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Harry Cleven sur le tournage de Mon Ange

Publié le 02/05/2017 par Dimitra Bouras / Catégorie: Tournage

Un peu plus de dix ans après la sortie de Trouble, rencontre avec le réalisateur, acteur et scénariste belge Harry Cleven sur le tournage de Mon Ange, son dernier long-métrage. Au départ, imaginé comme un film de petite envergure, le projet, soutenu par Jaco Van Dormael, a pris de l'ampleur. Écrit avec Thomas Gunzig, avec lequel Harry Cleven avait déjà collaboré pour Through Love, Mon Ange raconte l'histoire d'un garçon invisible qui tombe amoureux d'une fillette aveugle. Onirisme et sensorialité sont au rendez-vous. 

Cinergie : Tout le film tient un peu de la magie, du miracle. Tu pensais faire un petit film rapide mais finalement ça devient un vrai film avec beaucoup plus de moyens.
Harry Cleven: Au départ, je devais faire un autre film avec Olivier Rausin puis ça a été retardé. Cela prenait du temps donc je me suis dit qu'il fallait que je fasse autre chose. Et c'est Jaco Van Dormael qui m'a conseillé de faire un petit film avec peu de comédiens, peu de décors… Il m'a proposé de financer l'écriture. On a donc décidé de travailler avec Thomas Gunzig, avec lequel j'avais déjà écrit Through Love.
C’est lui qui a eu l'idée de raconter la naissance d'un bébé invisible dans une cellule d'asile psychiatrique ou dans une prison. Il a amené l'idée de base, et j'ai proposé que ce soit une histoire d'amour avec une aveugle. On a mis un peu de temps pour développer le traitement car j'étais sur d'autres projets et Thomas aussi.
En deux mois, j'ai écrit le scénario. Quand Jaco l'a lu, il a adoré et il a voulu le produire. Il m'a dit qu'il allait me donner l'argent pour faire un tout petit film puis qu'on verrait plus tard. Il m'a proposé de prendre Juliette, sa fille, comme chef opératrice. De toute façon, je voulais travailler avec elle, j'adore ce qu'elle fait, elle est très proche de mes goûts. On a fait le film comme ça : Jaco qui nous produit, Juliette qui fait l'image avec trois francs en poche. Jaco m'a proposé de déposer le projet à la Commission et on a eu l’argent. On a décidé de le faire quand même très vite, sans coproduction. Peu à peu, la locomotive s'est mise en marche et peu à peu les wagons se sont accrochés. Finalement, la RTBF est entrée dans le jeu. Avant le début du tournage, on n'avait pas encore toutes les réponses de tous les intervenants financiers puis on a eu Wallimage, puis l'aide de Daniel Marquet en France. Les choses se sont mises en place d'une manière un peu magique.

 

C. : Est-ce que tous ces changements ont modifié ta manière de filmer ?
H.C. : Je pense que si j'avais dû le faire sans moyens, comme prévu initialement, je l'aurais tourné différemment. Mais je suis parti dans l'idée de faire un truc super simple. C'est un film où il y a pas mal d'effets spéciaux puisqu'il s'agit de faire vivre un homme invisible.
J'ai pris des options radicales et j'ai essayé de m'orienter vers des effets où il n'y a pas d'intervention, d'effets spéciaux 3D numériques. Entretemps, j'ai beaucoup travaillé sur le découpage et j'ai essayé de voir ce que je pouvais faire en direct avec des fils qu'on efface ensuite.
Pour les effets spéciaux, j'ai contacté des amis à Paris qui se sont beaucoup investis et qui m'ont apporté énormément de choses. J'ai essayé de faire tout basculer en effets réels sur le tournage. Et eux m'ont donné des idées pour faire des choses en 3D qui n'étaient pas prévues initialement dans le film.
Finalement, le rapport est très poétique. C'est très mélangé, on va faire des effets spéciaux numériques et réels, on va brouiller les pistes et on ne verra pas trop quand c'est fait. Cela induit le manque de moyens, mais aussi une manière de filmer que j'ai radicalisée. Je voulais souvent être dans le point de vue de mon ange, environ 70 à 80% du film est en caméra subjective. On voit tout à travers les yeux du personnage invisible. Ce sont les personnages qui vivent autour qui le font exister. Cela a été très difficile de trouver les acteurs capables de faire ça.

 

Harry Cleven sur le tournage de Mon ange © Cinergie

 

C. : De pouvoir jouer sans personne en face ?
H. C.: Oui, c'est très difficile. On a vu beaucoup de monde. J'ai d'abord cherché la comédienne adulte et beaucoup de comédiennes jouaient très bien, mais je ne sentais pas la présence en creux de mon ange en face d'elles. Finalement, j'ai trouvé Fleur Geffier qui joue le rôle de Madeleine. En fin de parcours, on a cherché l'adolescente et l'enfant, Maïa et Ana. Il fallait, à la fois, qu'on ait une ressemblance avec la comédienne adulte et que je trouve une petite fille et une adolescente qui jouent ce rôle très difficile à jouer puisqu'elles devaient jouer des aveugles. Il y a déjà la difficulté de jouer normalement l'émotion, le texte, etc., en ajoutant le fait d'être aveugle. J'ai eu la chance de tomber sur une petite fille et une adolescente extraordinaires et qui ressemblent à Fleur.

 

C. : Est-ce que tu as donné des films à voir à Juliette Van Dormael pour essayer de trouver une ambiance ?
H.C.: Ma collaboration avec Juliette est simplement exceptionnelle. On a beaucoup travaillé en amont sur le découpage. On devait savoir exactement ce qu'on faisait en effets numériques et ce qu'on faisait en effets spéciaux. J'ai fait quatre ou cinq versions de découpage et j'ai passé un mois avec Juliette à tout pré-filmer et photographier, tout ce qu'on imaginait avec des doublures, mes voisins, etc., et analyser ça avec les responsables des effets spéciaux, voir ce que je pouvais faire avec eux, sans eux... Eux-mêmes m'ont apporté plein d'idées qui ne nécessitaient pas leur intervention. La ligne de conduite c'est : ce qui est le plus poétique, le plus magique, le plus abstrait et qui marche le mieux.
Quand on travaillait en amont, on s'envoyait des photos, des lumières qu'on aimait bien, des couleurs. On a fait un moodbook avec des centaines de photos. Elle a fait plein d'essais avant avec Pierre de Wurstemberger, notre chef électro. C'est un couple génial car ils adorent tous les deux la lumière, ils travaillent ensemble, ils m'envoyaient des essais à deux heures du matin ! On a beaucoup rêvé ensemble du film au préalable, on a des images de référence, et on essaie de faire aussi bien, voire mieux, que ces images de référence de départ.

 

C. : Parle-nous de l'histoire.
H.C.: Cela commence dans une cellule d'asile psychiatrique, il y a une dame de 35-40 ans et une voix off, qui est la voix de mon ange, qui dit : " Je vais vous raconter l'histoire et vous expliquer pourquoi ma maman se retrouve dans cette cellule."
Et on voit un spectacle de magie, la voix explique alors que son papa était un magicien dont la spécialité était la disparition. Mais, un jour, il a disparu pour de bon et la maman est devenue
folle et l'enfant invisible est arrivé.
On voit qu'elle est enceinte, elle met des bandages sur son ventre pour cacher son bébé et un jour elle accouche toute seule dans la cellule d'un bébé invisible. Elle est super heureuse puisqu'elle peut le garder. Les médecins pensent qu'elle est folle. Elle vit avec ce bébé qui grandit dans sa cellule, il devient un petit garçon, elle lui apprend à écrire, à dessiner. Et le jour où il est juste assez grand pour regarder par la fenêtre de la cellule, il va voir en face une maison où habite une petite fille aveugle, Madeleine, dont il va tomber amoureux. Comme il est invisible, il arrive à sortir en suivant les infirmiers, il va rencontrer Madeleine et cela va devenir une histoire d'amour, on va les voir grandir ensemble jusqu'au moment où, adolescente, elle lui annonce qu'elle va retrouver la vue et qu'elle pourra enfin le voir. Il panique et se dit que si elle retrouve la vue, elle ne pourra jamais le voir puisqu'il est invisible.
C'est une histoire toute simple. On ne voit que Madeleine aux trois âges, la maman et on imagine mon ange.

 

Sur le tournage de Mon ange d'Harry Cleven © Cinergie

 

C. : Cela me fait penser à Trouble où il y avait aussi deux personnages, on ne savait pas vraiment dire s'ils existaient ou non.
H.C. : Quand j'ai terminé Trouble, je me suis dit qu'il était encore un peu trop réaliste. Je voulais aller vers des choses encore plus abstraites, moins réalistes. Je ne suis pas à l'aise avec le naturalisme. Plus c'est onirique, décalé, plus j'aime ça. Ici, j'ai trouvé un scénario qui me permettait d'aller à fond dans l'onirisme et dans le sensoriel. On fait beaucoup de plans flous, de peau, de cheveux. Comme la petite fille est aveugle, on parle de ce qu'elle sent, de l'odorat, du toucher, de l'ouïe. Quand elle retrouve la vue, elle retrouve ses sensations, elle pensait qu'on voyait autour des choses et elle a découvert qu'on voyait qu'un côté à la fois.

C. : On a présenté il y a peu Sirène. Tu parles ici de peau et de textures, mais c'était déjà très présent dans ton premier court-métrage.
H.C. : J'ai une fascination pour ça. Je voulais faire de la peinture quand j'étais jeune, mais je n'étais pas très doué. Je suis devenu comédien un peu par hasard et quand j'étais comédien au théâtre, je n'aimais pas jouer devant les gens.
Je me suis dit que peut-être que ce serait plus facile au cinéma. Dès que je suis arrivé sur mon premier plateau, j'ai été fasciné par la réalisation, et j'ai eu l'occasion d'écrire des courts-métrages et j'ai essayé de passer de l'autre côté aussi vite que possible.

 

Sur le tournage de Mon ange d'Harry Cleven

 

C. : Dernièrement, tu as enchaîné les téléfilms, est-ce que ça te donne ce dynamisme dans le tournage ?
H.C. : Quand j'ai fait Pourquoi se marier le jour de la fin du monde, c'était aussi avec une toute petite équipe, un tout petit budget, et quand on est arrivé en postprod, on n'avait plus d’argent. Donc, Rosane Van Haesebrouck m'a proposé de faire un téléfilm. Au début, je ne voulais pas, je voulais faire du cinéma, mais mon producteur de l'époque m'a dit de le faire pour pouvoir terminer ma postprod à mon aise. Finalement, j'ai pris beaucoup de plaisir à faire ce film. Je n'avais pas le stress d'écrire le scénario et j'ai pu essayer des choses. Je me suis dit que je ne voulais pas faire une carrière dans le téléfilm et chaque fois que j'en fait un, je le fais en me disant que c'est le dernier. Et je me dis tant pis si je me fais virer, s'ils n'aiment pas. D'ailleurs le film que j'ai fait dernièrement ne sortira pas sur les écrans. Mais, j'ai essayé plein de choses pour ce film, j'ai essayé des choses pour mes longs-métrages, et je ne fais aucune concession par rapport à ça, je fais ce dont j'ai envie. C'est vraiment un terrain d'expérimentation pour moi.

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