Cinergie.be

Kenza Benbouchta et Ethelle Gonzalez Lardued : Amal

Publié le 31/01/2024 par Malko Douglas Tolley et Antoine Phillipart / Catégorie: Entrevue

Amal est un film choc qui traite de la liberté d’expression et d’enseigner. L’action se déroule dans une école que l’on suppose bruxelloise même si le sujet est universel. Dans son dernier film de fiction, Jawad Rhalib met en lumière le talent de deux jeunes comédiennes bruxelloises dans la peau de deux adolescentes. Kenza Benbouchta interprète avec brio le rôle d’une élève harcelée par une ancienne amie de classe radicalisée, Ethelle Gonzalez Lardued. C’est dans les couloirs du cinéma Palace de Bruxelles à l’occasion du Cinemamed que Cinergie les a brièvement rencontrées.

Cinergie : Comment se sont effectués vos premiers pas au cinéma en tant que comédiennes ? Il s’agit de vos premiers rôles importants dans un long métrage. Comment avez-vous rencontré Jawad Rhalib et décroché ces rôles de victime et harceleur dans Amal ?

Kenza Benbouchta : En ce qui me concerne, je suis maquilleuse et non pas actrice. Mon père est comédien. Il a vu passer l’annonce pour le casting d’Amal. Je m’y suis rendue sans avoir beaucoup d’espoir. C’étaient des castings un peu atypiques. On n’était pas face caméra. On n’était pas seule, à réciter le texte. On faisait des jeux d’improvisation. Le processus a été assez long et je pense que près d’une année et demie s’est écoulée entre ce moment et la réponse définitive.

 

C. : Comment vous êtes-vous préparée une fois que votre rôle fut confirmé ? Quelle fut votre réaction ?

Kenza Benbouchta : Je me suis dit zut (rires)! Sincèrement, j’ai eu peur. J’ai trouvé l’exercice du casting très chouette. Le rôle m’inquiétait. J’avais peur de ne pas bien représenter les enjeux inhérents à la problématique ou de ne pas bien représenter la communauté LGTBQIA+. C’était quelque chose qui me faisait très peur. Au final, il faut y aller pas à pas et se renseigner. J’ai beaucoup discuté avec des gens afin de comprendre ce qu’on peut ressentir dans une situation de ce type.

Cinergie : Ethelle, pour vous par contre votre parcours est un peu différent puisque vous êtes comédienne formée à l’IAD. Vous avez d’ailleurs obtenu des rôles dans deux courts-métrages de Victoria Jadot, Les Rois de la jungle (2020) et Désirée (2019). Vous ne représentez pas la communauté LGBTQIA+, mais bien une jeunesse radicalisée religieusement. Comment vous êtes-vous préparée à ce rôle de “méchante” assez compliqué en termes d’image ?

Ethelle Gonzalez Lardued : J’ai débarqué dans le monde du cinéma en tant que comédienne. C’est ce que j’ai envie de faire et j’ai déjà joué dans quelques courts-métrages en effet. J’ai fait des études de réalisation parce que je ne voulais pas faire du théâtre et intégrer ce milieu qui me semble assez clos. J’avais également envie de voir ce que la réalisation pouvait m’apporter personnellement en tant que comédienne au niveau de mon jeu. J’ai bien évidemment envie de dire des choses et de jouer des rôles. Mais il y a un moment où j’ai envie de pouvoir prendre la parole. Même si je m’exprime à travers mon personnage, je n’ai pas la liberté de porter un propos, d’écrire, de diriger des comédiens. C’est un rôle que j’aimerais un jour exploiter dans ma vie. Je suis toujours dans des études de réalisation, mais pas à l’IAD. Je suis dans une école d’art à Bruxelles, l’ERG. J’avais passé un casting pour un autre rôle. Mais suite à ma rencontre avec Jawad et aux exercices d’improvisation avec les autres jeunes, j’ai reçu cette proposition d'endosser le rôle de Jalila, la jeune fille radicalisée du film. On a passé un casting ensemble avec Kenza. J’ai dû jouer une scène du film en improvisation. Comme pour Kenza, ce n’est pas du tout ma culture. J’ai des amis musulmans, mais ce n’est pas ma culture à moi. J’avais besoin d’être rassurée quant à ma crédibilité. J’avais surtout des craintes de ne pas être légitime. J’ai fait beaucoup de recherches. J’ai appris un peu d’arabe et Jawad m’a mis en confiance également.

 

C. : Vous semblez plus complices ici en interview que durant le film. Comment avez-vous procédé pour vous mettre dans la peau des personnages et créer ce sentiment de tension latente entre vous ?

Kenza Benbouchta : On se déteste (rires). On était copines dans l’histoire du film avant de se détester. On s’est éloignée ensuite, car Monia n’aimait plus l’évolution de la pensée religieuse de Jalila. 

Ethelle Gonzalez Lardued : Jawad nous avait demandé de ne pas nous parler, mais on ne l’a pas vraiment respecté pour être honnête.

Kenza Benbouchta : Je n’avais pas de problème à la détester devant la caméra et à papoter en dehors. C’est comme un combat de boxe, on se frappe pendant dix ou douze rounds et après on a besoin de se prendre dans les bras pour se faire un câlin.

 

C. : Les sujets du film évoquent la radicalisation religieuse, la liberté d’expression dans l’enseignement et le harcèlement subi par les communautés LGTBQIA+. Ce sont des sujets assez pesants et vos rôles vous placent dans des rôles assez connotés. Kenza Benbouchta, vous avez le rôle d’une jeune lesbienne qui se découvre et subit du harcèlement scolaire. Et vous Ethelle Gonzalez Lardued, vous êtes dans la peau d’une jeune intégriste fanatique prête à tout pour défendre ce qu’elle pense être sa religion. Avez-vous des craintes de jouer des rôles si marqués ?

 Kenza Benbouchta: Je pense que si l’on parle d’Amal, il est important de dire que ce film représente une partie de la communauté et pas son entièreté. Pour pointer quelque chose qui ne va pas, il faut faire une généralité. Mais le message n’est bien évidemment pas que tous les musulmans sont extrêmes. Étant issue d’une famille musulmane, je tenais à préciser ce point, qu’il n’y ait pas d’amalgame. Afin d’ouvrir le débat sur ce sujet, il a fallu accentuer certains traits et montrer ce qui ne fonctionne pas.

Ethelle Gonzalez Lardued : En ce qui me concerne, je n’ai plus peur. Au départ, vu que je n’avais pas accès au scénario du film, j’ai eu très peur. Mais une fois que j’ai pu voir le film en entier, j’étais soulagée. Évidemment, j’espérais que ce serait bien agencé et assez subtil pour que le message soit compris. Le but est d’ouvrir le débat et non pas de fermer des portes en vexant les sensibilités. Après plusieurs visionnages, je me rends compte des subtilités du film. Au final, il s’agit d’une histoire et non pas de la genèse de la radicalisation en Belgique. C’est une histoire personnelle qui ouvre la discussion. J’espère vraiment que ça va permettre d’ouvrir le dialogue et apaiser les esprits.

Tout à propos de: