Cinergie.be

Sur les traces d'un Bruxelles révolu. Tournage de Melting Pot Café

Publié le 03/11/2009 par Dimitra Bouras / Catégorie: Tournage

Jean-Luc Goossens, scénariste de la série, nous reçoit dans l'arrière-salle d'un café de la rue Haute avant qu'elle ne soit envahie du brouhaha des assiettes et des couverts de l'équipe de Melting Pot. Attiré dans le métier de l'écriture par un maître, Yves Lavandier, qui avait pressenti son talent en l'invitant à participer à un atelier de développement de scénario de Canal+, ce réalisateur de formation abandonna totalement la caméra pour le stylo. Depuis, il collectionne les scénarios de comédies, a écrit un long métrage d'animation (Astérix et les Vikings), et, avec Melting Pot Café, sa première série télévisée (6 épisodes de 52 minutes, troisième saison déjà).
Qui dit série, dit 4 à 5 personnages principaux, avec leurs intrigues propres et des rebondissements qui s'entrecroisent pour se rejoindre ou se disperser. « C’est le travail de structure qui est le plus compliqué. Après, il y a la structure des 6 épisodes qu’il faut quasiment faire en même temps, avoir une ligne ou une trame sur chacun des personnages
principaux. Finalement, quand tout cela est fait, écrire les dialogues, c’est une partie de plaisir, la partie la plus facile. »

Cinergie : Travaillez-vous en solitaire ou en confrontant vos idées ?
J.- L. G. : J’écris une première version que j'envoie à Jean-Marc Vervoort, le réalisateur et à Catherine Burniaux, la productrice. Ils me font part de leurs remarques que j'intègre dans une deuxième version. On se voit à 3, et c’est là que le scénario passe à la moulinette. Suite à cela, je rebondis sur certains événements, et je développe une version plus aboutie. J'aime travailler seul, mais j'aime aussi avoir ce regard extérieur. Sur Melting Pot, j’ai acquis une certaine pratique du fait que je connais bien les personnages. Je sais exactement comment faire sonner les dialogues.
Melting Pot, c’est une idée que j’ai depuis très longtemps, cela fait plus de 15 ans que je la propose à la RTBF. J’avais envie de faire cette histoire d’un café bruxellois avec des personnages populaires, pittoresques. À l’époque, la RTBF ne produisait pas de série. Évidemment, ils me l’ont toujours refusée, mais comme je suis très obstiné, je suis revenu à la charge périodiquement. Quand ils ont lancé l’appel d’offre pour les séries, je suis de nouveau revenu. Et tout à coup, mon projet correspondait entièrement à ce qu’ils cherchaient ! Il faut toujours être patient et arriver au bon moment. Je crois que c’est une des grandes difficulté du métier.
C’est ma première collaboration avec Jean-Marc Vervoort le réalisateur, et je suis très content de travailler avec lui. C’est quelqu’un qui possède un vrai sens de l’image, et qui parvient, en peu de temps, à établir des mises en place assez compliquées avec beaucoup de mouvements, beaucoup de travellings dans des décors qui sont tout petits ! Cela donne une vraie dynamique, plus proche du cinéma que ce qu’on fait souvent à la télévision.
C'est important que la RTBF produise des fictions 100% belges, même si cela lui revient plus cher que d'en acheter des toutes faites. C’est très important pour les créateurs, pour les acteurs qui ont des rôles importants, et aussi pour la défense de notre culture. J'estime que c’est aussi la vocation de la télévision de proposer des produits qui sont enracinés localement, et la comédie est souvent le biais le plus accessible pour s'introduire dans la culture populaire.
Sur le plateau de Melting Pot, pour nous qui ne sommes pas habitués aux téléfilms, on découvre, avec de grands yeux, le rythme de travail : les scènes se succèdent, chacune a droit à deux ou trois prises au maximum. Sur une heure de présence, on assiste à deux scènes. À la pause de midi, on vole quelques minutes de repos à Jean-Marc Vervoort, le réalisateur. Lancé sur son tempo, il prend à peine son souffle entre deux mots, zappe les silences, et marque une certaine impatience devant notre mise en place, prêt à placer nos caméras et le micro, et qui sait, poser les questions, pour gagner du temps. Il nous a fallu un peu d'adresse pour le freiner dans son emballement, lui faire prendre du temps pour respirer et réfléchir avant de répondre.

 

Melting pot café

Cinergie : Quelles sont les grosses difficultés qu’on rencontre en tant que réalisateur sur une série ?
Jean-Marc Vervoort  : Sur une série comme Melting Pot, il faut tout le temps tracer. Il n’y a pas de journée cool. On ne s’arrête jamais : dès qu’on film un plan, on pense au suivant. On ne peut pas se dire, je fais 6 plans pour cette séquence, c’est impossible. Il faut synthétiser une séquence, et lui donner la couleur qu'on veut de la façon la plus simple possible.
C’est une grande organisation. On tourne l'équivalent de 4 longs métrages sur le temps normalement utilisé pour en faire un ! Et on tourne dans le désordre. On doit faire attention de ne pas rajouter trop de décors aux décors principaux. Mais comme l'histoire se développe, on n'a pas le choix, on doit trouver plus de décors, alors on utilise le quartier des Marolles où on tourne. On fait souvent participer les commerçants du quartier quand on a besoin d’un magasin. On doit limiter au maximum les déplacements par crainte de perdre du temps. On est presque une équipe à vélo ! La contrainte de la série, c’est vraiment le temps. On tourne en 6 jours plus ou moins 52 min de film. Tous les 6 jours, il faut boucler un épisode.

 

C. : Cela doit être une bonne école !
J.-M. V. : C’est une bonne école, mais jusqu’à un certain point. Heureusement que dans l'équipe nous avons quelques professionnels qui ont déjà travaillé sur des séries flamandes et qui ont une logique de simplification. Cela m'a beaucoup aidé à apprendre à mettre le maximum de choses en boîte sur une première prise.

 

C. : Penses-tu que ton passage sur Melting Pot changera ta façon de réaliser ?
J.-M. V. : J'ai beaucoup appris sur la direction des acteurs, et aussi à réagir vite. Pour ça, c’est une bonne école, mais le cinéma a une autre exigence.
Dans une série, on raconte par le dialogue, c’est une façon d’arriver à 52 min en 6 jours. Dans le cinéma, on raconte par l’image. Le cinéma est beaucoup plus visuel.

 

C. : Cette troisième saison est-elle plus facile à réaliser par rapport à la première ?
J.-M. V. : Au contraire, la difficulté vient avec l'habitude. Après la première saison, les comédiens se sont vus, et ils ont tendance à appuyer des traits, des expressions qu'ils ont appréciées dans leur personnage. Je dois être vigilant à ce qu'ils ne perdent pas cette virginité qu'ils avaient au départ et qui donne la force de la série.
On doit revenir avec une nouvelle fraîcheur sans verser dans la caricature des personnages.

 

C. : As-tu hâte de retrouver le cinéma ?
J.-M. V. : Oui, bien sûr, mais je trouve le passage par la série intéressant. Je pense que c’est un type de production qui doit se développer au niveau belge francophone, un peu à l’image des Flamands. Si un film flamand arrive à attirer presque 1 000 000 de spectateurs en salles, c'est parce qu’ils connaissent les comédiens qui y jouent. Il y a 15 ans, le cinéma flamand était plus que réduit, par contre, il y a eu une explosion de la série télé sur VTM. Les acteurs de séries sont devenus des stars, et il y a toute une génération de professionnels qui a appris à travailler sur les séries, dont les caméramans et les réalisateurs. Ils ont acquis un grand savoir-faire.
Au niveau scénaristique, je trouve que la série est une vraie ouverture qui sort du système des trois axes du long métrage. La série est multiforme. Mis de côté la frustration du manque de temps, je suis content d'y être passé.
Les comédiens sont les plus décontractés sur le plateau; les blagues à l'accent bruxellois fusent entre eux. Une ambiance bonne enfant règne dans la salle du café où la scène de fin d'épisode va se tourner. Le réalisateur et son assistant doivent veiller à ce que l'équipe des techniciens ne se laisse pas contaminer par cette joie de vivre. Le tournage de Melting Pot est un événement dans le quartier; les voisins s'installent tout autour du café de la rue Haute, discutent le coup entre eux, avec l'un ou l'autre échappé de la régie ou un stagiaire plus disponible. Les passants reconnaissent les protagonistes, les apostrophent. Fabrice Murgia, le jeune Philippe, fils de la tenancière, vient nous rejoindre sur les marches de la place Breughel. Près de nous, des étudiants libérés de leurs obligations scolaires, profitent, curieux, des propos que nous échangeons.

 

Cinergie : On te voit de plus en plus au cinéma, à la télé et surtout au théâtre. Quelles sont les grandes différences de jeu d'une scène à l'autre ? Quelles sont les difficultés de jouer dans une série télé ?
Fabrice Murgia : À vrai dire, il n’y a pas vraiment de difficultés, mais un avantage grâce à la durée. Cela fait 3 ans qu’on travaille ensemble, qu'on communique entre comédiens et équipe. Beaucoup de choses n’ont plus besoin d’être dites, parce qu’on se connaît. Les caméras sont beaucoup plus instinctives. La différence avec le cinéma, c’est qu’on vient 3 jours sur un tournage, parce que c’est rare d’avoir la chance de jouer 25 jours, et on ne connaît pas les gens qui nous entourent, ceux avec qui on joue.

 

C. : Y a t-il une différence de jeu entre la première et la troisième saison ?
F. M. : On sait dans quoi on joue. À la première saison, on devait inventer un style. Dans la saison 2, on connaissait le style de Melting Pot, on savait dans quoi on était. Maintenant, on ne peut être que dans l’affirmation de ce style, dans l’ancrage, et jouer avec les limites du style, partir dans le burlesque, grossir les choses jusqu’à une certaine limite. C’est cela qui est chouette. À côté de ça, je fais beaucoup de théâtre. J’écris et je mets en scène, surtout au Théâtre National. Jouer, c’est rentrer dans le trip des autres, mais j’aime bien aussi faire rentrer des gens dans mon trip à moi.

 

C. : Tes créations sont-elles comiques ?
F. M. : Absolument pas ! J’ai du mal à écrire des comédies, j’aimerais bien mais… je n’y arrive pas. C’est lié à des préoccupations. Mon dernier spectacle, Le Chagrin des ogres, parle de la perte de l’enfance à travers deux faits-divers. Le premier s’est déroulé en Allemagne où un étudiant s’est fait tirer dessus dans son école et le deuxième est celui de Natacha Kampusch, la jeune Autrichienne qui a été séquestrée dans une cave pendant 8 ans par un pédophile, d'où elle est parvenue à s'échapper.

 

melting pot caféC. : Cela doit être un petit peu schizophrénique de passer de Melting Pot Café à Chagrin des ogres ?
F. M. : Au contraire, cela fait du bien de passer d’un univers à un autre. En tant que comédien, c'est très satisfaisant ! C’est fantastique de jouer dans le Barbier de Séville à Paris le soir et le lendemain, d’être dans les Marolles, dans une scène plus intimiste avec un accent marollien ! On a l’impression de ne pas faire toujours la même chose, et de ne pas jouer de la même manière. Quand on fait du théâtre, de la télé ou du cinéma, on a l’impression de faire des métiers différents.

 

C. : As-tu d’autres projets de cinéma ?
F. M.
 : Je viens de jouer dans un court métrage des frères Jadin, Axel et Damien, qui s’appelle Casse-pipe, avec Serge Larivière. On sait vraiment bien marré ! Et puis, j'ai plein d'autres projets.

 

C. : Revenons à Melting Pot, quel est ton personnage ?
F. M. : J'incarne Philippe, le fils du café. À la première saison, il voulait partir en Afrique, et couper le cordon avec sa mère : ce qu’il n’a jamais réussi à faire. Dans la saison 2, l'enjeu était de mettre sur pied le restaurant, sa véritable passion, en fait ! Maintenant, à la troisième saison, il retrouve son père qu'il n'avait jamais connu. Le père est joué par Nicolas Buysse avec qui j’ai déjà joué dans Odette tout le monde et avec lequel je travaille beaucoup au théâtre. La venue du père est une réelle ouverture dans l'histoire et le jeu. En tout cas, cela se passe très bien sur le tournage et j’espère que ça se verra à l'image.

Tout à propos de: