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Entrevue avec Gérard Corbiau

Publié le 01/10/2002 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Gérard Corbiau a été, en 1987, le premier cinéaste belge à connaître un large succès public avec Le Maître de Musique, dans son propre pays. C'était son premier long métrage. Avant lui, des cinéastes aussi importants que Delvaux ou Akerman étaient davantage appréciés à l'étranger qu'en Belgique. Cette année Gérard Corbiau revient dans l'actualité en devenant le Président du Festival de Namur et, en sortant Le Roi Danse dans une édition DVD. Nous avons décidé de le rencontrer. Il nous a accueilli chaleureusement. Une heure pour parler du Festival de Namur, du Roi danse et de ses projets.

Gerard Corbiau

 

Cinergie : Pourquoi avoir, alors que vous êtes en pleine préparation de tournage, accepté la présidence du plus important festival de Wallonie ?

Gérard Corbiau : J'ai accepté la présidence du Festival du Film International du Film de Namur par amitié. Il y a une nouvelle équipe qui se formait, qui m'avait déjà contacté il y a un an, au lendemain de la sortie en salles du Roi danse. Il se fait que j'ai toujours été attaché à ce festival. Lorsqu'ils m'ont demandé d'en assurer la présidence j'ai dit : "Oui, pourquoi pas ? C'est  un honneur !". Je me disais que le festival commençait à patiner depuis quelques temps, que si je pouvais leur donner mon point de vue et que s'il voulait bien m'écouter, ça m'intéressait. Dès le départ, j'ai souhaité que chacune des avant-premières soit un événement. Pouvoir retrouver des gens qui viennent à Namur et qui donnent un certain éclat à ce festival. Car si on veut qu'on en parle et qu'on parle du cinéma francophone, il faut qu'on puisse obtenir des films et des gens qui font parler d'eux ! Et donc, je leur ai demandé Et donc, je leur ai demandé de faire des événements, de faire en sorte que les films que l'on choisisse puissent amener des acteurs, des films qui aient un certain retentissement, qui s'adressent à un large public et qui soient de qualité. Donc des films ambitieux. Je leur ai demandé d'être attentifs au cinéma belge en ce moment. Le cinéma belge est là, il fonctionne, c'est formidable. Il faut être l'écho de ce cinéma. Aux cinéastes et aux producteurs, maintenant, de répondre à cet appel. Je n'ai été que le moyen de les guider dans ce sens-là. Donc, on a fait un grand hommage à Jean Rochefort et décidé de mettre en valeur le cinéma québécois. Mais le vrai boulot, ce n'est pas moi qui l'ai fait, ce sont des personnes comme Dominique Jamar et son équipe qui ont organisé tout cela avec un comité de sélection.

 

Le Roi danse - DVD

C. : Depuis Le Maître de Musique, on a l'impression que vos films nous montrent des duos qui s'affrontent : le professeur et l'élève dans Le Maître de Musique, Carlo Broschi et Ricardo, son frère dans Farinelli et dans Le Roi Danse deux couples : Molière-Lully et Lully-Louis XIV ?
G. C. : Il est vrai que dans mes films, l'affrontement est important. On doit s'affrontement contre quelqu'un d'autres. Vous parlez de duo... si on veut... Pour Farinelli, par exemple, la base même est un trio. Les deux frères face à Hendel, qui lui, va s'amuser à décomposer le duo. Pour Le Roi danse, c'est un duo, ce sont les deux bouffons du roi, qui vont mettre en place le pouvoir de Louis XIV et faire en sorte qu'il soit admis par la noblesse, sur qui il doit imposer son pouvoir. Ils l'aide à s'allumer puis, lui, va les éteindre l'un après l'autre. Il est vrai que ce sont souvent des histoires d'hommes.

 

C. : La très belle scène de la mort de Molière préfigure celle de la mort ou du suicide de Lully ?
G. C. : Moi, je dis que Lully s'est suicidé. Peut-être de la manière dont je l'ai montré. Personne ne connaît la vérité historique. Ma manière ce n'est pas celle que l'on voit dans les manuels scolaires, mais elle m'intéressait fort au niveau dramatique. Pour un danseur, l'idée de ce planter un bâton dans le pied (son bâton de chef d'orchestre), c'est quelque chose. On ne coupe pas la jambe d'un danseur, comme Lully le dit au début du film : "enlevez-moi le coeur, mais pas la jambe". Ca me semblait la chose intéressante à mettre en place. Ce destin est passionnant. Maintenant, est-ce la vérité ou pas... L'important ici, est que pour mon histoire à moi, ça fonctionne comme ça. On a eu quelques problèmes à la sortie. C'est curieux car j'ai ça à chacun de mes films. La sortie de Farinelli a été épouvantable au niveau critique ! Il y a eu un moment de grand désarroi. Puis les gens sont venus. Les gens reviennent vers moi. Le film comment peu à peu à être reçu par la TV, les K7, les DVD...

 

Musique et télévision

C. : En revoyant le film on se rend compte qu'il y a énormément de choses qui sont traitées dans Le Roi Danse.
G. C. : Il y a aussi beaucoup de choses qui ont été incomprises au niveau de l'histoire. Je ne comprends pas que les gens ne comprennent pas... On s'est attaqué à deux choses. On s'est attaqué au fait que Louis XIV ne pouvait pas danser torse nu. Moi, je ne trouve pas ça grave. Il était tout doré, il représentait Apollon. Qu'est-ce que ça veut dire ? c'est l'affiche ! Quand tu analyses bien, on s'est attaqué à l'affiche et à l'image qu'elle véhiculait ! Il est vrai qu'elle est mauvaise ; mais bon... Et puis, d'autres critiques disaient qu'on ne voyait même pas le roi danser. Pourtant, il danse. Peut-être pas beaucoup, mais il danse. Donc s'attaquer à ces deux points, c'est vraiment s'attaquer à l'image du film. On n'a pas fait d'effort suffisant de communication au préalable. On a sorti un bon dossier de presse, mais il y a tout un travail qu'on aurait du faire avant. On a sorti le film trop brutalement. Ça a été un choc, donc été mal reçu.

 

C. : La danse et la musique, à l'époque, c'était un peu comme la télé aujourd'hui ?
G. C. : La danse est un phénomène que l'on trouve étonnant maintenant, mais qui était considéré à l'époque. Tout simplement parce que la noblesse dansait ; c'était un passe-temps, comme la chasse et le maniement des armes. Dans la danse, il y a, pour le roi, quelque chose d'important qui est le mouvement du corps. Montrer le corps du roi était symbolique ; c'est quelque chose de très tribal comme manière de voir. La pièce centrale de Versailles et le centre même de toute l'activité est la chambre et le lit du roi. Là où le corps du roi se repose et va se réveiller là où le soleil se lève. Il se lève en même temps que le soleil. Le corps du roi est quelque chose d'important. Cette sacralisation du pouvoir peut se manifester par la danse. Au centre de la musique, il y a le corps du roi qui se met à danser. La musique, à l'époque, ce n'est pas comme écouter la radio ou un cd, la musique avait un rapport presque religieux avec l'existence. Elle était une science, même pas un art, une science, elle révélait l'harmonie des astres et de l'univers. La musique représente l'harmonie générale. Au centre de cette harmonie, il y a le corps du roi qui danse. Ça c'est la raison profonde de la danse. En dansant, le roi devient Dieu.

 

C. : C'est intéressant de comprendre un autre système de représentation parce que cela relativise le nôtre.
G. C. : C'est quelque chose qu'on ne conçoit plus bien aujourd'hui. D'où la difficulté de faire comprendre cette idée-là. La musique pour nous est usuelle, utilitaire. C'est intéressant d'essayer de rentrer dans ce système, pour mieux comprendre l'histoire.
La danse était aussi un moyen de faire passer des messages politiques, comme la télévision le fait aujourd'hui.

 

Projets

C. : Quels sont vos projets cinématographiques ?
G. C. : J'ai en projet le tournage d'un téléfilm et ensuite un long-métrage. J'ai reçu au début de l'année un scénario extraordinaire, écrit par Alain Moreau, qui est une adaptation d'un roman belge, de Francis Walder : Saint Germain ou la Négociation. Prix Goncourt en 1958. On a un bon casting, avec Jean Rochefort. Je tourne dans la région parisienne, c'est une production française. En même temps, j'entreprends l'adaptation d'un roman historique : L'Abyssin de Jean-Christophe Rufin, où il est question d'une ambassade entre l'Ethiopie et Louis XIV. Ce sera un long métrage de fiction.

 

C. : Vous parliez de Dom Juan dont vous venez de monter l'Opéra de Mozart récemment en France ; où en êtes-vous avec ce personnage mythique ?
G. C. : Andrée, mon épouse et moi avons écrit un scénario inspiré d'un personnage qui a vécu la vie de Dom Juan au XVIIème siècle, qui s'appelle Dom Miguel de Manara. Il est au centre même du mythe de Dom Juan. Il y a deux choses à la base de ce mythe : la pièce de Tirso de Molina et aussi du personnage de Manara. Ces deux influences se retrouvent dans l'oeuvre de Molière. Et donc Manara a vécu la vie de Don Juan et puis s'est racheté en oeuvrant pour les pauvres. Il est devenu un saint à Séville. À l'âge de 15 ans, il voit la pièce de Molina, est subjugué et décide de séduire toutes les femmes. J'espère le faire un jour. C'est un beau projet. Lorsque nous avons essayé de le faire, après Farinelli, le Dom de Weber venait de faire un flop. Tout le monde s'est fermé à l'idée de ce thème. On est parti alors sur autre chose : Le Roi danse.

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