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Sur le tournage de Belgian Disaster de Patrick Glotz

Publié le 17/12/2013 par Dimitra Bouras / Catégorie: Tournage

Il y a des quartiers qui traversent l'histoire et gardent, à travers les années, leur cachet, leur ambiance. À croire que les personnes qui s'y installent s'y imbriquent petit à petit. Nous nous trouvons en plein cœur des Marolles, à deux pas du marché aux puces, où les vies miséreuses peuvent revêtir un panache d'une extravagance surréaliste, à l'image des objets qui jonchent, tous les matins, la Place du Jeu de Balle. Entre les dentelles défraîchies, les chemises longues plastronnées avec col amidonné que les bourgeois des années 30 arboraient fièrement, boutons d'or et fracs de gala, on y ramasse de la vaisselle ébréchée, des miroirs mouchetés et des boîtes à tartines aux couleurs délavées. Notre petite équipe arrive sur les lieux de tournage de Belgian Disaster (ex-Sauver Wendy) bien avant tout le monde, dans une rue piétonnière aux rez-de-chaussée encombrés de bric et de broc.

- Bonjour, vous faites partie de la déco ?

- Non, on vient faire une interview sur le tournage. Et vous, vous êtes qui ?

- Je suis le gardien.

- Moi je suis le proprio du magasin. Mais ça ne va pas aller. Il y a des problèmes avec mon locataire. Il se plaint que vous prenez de l'électricité chez lui, et c'était pas prévu. C'est fini le tournage. On arrête, là !

- On n'est pas au courant, on ne fait pas partie de l'équipe. Parlez-en avec la production. Elle arrive justement.

Marina Festré, qu'on avait rencontrée sur les films d'Abel et Gordon descend la rue aux pavés inégaux, un caddy rouge en vinyl avec une tête de chat au bout du bras. Nous la mettons au courant des surprises qui l'attendent : « Ça n'arrête pas ! » Mais il en faut plus que ça pour la déstabiliser. Qu’à cela ne tienne, le « plus », elle ne va pas tarder à l'avoir ! La scène de l'après-midi devait se tourner à partir du premier étage des fenêtres du locataire fâché. Après discussions, le proprio est à nouveau d'accord pour que le tournage continue. Le hic, c'est que le locataire s'est endormi chez lui, et que l'équipe ne pourra pas filmer comme prévu. Pas de souci, on fera les scènes extérieures et rendez-vous est pris pour le lendemain. Le proprio précise qu'il vaut mieux arriver avant 10h00 du matin s'ils veulent trouver leur interlocuteur sobre.
Nous profitons des aménagements à mettre en place sur le plateau pour discuter avec Patrick Glotz, le réalisateur.

Patrick Glotz : Belgian Disaster ,c'est une comédie populaire, revendiquée comme telle. C’est une comédie burlesque avec beaucoup de situations jubilatoires, des comédiens comiques, et des décors plus baroques les uns que les autres, mais c’est aussi un film qui se veut réaliste, portant un regard parfois cruel sur le quotidien des personnages. Mon désir est de faire une comédie et, à la fois, de dénoncer un certain mode de fonctionnement de notre société.

Cinergie : Pourquoi dis-tu que c’est une comédie « populaire » ? Parce que tu voudrais en faire un film grand public ou par son contenu ?
P. G.
 : Parce que c’est un film qui raconte une histoire populaire, le parcours de petites gens qui vivent dans le quartier des Marolles, à Bruxelles, et qui essaient de se débrouiller avec les moyens du bord, avec ce qu’ils ont intellectuellement, et financièrement en poche. Parfois, ces moyens sont très limités, et c’est ce qui est drôle, et au-delà du rire, ce n’est jamais une moquerie du monde des pauvres, mais plutôt une critique du monde des riches. À travers le parcours de ces personnages qui veulent s’en sortir, c’est rendre hommage à la débrouillardise des pauvres gens par des moyens parfois illicites.Patrick Glotz sur le tournage de Sauvez Wendy

C. : Pourquoi as-tu choisi le quartier des Marolles ? Est-ce parce que tu connais le quartier et les personnes qui y vivent, ou parce que les Marolles représentent ce qu’il y a de plus populaire à Bruxelles ?
P. G.
 : C’est un quartier très populaire que je connais peu, mais emblématique d’un Bruxelles qui disparaît peu à peu. Je voulais y inscrire cette histoire contemporaine. Ce sont trois copains qui habitent un magasin de brocante, qui développent une nostalgie du vieux Bruxelles, à l’image de leur enseigne : « Aux années 70 ». C’est pour eux un refuge face au monde moderne qui reste à la porte du magasin, à l’exemple des ondes de GSM qui n'y pénètrent pas. Le message du film est que tout ce qui est moderne n’est pas forcément bon. À travers cette histoire, pointe une nostalgie qui est, chez moi, assez présente. Le quartier représente le cœur du vieux Bruxelles, et ce qu’il a pu être.

C. : Tu as réalisé peu de films par le passé. Comment es-tu parvenu à vendre ton projet à la production ?
P. G.
 : Je ne viens pas du tout du milieu du cinéma, je suis un autodidacte complet. J’ai fait mes premières armes dans les ateliers de formation amateurs, et je suis venu au cinéma par le montage. Je dois remercier l’Atelier Alfred de Gérald Frydman par lequel je suis passé. J’ai écrit un scénario, j’ai rencontré un producteur, Eric Vanbeuren, et une amitié est née. Il m’a accordé sa confiance, et nous avons monté, difficilement, ce projet. C’est une suite d’événements heureux, de chances et de rencontres qui fait que ce projet existe aujourd’hui. Il y a aussi une bande de comédiens qui a eu confiance.

Patrick Glotz sur le tournage de Sauvez WendyC. : Que fais-tu quand tu ne fais pas de films ?
P. G.
 : Cela fait cinq ans qu’on travaille sur ce projet, sur l’écriture, la réécriture, les remise en cause… Avant, je faisais des gaufres de Liège à la montagne (rires) avec mon amie dans les stations de ski françaises. Nous travaillions six mois par an et, pendant les autres six mois, on faisait ce qu’il nous plaisait, le cinéma pour moi, et la gravure pour elle. De fil en aiguille, tout c’est déroulé naturellement au long de ce parcours atypique.

C. : À l’image du film ?
P. G.
 : On peut dire cela. Il y a cette phrase d’un scénariste qui dit : « La comédie, c’est l’art de la colère ». Cette colère qui m'habite se traduit en humour.

C. : Belgian Disaster  est un cri de colère ?
P. G.
 : Je ressens une forme d’hostilité envers les idées dominantes, l’autorité en place et, parfois même, certaines lois sociales en vigueur. L’humour dans ce film est aussi l’aboutissement de cette exaspération. Mon burlesque est empreint de colère, critiquant la bourgeoisie. Ce n’est ni un film social, ni un film politique, mais je crois qu’à travers l’humour, on peut faire passer beaucoup de choses. J’aime l’autodérision. Je suis un incorrigible optimiste inquiet. Mon amour du cinéma est venu par le néo-réalisme italien des années 50, et de sa descendance qu’est la comédie italienne des années 60-70. C'étaient des films drôles, mais il y avait une vraie critique de la bourgeoisie en place. Actuellement, j'essaie un peu de faire ça, faire rire avec des choses un peu graves. Ce n'est pas évident, quelque peu casse-gueule, mais tellement agréable.

Patrick Glotz sur le tournage de Sauvez WendyC. : Tout repose sur les dialogues ?
P. G.
 : Oui ! C’est un projet qui repose sur des dialogues semblables à ceux qu’on retrouvait dans les années 50-60, sans vouloir faire un film à papa. On retrouve cette nostalgie qui m'habite !

C. : Comment s’est faite l’écriture des dialogues ? Tu les as écrits seul ou avec les comédiens ?
P. G.
 : Il y a eu très peu de répétitions et de casting. C'est un long travail, à l'image d'une partition musicale, avec son chef d'orchestre et les musiciens qui interprètent. Le casting n’est pas un vrai casting, ce sont plutôt des rencontres avec d'extraordinaires comédiens. J'ai peu de recul sur ce film, mais ma plus grande satisfaction, ce sont ces rencontres. Parfois, cela a duré quelques secondes, le temps d'une poignée de mains comme pour Michel Schillaci qui joue le personnage de Lucas. Pour d'autres, nous nous sommes rencontrés sur un coin de table à Paris. C'est la grande force de ce film, la justesse du jeu.

C. : Quelle est l’histoire du film ?
P. G. : C'est une mosaïque, une suite de carrés qui s'assemblent et dont le ciment serait l'autodérision et l'insolence. L'histoire centrale est celle de trois copains qui tiennent un magasin de brocante. Sous cette façade, se cache un trafic un peu minable de marchandises tombées du camion, non pas dans le but de s'enrichir, mais d’aider les petites gens du quartier. Curieusement, ils font œuvre sociale. Ils vont être entraînés dans une suite d'aventures plus rocambolesques les unes que les autres parce qu'ils n'ont pas les moyens financiers et intellectuels d'aller au bout des choses. Le spectateur ne se demandera pas s'ils vont réussir leur arnaque, mais jusqu'où se poursuivra leur descente aux enfers. Que va t-il se passer ? Ces trois copains vont monter une arnaque, et seront rejoints par un quatrième larron, soi-disant le cerveau de la bande, mais qui n’est pas plus intelligent que les autres. S'ensuivent des situations et quiproquos très comiques. Des histoires annexes viennent alimenter la trame centrale, ce qui en fait un vrai film de cinéma, avec des décors, des accessoires, des costumes... Je suis fan d'Emir Kusturica et des univers baroques et flamboyants, très colorés. Finalement, c'est un film plein d'espoir.

C. : Te sens-tu plutôt comme un petit garçon qui a reçu le jouet dont il rêvait ou comme un magicien qui a une baguette magique ?
P. G.
 : Aucun des deux, en fait. Je me sens comme quelqu’un qui doit s’adapter tous les jours.

C. : Mais cela doit être assez jouissif de pouvoir enfin réaliser un rêve !
P. G.
 : Oui, c’est jouissif, mais il y a chez moi une part d’inquiétude qui ne disparaît jamais totalement. J’ai vraiment du mal à profiter pleinement d’une situation même si elle est jouissive et jubilatoire. Et même si je prends beaucoup de plaisir à faire ce film, il y a une telle pression que cela devient un challenge, quelque chose de sportif qui part des tripes. C’est un message que tu dois faire passer à toute ton équipe. Pour moi, c’est plus que de la magie. C’est de l’excitation, de la tension positive, je dirais.

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