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Rencontre avec Olivier Van Hoofstadt, réalisateur de Lucky

Publié le 26/02/2020 par David Hainaut et Constance Pasquier / Catégorie: Entrevue

"Attendu au tournant ? Je m'en fiche complètement..."

 

Avec 120.000 spectateurs dans les salles belges en 2006 et plus de 160 millions (!) de visionnements accumulés depuis lors - l'avènement des réseaux sociaux étant passé par là -, son célèbre Dikkenek est devenu si culte qu'il lui a valu d'improbables retombées, comme des noms de bars en France, un fan-club au Pakistan ou encore, un hôtel en Thaïlande à l'effigie de Claudy Focan, immortalisé par François Damiens.

 

Quatorze ans plus tard, après un solide polar pour Luc Besson (Go Fast en 2008, avec Olivier Gourmet), plusieurs dizaines de publicité et A/K, un court-métrage en 2016 produit par Dominique Besnehard, présenté au Festival de Cannes déterminant pour son nouveau film Lucky, Olivier Van Hoofstadt est de retour ce 26 février avec une comédie policière emmenée par les Français Florence Foresti, Michael Youn, Alban Ivanov, François Berléand et une (large) galerie de comédiens. Parmi lesquels Yoann Blanc (La Trêve) ainsi que les prometteurs belges Kody Kim et Laura Laune.

 

Rencontre avec un personnage étonnant de 51 ans – "Mon père m'a offert une caméra à 14 ans pour m'empêcher de devenir pilote de F1" -, vivant entre Bruxelles et Paris et qui même dans la promotion de ses films, se livre toujours sans filtre. Morceaux (volontairement) choisis...

Cinergie : Même si Lucky est tout sauf un Dikkenek 2, votre film semble particulièrement attendu. On s'en est aperçu en janvier, lors de son dévoilement au Festival de Comédie de l'Alpe d'Huez et à son avant-première belge originale devant 3000 personnes sur la Grand Place de Bruxelles. Comment vivez-vous ces premiers moments de "promotion" ?
Olivier Van Hoofstadt : Très bien. J'aime bien les gens, donc tout ça ne me dérange pas. Même s'il faisait froid, Philippe Close (NDLR: le bourgmestre de Bruxelles) m'a offert avec la Grand Place un beau cadeau, puisque c'était ouvert à tous. On a aussi organisé beaucoup de visions-tests qui mélangeaient des professionnels et du public, pour voir si les gens comprenaient bien et accrochaient au film. Ce qu'il y a de bien, c'est que les femmes rigolent, ce qui était quand même un but recherché quand on a commencé avec Mourad Dhoir (NDLR: le co-scénariste) sur l'idée d'une flic (Florence Foresti) voulant prendre la place d'un commissaire (François Berléand) qui est corrompu, qui exploite tout ce qui bouge mais qui est gentil...

C. : Ces "visions-tests" vous ont-elles fait effectuer quelques changements ?
O.V.H. : Non, à aucun moment il n'y a eu de problèmes de compréhension, de scènes pas bien jouées ou trop longues. Globalement, 97% des gens appréciaient le film et étaient contents que ça ne soit pas un Dikkenek 2. Parce que cette fois, on suit une histoire qui une fois qu'elle démarre, ne s'arrête jamais. C'est aussi un côté positif que je cherchais.

C. : Vous l'avez répété à peu près partout, l'idée était bien de ne surtout pas de faire la suite de Dikkenek...
O.V.H. : Pas maintenant, en tout cas. Mais j'ai encore tellement de matière inédite de ce film que je pourrais en faire un montage d'une trentaine de minutes. Comme je suis aussi producteur, je ferai ça un jour. Pour m'amuser.

C. : Depuis douze ans, c'est donc surtout la publicité qui vous a occupé ?
O.V.H. : Oui, j'en ai peut-être fait quatre-vingt, je ne sais plus. Cela m'a emmené dans les pays de l'est, en Italie, etc. La pub, c'est bien, car artistiquement, on fait ce qu'on veut, on rencontre des gens qu'on ne connaît pas, on doit parfois gérer 300 figurants à des horaires impossibles en faisant attention que des camions ne s'embourbent pas dans la pluie, etc. On m'utilisait souvent car ce que beaucoup de réalisateurs mettent trois journées à faire, moi je les faisais en une. Donc, j'ai fait gagner beaucoup de pognon. Le truc, c'est qu'il y a là-dedans parfois de l'autocensure, mais tu te consoles avec l'argent gagné, qui te permet de faire des films. Puis, je voulais m'offrir le luxe de prendre quinze mois de congé sans être payé, pour me produire seul au cinéma.

C. : Avant Lucky, il y a encore eu ce court-métrage, A/K, présenté à Cannes en 2016 et qui a fait un joli tour du monde. Mais qui n'a curieusement pas été vu en Belgique...
O.V.H. : C'est dommage, mais ce n'est pas moi qui m'en occupe (sourire). Après Cannes en 2016, le film a même fait deux fois le tour du monde, en étant primé en Italie, à New York, à Los Angeles, en Albanie même (rire). Mais RTL-TVi l'a acheté et va normalement le diffuser bientôt. Il y a tellement de chaînes qui l'ont acheté à l'étranger, dont l'Espagne, France Télévision, etc...

C. : Ce petit film a visiblement été déterminant pour la naissance de Lucky...
O.V.H. : Bin d'abord, j'ai vu que A/K plaisait. Je me suis rendu compte qu'en mettant une bagnole de flic américaine, en ajoutant des montagnes comme dans Twin Peaks et sans qu'il n'y ait une connotation de pays, ça fonctionnait. J'ai alors écrit en quelques jours avec mon co-auteur un autre court-métrage avec deux crétins qui volent le chien d'une brigade de stupéfiants. Mais comme j'avais déjà fait quatre courts, on est finalement parti sur un long. Jean-Paul Rouve et Benoît Poelvoorde l'ont lu et j'ai senti que ça plaisait bien. Mais il fallait encore monter le film et trouver l'argent. Mais les 9 minutes d'A/K ont en fait énormément aidé pour montrer à tout le monde qu'on pouvait y aller avec une histoire moderne. Et on a tourné ce Lucky quasi entièrement en France, excepté deux jours à Bruxelles...

C. : … avec à présent la conscience d'être attendu au tournant ?
O.V.H. : Je m'en fiche complètement. Je voulais juste réussir à faire un truc qui n'est pas un documentaire sur la police ou les gens, mais créer un univers avec des gens qui évoluent dedans. Je pense que les gens jouent bien, que le montage est rythmé, qu'on comprend l'histoire et que les femmes sortent du lot par rapport à ce qu'on voit d'habitude. À une avant-première à Mons, une jeune femme m'a d'ailleurs dit "J'ai détesté Dikkenek mais j'adore Lucky". Ça, ça existe aussi. Quelqu'un m'a aussi dit qu'il manquait les blagues de Dikkenek, mais en effet, c'est pour moi plus une histoire avec un côté touchant, où il n'y a pas forcément de scènes à se rouler par terre.

C. : Votre film offre un premier rôle significatif au cinéma à un comédien pour lequel vous présagez de belles choses : Kody Kim.
O.V.H. : En France, tout le monde le pense. Le film n'était pas encore sorti qu'on me posait déjà beaucoup de questions sur lui. Moi, je ne le connaissais pas. Je l'ai découvert en le voyant faire Jean-Paul Belmondo et Gérard Depardieu dans Le Grand Cactus. Lui, il aura une carrière comme François Damiens, Marion Cotillard (NDLR : que Van Hoofstadt a fait tourner à 19 ans dans Snuff Movie, un court-métrage) ou José Garcia (NDLR : idem, dans Parabellum en 1997). Je ne sais pas s'il aura un Oscar, mais je lui souhaite. Pareil pour Estéban, qui joue dans le film. Ce sont des gens pour qui il n'y a même pas besoin d'essai vidéo. Et c'est pareil pour Laura Laune et Yoann Blanc, qu'on a voulu rendre antipathique pour qu'il soit différent de tout ce qu'il a déjà fait, comme La Trêve.

C. : Vous aviez dit qu'il y avait 80% de vous dans Dikkenek. Et cette fois ?
O.V.H. : Pareil. Les décors, je les ai choisis. Idem pour les costumes que j'ai supervisés, la couleur de l'image, le cadrage, les caméras, etc... Pour le côté esthétique, je voulais quelque chose d'original. Les Français pensent d'ailleurs que ça a été tourné en Belgique, car ça ne correspond pas à leur vision des cités classiques. Mais tant mieux. Ma théorie, c'est de ne pas faire comme les autres faisaient avant, mais d'essayer de faire comme les autres ne font pas encore...

C. : Une France où s'oriente tout de même une partie de votre carrière. Vous pourriez finalement y vivre, non ?
O.V.H. : J'aimerais. En fait, j'aime bosser et vivre ma vie à Watermael-Boitsfort, une commune bruxelloise qui me permet de me balader en forêt, de faire de la luge en hiver, mettre des fleurs dans mon jardin et faire à manger à mes gosses. Mais maintenant qu'il grandissent, le premier endroit où je vais dès que je sors d'ici, c'est Paris. C'est une ville qui grouille de gens partout et qui bossent dans tous les sens, j'aime bien ça. Là-bas, je termine pour le moment la structure d'un nouveau pitch avec une chouette scénariste qui écrit des bouquins chez Gallimard et aussi le prochain film de Jean-Paul Rouve. On s'amuse bien, mais j'aimerais bien terminer d'écrire ce projet-là au soleil (rire). Et puis on le déposera. Je voudrais encore faire une coproduction belge avec la France...

C. : Et dans l'immédiat ?
O.V.H. : Bin, j'espère que les gens vont aimer Lucky. Ça me ferait plaisir que ça leur fasse… plaisir. Les objectifs ? Je suis trop incapable de vous dire ça. Ce n'est pas une comédie classique et puis, c'est tellement différent d'une salle à l'autre et selon les tranches d'âges. Puis, depuis janvier, on dirait qu'il n'y a rien qui marche (rire). Mais et toi, tu y crois ?

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