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Aline Quertain, animatrice. Conte sauvage

Publié le 20/09/2023 par Kevin Giraud et Antoine Phillipart / Catégorie: Entrevue

Entre deux trains qui passent, la petite jungle uccloise dans laquelle nous rencontrons Aline Quertain est idyllique. Y règne une nature vibrante, tout comme dans ses projets en papier découpé et en stop-motion, au rendu si particulier. Rencontre avec la cinéaste, juste avant son départ pour Valence vers de nouveaux horizons animés.

Cinergie : Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Aline Quertain : J’ai intégré La Cambre après des études d’Arts à Louvain-la-Neuve, et une visite qui m’a captivée. Je regardais beaucoup de dessins animés dans ma jeunesse, mais le défi technique qu’ils semblaient représenter m’effrayait. De voir qu’il y avait une école pour se former à ces techniques, c’est ce qui m’a convaincue, même si j’étais aussi attirée par la bande dessinée et l’illustration. Mais avec l’animation, j’avais à la fois le mouvement, le rythme, le son et l’image, et c’est un choix complet qui m’a attiré.

C. : De la Cambre à Folimage, comment s’est passée cette première expérience professionnelle avec Le Renard Minuscule?

A.Q. : Sylwia (Szkiladz), ma co-réalisatrice, est sortie un an après moi de La Cambre. Nous avions envie de réaliser ensemble, et je venais de lire Le Roman de Renart, que j’avais beaucoup apprécié. De là, nous avons commencé à réfléchir à une histoire, que nous avons pitchée à Arnaud Demuynck. Celui-ci nous a incitées à postuler à la résidence Jeune Public que Folimage organise, en s’engageant à nous coproduire si l’on était sélectionnées. On a été prises, et de là est né Le Renard minuscule.

 

C. : Travailler en duo, c’est un plus pour ce type de projet?

A.Q. : En fait, c’était assez difficile de travailler à deux, d’autant que nous avions été formées de la même manière, et que l’on avait un peu les mêmes forces. Je pensais qu’en collaborant sur l’ensemble des tâches, nous irions plus vite, mais en pratique cela nous a beaucoup ralenties. Le grand avantage de travailler à deux par contre, c’est que l’on n’est pas seule dans les démarches de développement, de recherche de subsides, puis dans celles qui sont liées à la promotion du film. Dans tous ces processus, ne pas être seule face aux obstacles ou aux échecs, c’est vraiment bon pour garder la motivation. Mais pour la répartition des tâches, cela a été bien plus difficile que je l’imaginais.

 

C.: De là, comment avez-vous appréhendé la production de Conte sauvage, votre dernier film?

A.Q. : Avec beaucoup plus de solitude, mais plus d’expérience également. À Zorobabel, l’atelier où j’ai produit le film, j’avais un bureau où je pouvais me rendre tous les jours. Mais c’était à moi de m’organiser, de m’entourer, tout en gérant le suivi avec mon producteur et le coproducteur français 1224 films. Cela dit, ce n’est pas un film “solo”. J’ai reçu de l’aide aux décors, à l’animation, et également à l’écriture via un consultant scénario, des apports extérieurs qui ont été très enrichissants. Pour Le Renard minuscule, on avait eu la chance de déjà avoir des équipes en renfort, et cela m’a beaucoup apporté.

 

C. : Dans vos deux films, vous vous passez de dialogues, c’est un choix délibéré?

A.Q. : C’est de cette manière que je conçois mes histoires, et ces univers sans dialogues me touchent par leur côté universel. Et puis, je n’aime pas trop les sous-titres [rires]. Cela pousse la mise en scène à être plus expressive, sans les bavardages qui lui nuisent parfois. Ce n’est pas une règle que je m’impose pour toujours, il y a pas mal de dialogues dans mon prochain projet. Pour ces deux films, le fait de travailler avec des animaux a aussi poussé vers cette absence de dialogues. Je les imaginais grogner, faire des bruits, mais pas parler. Il y a d’autres manières de transmettre leurs émotions.

 

C. : Conte sauvage est une histoire très différente de celle du renard minuscule, d’où vous est venu ce nouveau récit?

A.Q. : C’est une histoire plus sombre en effet, inspirée de ma vie privée où j’ai vécu des relations parfois difficiles. Au-delà de cet aspect personnel, l’intensité des relations humaines m’intéresse particulièrement. Au début, il y a beaucoup de partage, quelque chose de fort se produit, mais parfois cela dérape, et la relation devient toxique. Et ce virage peut être très dur, quand on se retrouve coincé dans une situation où il n’y a plus de discussions possibles, et que l’on ne sait plus comment faire pour s’en sortir. J’avais envie, au travers de ce film, de réfléchir à cette impossibilité du dialogue, qui peut être très personnelle, mais aussi plus large, entre des communautés par exemple comme c’est le cas entre Wallons et Flamands, ou ailleurs. Tout en partant de ma propre expérience.

 

C. : Pour ce film, vous travaillez en papier découpé numérique, après avoir expérimenté la stop-motion sur votre film précédent. Qu’est-ce qui vous attire dans ces techniques?

A.Q. : Il y a différents aspects. D’une part, j’ai eu un vrai coup de cœur pour les films de Ladislas Starewitch, et je suis aussi attirée par les animations de l’Est. Il y a quelque chose de merveilleux dans ces objets qui se mettent à vivre. Et d’autre part, il y a une petite partie de moi qui a choisi ces techniques par paresse. Grave erreur, car cela représente énormément de travail. Dans ma tête, dessiner des milliers de dessins serait répétitif, tandis que les marionnettes ne le seraient pas. Mais dans les faits, il faut créer de nombreux modèles, et ce n’est pas du tout plus rapide. Cela dit, j’aime beaucoup cet aspect tactile de mon travail, et c'est pour cela que j’ai fait ce choix de techniques. Avec Sylwia, nous partagions beaucoup de références, et cela se ressent dans Le renard minuscule. Pour Conte sauvage, j’ai expérimenté un mélange de papier découpé et de numérique pour certains effets qu’il était impossible de réaliser physiquement. Mais les éléments ont tous été peints à l’aquarelle, avant d’être numérisés. Cela permet de faire onduler certaines parties des personnages, et de rendre l’ensemble plus fluide tout en gardant ce rendu unique.

 

C. : Vos films sont sans dialogues, mais pas sans son. Comment abordez-vous ce travail?

A.Q. : C’est très important pour moi, et assez difficile. Pour moi, le son est indispensable pour attirer les spectateurs dans l’univers du film. Je ne suis pas musicienne, mais je recherche systématiquement quelque chose d’organique dans ces sons, dans ces mélodies. Un rapport à la nature et aux animaux qui doit être présent tout le temps, sans néanmoins en devenir agaçant. Pour Conte sauvage, nous avions engagé des acteurs pour les bruits de l’oiseau et du lion. Mais le premier rendu ne me convenait pas, malgré un très bon travail de leur part. Finalement, on a quasiment retiré toutes les voix, modifié les sons des acteurs ici et là. Ce n’est plus reconnaissable, mais cela fait une présence. Côté musical, j’accorde beaucoup de confiance aux compositeurs avec lesquels je collabore. En fonction de leurs univers, de leurs propositions et de mon ressenti, on discute beaucoup et au final, on trouve le ton idéal.

 

C. : Conte sauvage tourne dans les festivals désormais. Quels sont vos projets pour la suite?

A.Q. : Le financement de Conte sauvage a pris beaucoup de temps, ce qui m’a permis de déjà écrire un autre film dans l’entrefaite. Ce court métrage, La Carotte en chemin, a déjà reçu une aide à l’écriture et j’ai également pu travailler sur le projet en résidence. Mais avant ce projet, je vais d’abord travailler à Valence sur le prochain long métrage d’Antoine Lanciaux, Le Secret des mésanges, avec qui j’avais travaillé sur Le Renard minuscule.

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