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Entrevue avec Eliane Dubois

Publié le 01/01/2004 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

La distribution est amenée à connaître de nombreux changements dans les mois à venir. Nous avons demandé à Eliane Dubois, qui dirige la plus grosse société de films indépendants en Belgique via Cinélibre et Cinéart, de nous parler de ces mutations : l'arrivée de la projection numérique, le regroupement de distributeurs indépendants en Europe, la place du DVD par rapport à la sortie en salles, le VoD, l'éducation à l'écriture cinématographique du jeune public, etc.

Eliane Dubois © JMV/Cinergie

 

Cinergie : Pour la promotion et l'achat de films nous avons appris que Cinéart s'était regroupé avec Haut et Court (France), A-Films (Pays-Bas), Frenetic Films (Suisse) et Lucky Red (Italie). Cela permet-il l'acquisition de films dont les prix ne cessent de grimper sur le marché ?
E.D. : On discute de cette idée depuis longtemps et cela s'est concrétisé à Cannes par la création d'une société basée en France. Il s'agit d'un pool d'achat dont on est chacun actionnaire et partenaire. Les différents distributeurs étant à ce moment-là les distributeurs locaux des films qu'on décide d'acheter. Cela permet à des distributeurs indépendants d'accéder aux des films porteurs, dont ils ont besoin chaque année pour survivre ou d'accéder aux films à des prix abordables. Il nous a semblé qu'à long terme, il était important de réussir là où d'autres ont échoué, en en tirant les leçons. C'est ce qu'a essayé de faire Polygram/Universal, de même que Studio Canal. Créer un mini Studio Canal européen. Ce qui nous a rapprochés est une expérience commune entre distributeurs qui à force de se côtoyer comparent les prix et se battent pour obtenir des conditions équivalentes. L 'apparition du DVD, où nous pouvons davantage contrôler les dates de sorties, nous a fait penser que nous avions intérêt à se regrouper. Le principe étant que les territoires sont solidaires au niveau financier, ce qui veut dire que l'on paie un certain montant et que tout revient dans un pot commun.
Cela correspondait à ce que MEDIA attendait de nous depuis longtemps mais qu'on ne voyait pas comment mettre en œuvre parce qu'on ne voyait pas pourquoi on était obligé d'acheter les mêmes films que Bac ou que Diaphana. Dans ce cas-ci ils sont très enthousiastes et ont trouvé une clause particulière pour booster ce genre de projet. L'intérêt des vendeurs, en pouvant annoncer que cinq distributeurs ont acheté leur film, c'est que cela leur donne une valeur ajoutée sur le plan de la vente internationale. On est beaucoup plus fort en festival que si nous étions restés seuls. Ceci étant, chacun garde son indépendance pour des tas d'autres films que nous distribuons seuls. Nous en avons beaucoup. Mais on pourrait imaginer qu'à un certain moment chacun se suffit des achats que l'on ferait en commun.



C.
: Pensez-vous que les aides à la diffusion du programme MEDIA ou de la Communauté française soient suffisantes pour permettre au cinéma indépendant européen d'exister ?
E.D. : C'est clair qu'il y a beaucoup plus d'aides en France, on est loin de leur niveau, il y a des aides pour la production de DVD et elles sont plus stimulantes. Les aides MEDIA grâce à l 'aide automatique permettent à toute une série de distributeurs indépendants de survivre. Et aujourd'hui entre un film américain et européen, équivalant en qualité et en prix, je choisis l'européen. C'est donc un vrai stimulant. Le vrai problème qui fait tomber certains distributeurs se sont les télévisions qui n'achètent plus rien. Même si je peux dire qu'en Communauté française la RTBF fait des efforts, la VRT est loin du compte. Elle achète très peu ou difficilement et surtout la télévision ne participe pas à la promotion du cinéma. On peut passer des spots payants, il y a des échanges et des avant-premières mais il n'y a plus d'émission de cinéma digne de ce nom. Cela signifie qu'on n'éduque pas le public au cinéma, on ne le fait pas non plus dans l'enseignement - sauf des initiatives comme " Les Grignoux" avec les dossiers pédagogiques. Il me paraît capital de prendre une décision pour que les jeunes se familiarisent à l'écriture de l'image. Qu'ils sachent faire la différence entre la bédé, le film, la pub, le reportage. En France il y a davantage d'initiatives, qui vont dans ce sens-là, émanant du Ministère de l'éducation nationale. Si on n'apprend pas aux jeunes à apprécier un certain type de films on est en train de perdre les spectateurs de demain.



C. : Que représente pour vous le DVD par rapport à la sortie en salles? Pensez-vous0 que le DVD puisse devenir prioritaire par rapport à la sortie en salles ?
E. D. : Tout le monde parle du boom du DVD. C'est vrai que l'arrivée du DVD a changé beaucoup de choses dans le paysage cinématographique. Le DVD par sa qualité est quelque chose de différent de la K7 VHS et offre une possibilité d'éducation au cinéma. Les " bonus " lorsqu'ils sont faits avec soin et originalité sont de véritables leçons de cinéma de la part du réalisateur et compensent l'absence complète d'émissions de cinéma. On est toujours éditeur, on n'a jamais voulu céder les droits vidéo. Avec l'arrivée du DVD, bien que ce soit du temps et de l'argent à investir, on a retrouvé un vrai plaisir à créer sa conception. On sort tous nos films en DVD et on pense DVD dès la sortie en salles., Sur celles-ci on ne gagne rien et quelquefois on y perd. Préparer la promotion d'une sortie en salles, en se disant que deux semaines plus tard le DVD sera en vente, alors que le film n'avait fait que 2000 spectateurs en Belgique, c'est ce qui arrive pour des petits films et c'est dur psychologiquement mais par ailleurs il y a un support sur lequel il continuera à être vu. L'ennui c'est que ça coûte plus cher que de le mettre sur un support VHS, et, j'observe que des tentatives diverses voient le jour comme par exemple de vouloir taxer ce format, comme il a été proposé lors des rencontres de Beaune. Le support vierge à la limite, mais si on se met, alors qu'on achète des droits, à nous taxer sur les DVD finis on va vers une réduction du catalogue. J'ai attiré l'attention du comité de concertation qu'une aide de 20 000€ à la sortie des films belges c'était bien, mais qu'aujourd'hui il faut penser à nous aider au niveau des DVD. Et si on nous laisse la possibilité de gérer l'argent de la promotion, lors de la sortie d'un film, cela ne concernera que les films sortant maintenant. Or, nous préparons un double DVD sur Max et Bobo et sur Une Liaison pornographique que nous sortons dans le cadre du tournage de La Femme de Gilles mais c'est à nos risques et périls. Risques que le producteur a décidé de partager avec nous, comme pour Mobutu, Roi du Zaïre de Thierry Michel. On va mettre sur DVD tous les films de Thierry Demey et là il y a un problème des droits car il ne rentre dans aucune catégorie. Or il représente quelque chose d'important en Belgique avec la somme des documentaires qu'il a réalisés, qui on trait à la danse et qui s'exportent très bien. Il y a aussi des projets avec Jaco Van Dormael.



C. : Que pensez-vous de l'arrivée prochaine de la projection en salles de films au format numérique? Le métier va-t-il changer ?
E.D. : Au niveau du particulier ce qui va être plus déterminant c'est tout ce qui est VoD (vidéo on demand), la possibilité de charger chez soi, au moment où on veut, le film qu'on veut. Comme cinéphile je n'ai jamais trouvé mieux que de regarder un film en salles. La taille de l'écran et la proximité d'autres gens donne une autre dimension à un film.
A cela se greffe un problème majeur dans le monde entier qui est la piraterie. Le jour où il arrivera au cinéma ce qui se passe en ce moment avec la musique ce sera catastrophique. Je crois que les gens, jeunes et moins jeunes comprennent mal les enjeux - non seulement que c'est punissable et susceptible d'amendes réelles, mais qu'en plus des salles vont fermer, des films ne seront plus distribués. L'industrie essaye d'y répondre mais tout en promouvant des machines, de plus en plus performantes, pour copier et graver des DVD. Ils poussent dans un sens tout en criant au loup de l'autre. On ne sait pas très bien où cela va nous mener.



C. : Ne pensez-vous pas que les films belges ont peu de visibilité parce que le public - et les jeunes en particulier - n'en entendent parler que lors de leur sortie en salles ?
E.D. : Le fait de sortir un film belge n'est pas un argument convaincant pour les exploitants et les distributeurs parce qu'il n'existe pas de fierté nationale de la part du spectateur. Heureusement, le cinéma belge s'en sort bien sur le plan de la visibilité internationale et sur les nombreux prix qu'ils remportent dans les festivals. Vis-à-vis d'un public plus jeune on pourrait renouer avec les ciné-clubs qui ont aidé notre génération à découvrir le cinéma par la qualité d'une présentation ou la manière d'encadrer un film. Je pense qu'il y a une demande du public. Ce n'est pas nécessairement un réalisateur, mais aussi un journaliste ou un animateur cinéphile, qui peut aider à le décoder et à améliorer la compréhension à l'écriture d'un film et pas simplement : "J'aime" ou "je n'aime pas". Si je devais avoir une idée de salle idéale : il y faudrait trouver une formule de ciné-club des années 2000. Ce que je défends ce sont les auteurs, des gens qui, à travers leurs films, ont construit une œuvre. Evidemment ce qu'on entend autour de nous actuellement c'est : "on veut se distraire". Mais pour moi, le cinéma de qualité n'est pas synonyme d'ennui, la distraction peut être de qualité.

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