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Camille Ghekiere, réalisatrice de Newcomers

Publié le 17/10/2023 par Antoine Phillipart et Gauthier Godfirnon / Catégorie: Entrevue

Lauréate du Prix Cinergie au festival Graines de cinéastes, Camille Ghekiere, dans son docufiction Newcomers, dresse le portrait de quatre adolescents immigrés, Aya de Syrie, Zineb du Maroc, Simeón de la République dominicaine et Sofia de Colombie, qui sont en Belgique depuis environ un an. Elle revient avec nous sur sa rencontre avec les jeunes acteurs et actrices et sa manière très perspicace de transmettre la brutalité et la noirceur du monde à travers l’humour de sa filmographie.

Cinergie : Vous avez réalisé ce film à la fin de vos études. Pourquoi avez-vous choisi de traiter le thème de l’immigration dans votre premier projet public ?

Camille Ghekiere : Cela va peut-être paraître assez cliché, mais j'ai l'impression que ce n'est pas moi qui ai choisi de faire ce film. Avec le recul, je pense que c'est le sujet qui m'a choisie. J'ai longtemps réfléchi à la façon dont les pays du nord dominent économiquement et culturellement les pays du sud. Je ne le comprenais pas très bien et j'avais l'impression que dans les pays du sud, une certaine sagesse avait été préservée, ce qui leur permet d'avoir des relations humaines différentes de celles des gens du nord.

 

C. : Comment avez-vous rencontré les quatre personnages principaux ?

C.G. : Je garde un souvenir vivace du jour où je les ai rencontrés. Je suis arrivée dans cette classe où je devais filmer ces élèves immigrés en train de suivre un atelier dans une école secondaire. Je devais faire de courtes vidéos pour les réseaux sociaux. J'ai trouvé  trois d'entre eux particulièrement intéressants. J'ai vu ce garçon qu'on filmait avec un iPad, qui devait raconter une histoire. Il parlait de son iguane, son animal de compagnie en République dominicaine. Il l'avait perdu et s'était rendu dans un parc pour le chercher. Il est alors tombé nez à nez avec un groupe d'iguanes et ne savait pas lequel était le sien! Je me suis ensuite retournée et j'ai vu Zineb, cette fille très apprêtée avec de superbes cheveux, des bagues aux doigts en train de couper du bois avec une scie. Elle se comportait comme un homme travaillant dans le bâtiment. C'était marrant de voir une personne qui accorde tellement d'importance à son apparence et qui s'en foute et fait ce travail manuel! Et puis, il y avait Aya, qui portait un foulard, et qui se comportait comme la boss de la classe, et qui voulait tout le temps dire à tout le monde ce qu'il devait faire. La quatrième adolescente que j’ai trouvée était aussi dans cette classe, mais elle ne participait à l'atelier. Je l'ai rencontrée par la suite. Le contraste dans leur personnalité m'a beaucoup attirée. Quand on écrit un scénario de fiction, on cherche ce contraste. On est attiré par des traits de personnalité ou des caractéristiques qui ne concordent pas ; par exemple, un éboueur qui adore la poésie. J'ai déniché cela dans de vraies personnes. C'est ce qu’on cherche, on veut que l'habit ne fasse pas le moine et l'on puisse jouer avec l'effet de surprise.  

 

C. : Qu'ont-ils ressenti à l'idée de participer à votre projet ? Comment l’ont-ils vécu ?

C.G. : Le documentaire, c'est toujours un processus. Tu ne vas pas vers quelqu'un et lui dire qu'il ou elle a l'air super intéressant·e, que tu veux faire un documentaire sur il ou elle. Ça pourrait l'intimider. Il fallait d'abord leur demander si je pouvais peut-être les interviewer pour en savoir plus sur leur expérience en Flandre. Je leur ai dit que j'aimais beaucoup leurs réponses et que je voulais en faire un film, avant d’aller chez eux pour tourner.

 

C. : Comment avez-vous fait en sorte que ces adolescents soient spontanés dans leur démarche ? Était-il facile pour eux de s'ouvrir à vous ?

C.G. : Ce n'était pas si dur, ce sont des personnes très spontanées de base. J'ai aussi l'impression que c'est une qualité qui nous manque dans notre propre culture. Leur spontanéité m'a donc attirée et m'a permis de faire un film à leur propos. Le cœur du documentaire réside dans une certaine ambiance décontractée, même si en tant que réalisatrice, je n'ai pas du tout été détendue (rires). J'étais tout le temps stressée, j’avais peur que cela ne fonctionne pas. C'est une situation schizophrénique, mais on fait en sorte d'être amical·e et que le tournage devienne un jeu. Ce côté ludique m'importe beaucoup.

 

C. : Ces adolescents utilisent la danse et le théâtre comme un exutoire. Que pouvez-vous ajouter sur le rôle de l'art dans la vie de ces primoarrivants ?

C.G. : Les scènes de danse dans Newcomers étaient vraiment un exemple de mélange de documentaire et de fiction. J'ai vu que dans leur vie personnelle, la musique jouait un rôle important. Par exemple, Zineb adore aller à des mariages et danser sur les musiques caractéristiques de ces événements. Sofia aime aussi danser la salsa. J'ai ensuite beaucoup porté mon attention sur la musique qu'ils et elles écoutent, avant de leur proposer de tourner une scène de danse ou de play-back. Ils ont joué le jeu, car cela représentait beaucoup leur vie personnelle.

 

C.: En général, votre objectif est-il d'utiliser le cinéma pour aborder des sujets sociaux délicats ?

C.G. : Bien sûr ! Pour le moment, je tourne un film avec l'un des personnages de Newcomers, Simeón. Il y a un an, il m'a dit qu'il allait faire un stage dans une maison de retraite. J'ai pensé que sa personnalité créerait un cocktail explosif avec ces personnes âgées. Je suis donc en train de tourner ce projet pour le moment. Par rapport à l'aspect social, l'immigration est encore au centre de la trame. Le film aborde en effet la façon dont on traite les personnes âgées dans notre société. Le but est de représenter la vie intime de nonagénaires et la relation entre ces deux groupes sociaux, les immigrés et les seniors.

 

C.: Comment les acteurs de Newcomers ont-ils réagi quand vous avez gagné le prix au festival du film d’Ostende ?

C.G. : La première du film s'y est déroulée et tous les acteurs étaient présents. Nous avons gagné le prix du meilleur court métrage flamand. Ils étaient super fiers, mais aussi gênés. À chaque fois qu'ils voient le film, ils ont l'impression que leur flamand est mauvais. 

 

C. : L'humour et la légèreté jouent un rôle important dans votre film. Pensez-vous que l'humour puisse être utilisé pour dépeindre la réalité d'une manière légère et avoir ainsi un impact majeur sur les mentalités sans que vous agissiez en donneuse de leçons ?

C.G. : Dans le cadre de mon travail, c'est essentiel d'utiliser l'humour comme un outil et ne pas se montrer moralisatrice. Je cherche à traiter des sujets sociaux délicats sans ennuyer les spectateurs. C'est la réalité dans notre société actuelle : les gens veulent du divertissement et ne veulent pas être confrontés à des choses trop sombres à l'écran.

 

C.: Voudriez-vous que cela reste le cas à l'avenir dans vos futurs projets ?
C.G. : Oui, cela restera une caractéristique inhérente à tous mes films. Le film du home est pratiquement une comédie, tout en ayant un côté tragique. Nous avons littéralement filmé une femme sur son lit de mort qui mourait le lendemain du tournage. Ensuite, nous avons filmé les rituels pour lui dire adieu. La scène suivante est tellement drôle qu'on en pleure de rire. J'adore marier ces deux contrastes, c'est la vie. La vie est une tragicomédie.

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