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Sofidoc a la cinquantaine

Publié le 15/07/1999 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Événement

Entre Malpertuis et Mata Hari

Sofidoc a la cinquantaine qui se porte bien. Créée en 1947 par Gérard Deboe et Victor Thomas, cette société a produit de nombreux films documentaires et quelques-unes des grandes fictions du cinéma belge (Malpertuis d'Harry Kümel ou Les Gommes, le très beau et très méconnu long métrage que Lucien Deroisy a réalisé d'après le roman éponyme d'Alain Robbe-Grillet).

Sofidoc a la cinquantaine

L'anniversaire a été célébré le 11 juin dernier à l'Arenberg-Galeries par la projection d'un best off des films produits par Sofidoc, suivie de la première d'Entre Flore et Thalie, le nouveau film de Françoise Levie. Celle-ci nous conte l'aventure des Galeries Saint-Hubert. Situé au coeur de Bruxelles, à deux pas de la Grand Place, ce lieu construit par Cluysenaar au siècle dernier, dans le style de la Renaissance florentine, abrite une soixantaine d'ateliers et d'appartements. Nous y croisons Boris Lehman (pour rester cinéma) qui a installé son quartier général à Mokafé, Frédéric Flamand, Wim Mertens et Philippe Catherine (superbe plan, où l'on voit le guitariste jouer la nuit à l'intérieur de la librairie Tropismes, qui était dans les années 60 le Blue Note de Benoît Quersin) mais aussi l'Arenberg-Galeries dont une ancienne employée règle les conflits entre lycéens ou noceurs attardés dans la Galerie à coups de sifflet, de la fenêtre de son appartement.

Pierre Levie

Pierre Levie s'est joint aux destinées de Sofidoc assez tôt puis en 1971, en a pris la direction. Grand, les cheveux blancs, pantalon beige, veste marron, chemise ouverte, il a l'élégance naturelle d'un gentleman. A côté de lui, Sophie, sa plus jeune fille (l'aînée, Françoise, a une douzaine de films à son palmarès) devenue, à son tour productrice, l'accompagne dans l'aventure du cinématographe. Lorsqu'il parle, il a la voix chaude, le débit tempéré, ne prononce jamais un mot plus haut que l'autre.

"Au début, je n'étais pas l'actionnaire majoritaire. J'intervenais assez peu jusqu'à la séparation qui a été acquise parce que la tendance Thomas-Thys voulait faire Malpertuis avec l'argent du Ministère de la Culture et de quelques autres alors que j'avais la possibilité d'avoir Orson Welles et que je trouvais plus intéressant de passer un contrat avec les Artistes Associés. Ce qui a été fait. On s'est donc séparés à l'amiable."

Il a un sourire malicieux lorsqu'il évoque ces années d'après-guerre où produire un films de long métrage de fiction en Belgique était plus qu'un défi, une sorte de folie. Derrière ses yeux pétillants et rieurs on devine le joueur, l'amateur de coups de poker, l'homme passionné par un métier où l'on côtoie des artistes habités, des personnages flamboyants ou extravagants et parfois même des escrocs pleins de charme.

Vieille Halle aux Blés

"Par ailleurs, j'avais déja Sodep et Pierre Levie Productions ainsi qu' un plateau et des studios à la Vieille Halle aux Blés. En 1958 on avait produit Vive le duc, avec Francis Blanche et Marie-José Nat, qui s'est tourné à Woluwé-Saint-Lambert, autour du Jeu de Marie la Misérable de Michel de Ghelderode."


"Puis on a produit Il y a un train toutes les heures, le premier long métrage d'André Cavens, qui était un ami, ainsi que ses deux courts métrages dont l'un, Jazz Obsesssion, s'est tourné dans une boîte, ici, à Bruxelles. Il pleut dans ma maison, de Pierre Laroche, le premier film belge en couleurs, a été un film très difficile à produire. Il ne restait qu'une queue de budget au Ministère (1.600.000 francs). On a donc fait le film dans des conditions difficiles."

Kümel

"On avait travaillé avec Kümel sur Monsieur Hawarden. J'avais énormément aimé ce film plein de mystère. Kümel est arrivé chez moi avec l'idée d'adapter un roman de Jean Ray, Malpertuis. Ç'a été une suite de moments d'enthousiasme et de moments extrêmement difficiles parce que c'était un sujet baroque, débridé. Ce genre de film ne supporte pas un petit budget. On a donc fait une grosse production avec un budget insuffisant de 35.000.000 de francs, ce qui à l'époque était considérable, et une vente aux Artistes Associés, les distributeurs américains. Nous sommes entrés en co-production avec la France, ce qui nous a permis cette distribution extrêmement brillante (Orson Welles, Michel Bouquet, Sylvie Vartan, Johnny Halliday, etc.).

Le tournage a été extrêmement difficile. Harry est un homme que j'adore mais c'est un créateur compliqué qui a du mal à communiquer. Il a été déçu par le montage et il m'a demandé de refaire le film. On a fait cette folie. Il s'est mis au montage, on lui a donné une chambre, où il a vécu pendant six mois. Puis il a été retourner, avec l'aide d'un opérateur, certains plans, des chevilles."


"Lors de sa sortie en salles, le film a été assassiné par les Artistes Associés. C'était un film en avance sur son temps, un film assez mystérieux, qu'il faut prendre la peine de voir. Or, la sortie à Paris a été catastrophique, ils ont programmé le film dans des salles de boulevard où il s'est écrasé. Du coup ils l'ont sorti en Belgique avec trop de prudence, malheureusement je n'avais aucun contrôle. J'ai été à New York un certain nombre de fois pour leur expliquer la valeur du film, mais ils n'ont jamais rien compris à Malpertuis."

Festival

"On a ouvert le Festival de Berlin, on a été en compétition à Cannes avec le film. Puis est venu le temps des querelles. On avait reçu de l'argent de la Communauté flamande. La veille de la projection officielle, j'entends à la radio que le Ministre de la Culture Flamande de l'époque déclare que Malpertuis est interdit de projection à Cannes parce que la version présentée était en langue anglaise. On avait doublé Orson Welles en flamand mais on imagine mal que nous puissions présenter à Cannes une version avec Orson Welles parlant flamand. Cela a créé un incident diplomatique."


Entre-temps, Pierre Levie, qui n'a pas abandonné le documentaire pour la fiction, la proie pour l'ombre, rebondit en réalisant La Grande barrière de corail, un film scientifique tourné en 35mm en Australie, monté par Gérard Corbiau, et qui obtient de nombreux prix (Venise, Carthagène, Monaco). Mais le démon de la fiction le travaille et en 1979, il participe à la production d'un long métrage de fiction qui offre son premier rôle à Riton Liebmann.

"Avec Préparez vos mouchoirs, on a eu un Oscar à Hollywood. C'était une co-production avec les films Ariane à Paris et Belga films-Sodep à Bruxelles. C'est un film qui, lui, a bien marché. Il n'y a pas que des échecs. " 

Fiction et animation

Les années 80 marquent un retour aux sources. Qu'est-ce que le cinéma? Vingt-quatre images à la seconde? Peut-être, mais surtout une passion boulimique pour un homme qui a connu les grandes et les petites aventures du cinéma belge de l'après-guerre.

"On a eu l'idée de faire toute la préhistoire du cinéma en treize épisodes. Parmi ceux-ci, la Photographie était basée sur une idée assez amusante. A l'époque il fallait 4'40" pour prendre une photographie. C'est donc la durée du film. Le cheval de fer et l'épisode réalisé par Gérald Frydman et consacré à Edward Muybridge, a obtenu, en 1984, la Palme d'Or du court métrage à Cannes. La série Magica commence avec Monsieur Robertson réalisé par Patrick Ledoux et se termine avec La Curieuse aventure du Pathé Baby, le projecteur qui était populaire dans les années 30. "


Puis c'est le départ de la Vieille Halle aux Blés qui rassemblait un plateau de prise de vues, deux studios son, de nombreuses salles de montage en 16mm et 35mm. La fin d'une époque. Les yeux mi-clos, Pierre Levie contemple l'eau de son verre, sa transparence, le regard lointain. Rue Colonel Bourg, la production change d'axe. On passe du cinéma à la télévision devenue un partenaire incontournable.

Télévision

"Actuellement, il y a les séries pour la télévision dont la plupart sont réalisées par Françoise Levie."
Après Mémoires d'une princesse des Indes, celle-ci réalise Mata Hari, un film qui nous montre une femme fatale, diabolisée en espionne allemande et fusillée par les Français en 1917. Hollandaise d'origine, intelligente, cultivée, Mata Hari parlait cinq langues, aimait les hommes et n'hésitait pas à danser dévêtue dans les cabarets parisiens à l'instar de Colette, l'auteur des Claudine. Le film dresse le portrait d'une femme étonnante et, mine de rien, dévoile un monde d'une rare misogynie (le diable est une femme, of course). 

"Notre dernière production en date, poursuit Pierre Levie, Vers des rêves impossibles, est mise en scène par Chris Vermorken, et puis il y a les films d'animation. Après les séries de Pierrot et Papivole, on est en train de faire une série de 26x26 épisodes de Billy the Cat. "

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