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Alex Barbier par Laura Petitjean au Nova

Publié le 12/09/2022 par Benjamin Sablain / Catégorie: Événement

Le 15 septembre 2022, le cinéma NOVA met à l’honneur Alex Barbier non seulement avec une petite exposition, mais surtout avec le diptyque documentaire de Laura Petitjean et  William Henne. Dans la continuité de son activité de réalisatrice qui s’est toujours attachée au 7e art, cette aventure a pourtant un tout autre cachet que ce qui a précédé. La Dernière énergie (2021) et Alex Barbier : portraits (2022) font suite à cinq ans de tournage avant que le peintre et dessinateur ne décède. Ils constituent donc l’ultime portrait d’un être singulier.

Alex Barbier par Laura Petitjean au Nova

Les deux films cherchent à cerner l’humain et le cœur de son art. Cela se traduit, entre autres, par ses propres récits sur sa vie, sur son quotidien : le plus frappant reste sa manière de s’exprimer. Elle trahit déjà beaucoup de lui, comme si on avait face à soi un livre ouvert. La matière sur laquelle reposent les paroles d’Alex Barbier est ainsi rêche, crue, abrasive, percutante, crispante, traversée de pics de tension de telle façon qu’ils peuvent apparaître comme autant de coups de poing assénés à la face du réel. Ainsi en va-t-il aussi pour son art, que ce soient ses toiles ou ses planches de bandes dessinées. Elles sont vives, habitées d’un minimum de rouge, d’un minimum de colère, et exposent la réalité à vif, dans ses mouvements, dans sa crudité, dans sa part de transgressions… et avec une indéniable sensibilité qui, subtile, trace sa voie dans la tempête

Cependant, et c’est ce qui est le plus passionnant ici, Laura Petitjean n’a pas pensé ces deux documentaires comme un tout homogène. Ce sont deux projets aux esthétiques très différentes dont des conclusions par conséquent également très différentes peuvent être tirées.

La Dernière énergie gravite autour de la création d’une œuvre au titre éponyme qui précède de peu le décès d’Alex Barbier. Dans un film tout en intimité, Alex Barbier se découvre en relation étroite avec la présence discrète de Laura Petitjean, chemin faisant devenue modèle de l’œuvre en cours. De manière fascinante, elle se révèle alors depuis son invisibilité sous le regard de l’artiste qui, lui-même, s’ouvre à travers son geste artistique. La vivacité du trait d’Alex Barbier se livre ici une dernière fois à travers un processus artistique impliquant la réalisatrice elle-même, devenant la personne par laquelle le cœur de son art s’épanouit et en même temps brille d’un dernier éclat. Le dispositif du documentaire est par conséquent très puissant par tout ce qu’il charrie. Dans ces moments forts qui débordent les frontières de l’image, les archives se font discrètes pour céder la place à l’accouchement d’une œuvre pleine d’exclamations percutantes, de cris de soulagement, où l’expression verbale se noue avec l’expression artistique. Alex Barbier confirme peut-être ainsi combien il est d’un bloc, où chaque aspect de lui-même est l’écho des autres.

Alex Barbier : portraits est quant à lui un documentaire postérieur à la mort d’Alex Barbier. Laura Petitjean ne peut plus s’appuyer sur la captation directe du vivant et est contrainte de se river sur ce qui reste : des rushs utilisés ou non durant le tournage de La Dernière énergie, les œuvres passées, des enregistrements issus de diverses sources, des témoignages. Dans cette nouvelle optique où la chair du réel se réduit à une fine pellicule, les techniques d’animation y prennent une place à propos pour, par le biais du dessin, mettre en évidence les artifices de la fabrication des images et par conséquent la distance qui nous sépare désormais du sujet filmé. On s’éloigne par conséquent de l’organicité du précédent documentaire pour aboutir à un résultat plus fragmenté, portraits plus que portrait, où il n’y a plus seulement Laura Petitjean derrière la caméra, mais également participe toute une série de personnes (proches de Barbier, dessinateurs et dessinatrices, etc.). Le portrait devient ici le panorama éclaté d’une vie qu’il faut désormais reconstituer par le biais d’artifices à défaut d’avoir face à soi Alex Barbier en chair et en os, comme une créature de Frankenstein qui retrouverait la vie en reconstituant un corps bout à bout. Cela a pour avantage d’aboutir à un documentaire très riche en informations… mais également pour désavantage d’appauvrir l’image jusqu’à parfois en annihiler l’importance.

Il s’agit donc de deux films qui, indéniablement diffèrent et en même temps résonnent merveilleusement entre eux par leur capacité à flirter avec l’en-dehors. L’un se laisse déborder par la vie, les liens qui se tissent entre Barbier et Petitjean et qui vont jusqu’à déterminer le point final d’une vie consacrée à l’art. L’autre se laisse déborder par l’artifice, jusqu’à enclore ce qu’on voit d’Alex Barbier dans un écrin de lignes claires tissant un environnement minimaliste qui rappelle, à chaque moment, son support. Ils méritent par conséquent d’être vus ensemble, afin de ne rien perdre de ce que chacun d’eux exprime sur leur sujet, et également sur les limites du cinéma documentaire. 

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