle est présente.

C. : En conclusion ?
E.V.B. : Il nous semble qu'actuellement la production indépendante souffre, dans ses rapports avec la RTBF, d'une absence de ligne directrice claire, due notamment aux ambiguïtés du pouvoir politique. Le flou autour du concept de rentabilité perturbe les comportements des décideurs de la maison.
Il est temps de prendre conscience que les succès rencontrés ces dernières années profitent en grande partie aux financiers étrangers ; qu'un pays, qu'une communauté, pour exister économiquement, doit rayonner culturellement. Les Américains avec le Plan Marshall nous l'ont pourtant fait comprendre depuis longtemps. Par ailleurs nous tenons à soutenir les forces vives, producteurs, programmateurs et techniciens de la RTBF, pour leur savoir-faire et leur travail sans lesquels la situation serait certainement plus critique.

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