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Apple Cider Vinegar, de Sofie Benoot

Publié le 25/04/2024 par Nina Alexandraki / Catégorie: Critique

Dans Apple Cider Vinegar, la voix de Siân Philips, narratrice de documentaires britanniques d'histoire naturelle, se réinvente dans un personnage qui se confie à la première personne. Tout en s'installant dans les codes du documentaire animalier, le film questionne le regard qu'on porte habituellement sur la nature et nous invite à imaginer d'autres connexions possibles avec la Terre.

Apple Cider Vinegar, de Sofie Benoot

Avec une voix rauque et rassurante, la narratrice du film parcourt la planète et nous fait découvrir des endroits lointains. Cet univers du documentaire télévisuel sur la nature nous est familier et c'est pour cela que le glissement du regard que le film opère est si puissant. Aujourd'hui, il n'y a même plus besoin d'être sur place avec sa caméra pour regarder la nature : Siân Philips, installée confortablement chez elle, regarde et raconte le monde à travers des webcams. Qu'est-ce que ce dispositif raconte sur le désir des hommes de dompter et surveiller la nature ? Sur l'envie de mettre des yeux partout dans le monde tout en se retirant physiquement de celui-ci ? De regarder, depuis son salon, à Bruxelles, un lion boire dans le lac Kivu ?

Par des déplacements ironiques, Sofie Benoot décale l'usage classique des outils du documentaire animalier. Ainsi, alors que la plupart du temps, la narratrice commente les images comme si celles-ci étaient tournées dans le passé, par moments, elle intervient comme si elle était sur place et interagissait avec les personnages filmés. Les temporalités et les espaces se brouillent, la narratrice peut être n'importe où, n'importe quand. Le film questionne le pouvoir de celui qui livre le récit, incarné dans la tradition télévisuelle par une présence semblable à celle d'un démiurge invisible parcourant la planète sans obstacle physique.

En radicalisant le geste auto-ethnographique qui a le souci de situer son point de vue, le film installe le récit dans le corps. C'est l'élimination d'un calcul rénal du corps de la narratrice qui guide le film, car ce petit galet retiré du corps devient le point de départ d'une vaste enquête sur la pierre. Si le film se construit à travers un montage associatif qui parcourt la planète pour aller de la Palestine à l'île de Fogo et en Californie, ce n'est pas la distance abstraite des documentaires sur la nature que le film reproduit, car il s'agit, à chaque pas, de tisser des liens qui bouleversent et déplacent notre regard. Est-ce qu'il y aurait un rapport entre les douleurs physiques du corps humain et les tremblements de terre ? Qu'est-ce que cela nous apprend, le fait que le calcul rénal retiré du corps de la narratrice est composé de la même matière que les minéraux de l'océan Antarctique ?

Le film invite à reconsidérer le corps dans sa nature la plus matérielle et la plus fragile et à éprouver dans sa chair les connexions intimes qui nous lient au monde. C'est aussi, par l'étude des pierres, une ouverture à une autre temporalité que le film opère, celle de la mémoire de la Terre. Éruptions de volcans ou montagnes coupées par des autoroutes, la Terre s'en souviendra, car sur cette planète, ce qui s'y passe reste gravé dans la pierre.

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