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50/50 - Ma vie en rose d'Alain Berliner

Publié le 08/04/2021 / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

Formé à l'animation et au graphisme au sein de La Cambre, l'école supérieure d'Art de Bruxelles, Alain Berliner entame ensuite des études de réalisation à l'INSAS. Diplômé, il commence par réaliser des courts métrages, parmi lesquels Rose, qui entame sa collaboration avec Daniel Hanssens, un comédien qu'il fera tourner à deux reprises. En 1997, un petit garçon nommé Ludovic crée l'évènement en criant haut et fort son désir d'être une fille. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, Ma vie en rose obtient l'année suivante le Golden Globe du meilleur film étranger. A la suite de ce succès, Alain Berliner reçoit de nombreux scénarios et en 1999, traverse l'Atlantique pour réaliser D'un rêve à l'autre, un film fantastique avec Demi Moore et Stellan Skarsgard. Après avoir utilisé ses scénarios sur de nombreux téléfilms, la télévision l'appelle ensuite à exercer ses talents de réalisateur. En 1998, il met en scène Le Mur pour Arte, suivi en 2003 de La Maison du Canal, l'adaptation d'un roman de Georges Simenon dans laquelle Isild Le Besco donne la réplique à Jean-Pierre Cassel. Il retrouve ce dernier en 2007 dans J'aurais voulu être un danseur, offrant au comédien l'un de ses derniers rôles, au sein d'une comédie musicale à la française au parfum de Broadway.

50/50 - Ma vie en rose d'Alain Berliner

Philippe Manche : Comment est né Ma vie en rose ?

Alain Berliner : Suite à la rencontre avec Chris Vander Stappen, qui avait écrit le scénario. Une fois lu, j’avais envie de travailler avec elle. Je pensais qu’elle allait réaliser le film et, de mon côté, j’étais très attiré par l’originalité de l’histoire. C’est un sujet qui n’avait jamais été abordé et qui, en même temps, était assez universel et dans lequel je pouvais m’identifier et trouver un écho. Tout le monde, à un moment ou l’autre et spécialement à la période de l’enfance et de l’adolescence, se trouve peut-être différent et confronté à ce genre de chose. Ça m’avait rappelé des souvenirs qui mènent aussi au fait qu’on choisisse, à un moment donné, une expression artistique plutôt qu’une autre. Très honnêtement, j’avais un gros frein. Je me demandais comment expliquer cela à un enfant de 7 ou 8 ans, à ses parents… Vouloir changer de sexe, même si ce n’est pas encore parfait, est aujourd’hui beaucoup mieux intégré par la société qu’à l’époque.

 

P.M. : Le film bénéficie d’une esthétique particulière qui peut rappeler le travail de Pierre et Gilles, pour les séquences oniriques, et même celui des premiers films de Tim Burton, dans la façon de capturer l’environnement du quartier. Revendiquez-vous ces influences ?"

A.B. : C’est vrai qu’Edward aux mains d’argent a eu de l’influence mais, bizarrement, beaucoup plus sur mon court métrage qui s’appelait Rose, que sur Ma vie en rose. Le court racontait l’histoire d’un professeur de chant lyrique amoureux d’une rose dans son jardin. La manière dont Burton utilise ces couleurs, ces maisons identiques, cette banlieue de Pasadena, c’est certain que ça m’a encouragé. J’étais encore un peu dans cette dynamique là pour Ma vie en rose. J’aime beaucoup le travail de Pierre et Gilles mais on ne peut pas parler d’influence directe. Par contre, l’esthétique résulte de ma collaboration avec un coloriste de dessin animé, avec qui j’ai eu toute une réflexion autour des couleurs du film. Soit des couleurs qu’on adore en tant qu’enfant, mais que nous avons ramenées dans des tons qui peuvent correspondre au souvenir qu’un adulte se fait de l’enfance. C’est-à-dire pas aussi flash que cela, un peu plus adoucis.

 

P.M. : Ma vie en rose remporte le Golden Globe du meilleur film étranger en 1988. Comment mesurer l’effet Golden Globe ?

A.B. : Il y a vraiment un avant et un après. C’est sûr que le succès du film à l’international a été quelque chose qui, encore aujourd’hui, à travers mes contacts dans le monde anglo-saxon, perdure dans l’esprit de pas mal de gens, et même chez des plus jeunes. C’est assez étonnant. Je reçois encore des lettres de personnes confrontées à ce genre de situation qui me disent que le film leur a beaucoup appris au niveau de la tolérance, de l’acceptation du regard des autres qui se pose soudain sur vous, etc.

 

P.M. : Il est certain que le propos reste très contemporain…

A.B. : C’est sans doute un peu mieux accepté, cela reste quelque chose d’extrêmement difficile à vivre et à affronter pour la personne.

 

P.M. : Le titre de votre film est-il une déclinaison de la chanson d’Edith Piaf « La vie en rose » ?

A.B. : Non, pas du tout. En fait, le film s’appelait au départ Tic Tac Toe, comme le jeu avec les X et les O. C’était Tic Tac Toe presque partout dans le monde, sauf en France, pays coproducteur majoritaire où il s’appelait Le Morpion… Est ensuite arrivé Ma vie en rose, qui est plutôt une composante par rapport au film où, dans la première moitié, nous sommes dans un point de vue très coloré, celui de l’enfance de Ludovic et, dans sa deuxième partie, il bascule dans une grisaille et un univers beaucoup plus segmenté, avec des longues focales et un découpage plus déstructuré.

 

P.M. : De quel cinéaste vous sentez-vous proche ?

A.B. : Assez naturellement, je citerais le cinéma de Jaco Van Dormael pour son rapport au réalisme magique. Toto Le Héros a été un vrai choc pour moi.

 

Philippe Manche

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