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La Peine, de Cédric Gerbehaye

Publié le 03/05/2024 par Lucie_Laffineur / Catégorie: Critique

Né de la nécessité pour son réalisateur d’une immersion longue au cœur de la prison bruxelloise, La Peine est une plongée intime et inédite dans les profondeurs de la condition carcérale. En épousant le quotidien des hommes et des femmes qui y vivent – détenu.e.s, agents et directeur –, le film révèle les fêlures et les espoirs d’une humanité qui tente de résister à sa propre négation. Cédric Gerbehaye, photographe de formation, nous emmène dans un monde qu’il connaît bien puisqu'il a vécu 9 ans Avenue de la Jonction, entouré des trois prisons bruxelloises. Cette proximité l'a conduit à passer de l’autre côté des barreaux pour filmer pendant six ans ses voisin.e.s et les moindres recoins des prisons de Saint-Gilles, Forest et Berkendael. Le réalisateur a en effet reçu l’autorisation exceptionnelle de tourner dans l’entièreté des trois prisons : les cellules, l’isolement, les visites, l’unité maternité de Berkendael, la promenade, rien n’échappe à sa caméra.

La Peine, de Cédric Gerbehaye

Ici pas d’explication sur les condamnations de chacun.e, pas de commentaire informatif, pas de description, juste la vie quotidienne, la vraie, filmée de manière magistrale. On sent fortement la patte du photographe dans chaque plan. Filmée en noir et blanc, chaque image de ce documentaire est un tableau qu’on prend plaisir à contempler. Et pourtant, le réalisateur réussit la prouesse de nous faire presque oublier la caméra et de nous laisser vivre au rythme des différents lieux et moments clés de la vie carcérale : visites, promenades, temps en cellule, allaitement et jeux en cellule, passages des gardiens ou encore réunion avec le directeur. 


Le montage s’inspire du "parcours type" en prison. Le film s’ouvre sur l’accueil d’un nouvel arrivant et se termine sur l’évacuation complète de la prison de Forest. Entre les deux, on découvre la vie normale : entrée, sortie, isolement, promenade, visite, temps en cellule, travail, atelier, départ à la retraite d’un gardien… 
Les détenu.e.s essayent de faire passer le temps comme ils le peuvent, en trouvant des exutoires. Le travail, la musique, le sport, la religion, les ateliers… À chacun.e son bol d’air. 
Le spectateur découvre le quotidien des détenu.e.s, mais aussi des gardien.ne.s, enfermé.e.s en quelque sorte dans le bâtiment. L’un d’entre eux confie d’ailleurs qu’ils ne reçoivent "aucune formation pour gérer du vivant", ce qui en dit long sur leurs conditions de travail, mais aussi sur les conditions de détention des personnes enfermées.


Le film est émouvant – les passages tournés dans la prison pour femmes de Berkendael avec des mamans et leurs nouveaux-nés sont particulièrement touchants – mais il nous fait aussi sourire parfois et invite à la réflexion sur un système qui évolue peu au fil des ans.


Le documentaire débute en 2016, traverse la période difficile du covid et du confinement puis se termine avec l’évacuation totale de la prison de Forest pour la mégaprison ultramoderne de Haren. Bonne nouvelle… ou pas. Certes l’état du bâtiment est bien plus correct que celui des vétustes prisons de Forest ou Saint-Gilles (où certaines cellules n’avaient même pas de toilette ou d’arrivée d’eau), mais d’un autre côté, les détenu.e.s découvrent une usine aseptisée, déshumanisée, ultrasécuritaire et bien souvent plus éloignée de leurs proches.


Certain.e.s s’en réjouissent, d’autres s’inquiètent.
 
La Peine est un documentaire sur le milieu carcéral comme on aimerait en voir plus souvent. Loin des clichés et du sensationnalisme d’autres films sur le sujet, cette œuvre qui reste longtemps en tête fait réfléchir au quotidien des oublié.e.s de notre société, de celles et ceux qui sont de l’autre côté et auxquel.le.s on ne pense jamais…

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