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Vivian Goffette, les Poings serrés

Publié le 07/02/2024 par Malko Douglas Tolley et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Le réalisateur de Yam Dam (2013) a présenté son dernier long métrage Les Poings serrés au Festival International du Film Francophone 2023 (FIFF). Nominé aux Oscars très jeune à deux reprises, Vivian Goffette révèle l’impact de ces nominations précoces sur sa carrière en tant que cinéaste. Une rencontre qui révèle de nombreuses anecdotes sur la réalisation de ce film ainsi que ses motivations quant au choix des thématiques abordées dans ce film bouleversant et captivant.

Cinergie : Votre premier court-métrage, La Carte postale (1998), a été sélectionné pour les Oscars à Los Angeles. Qu’est-ce que cela implique dans une carrière de se retrouver propulsé dans la Mecque du cinéma dès ses premiers pas en tant que réalisateur ? 

Vivian Goffette: La Carte postale (1998) était mon premier court-métrage après l’école. Pour l’anecdote, mon film de fin d’études est également allé aux Oscars des films d’étudiants. On peut dire que je suis le Poulidor des Oscars vu que je n’y ai jamais rien gagné! 

Cette expérience m’a rendu modeste. On se retrouve au milieu de stars qu’on voit au grand écran depuis qu’on est tout petit. On se retrouve assis à côté de Spielberg. On est sollicité en permanence. Et puis, à partir du moment où l’on dit : “And the winner is...”, et que ce n’est pas vous le gagnant, tout le monde disparaît. Vous rentrez à l’hôtel et il n’y a plus rien. Vous n’existez plus. Et cette expérience m’a fait prendre conscience que c’est chouette un prix ou des récompenses, mais que tout est éphémère. Évidemment, si je l’avais gagné cet Oscar, j’aurais peut-être eu des scénarios hollywoodiens qui m’auraient été présentés.

 

Cinergie : Cette nomination aux Oscars a-t-elle finalement eu un impact positif sur votre carrière ?

Vivian Goffette: Tout s’est passé très vite. On monte doucement si on a une belle étoile, mais tout peut s’écrouler de manière très soudaine. Et je l’ai remarqué à mes dépens par la suite en Belgique. J’ai voulu réaliser un deuxième court-métrage, Le Centre du monde, après La Carte postale (1998). Et mon producteur de l’époque me l’avait fortement déconseillé. Et il avait raison. Forcément je n’ai pas eu un aussi grand succès avec celui-là. Forcément le public et les spécialistes comparaient les deux et il était moins bien. Et ensuite, c’est devenu compliqué pour moi. J’étais monté très haut et ensuite je suis redescendu plus bas. On disait que j’avais eu de la chance et que je n’arriverais pas à confirmer. 

 

Cinergie.be : Pourquoi avoir choisi le titre Les Poings serrés ?

Vivian Goffette : Le titre correspond à la fois au personnage qui est dans une lutte intérieure avec les poings serrés dans ses poches. Il est prêt à se battre. Il est dans la lutte. Et ensuite, on a rencontré de telles difficultés pour faire ce film que je ne pouvais pas lui donner un autre titre. 

Ça a été un combat de tous les instants et pour tout. D’abord pour la production où il fallait trouver de l’argent pour un film qui n’est pas un sujet très porteur. Ce n’est pas une comédie familiale tout public. Ensuite, au moment où j’étais prêt et que le casting était bouclé, il y a eu la pandémie. J’ai dû reporter le tournage d’un an. Vu qu’il s’agissait d’enfants, ils avaient changé. J’ai donc dû refaire des castings. Par chance, j’ai pu garder Yanis Frish, car il n’avait pas trop grandi et il avait gardé son physique d’enfant. Son casting avait eu lieu deux ans auparavant et ça aurait été très compliqué de lui dire que je devais le remplacer. Ça a malheureusement été le cas pour le rôle de la petite fille. C’était très difficile, mais elle avait vraiment beaucoup grandi. Ce n’était plus une enfant, mais une ado. À cet âge-là, ça va très vite. J’ai aussi dû refaire des repérages. J’ai dû refaire les équipes. Et puis, on a tourné l’été le plus catastrophique qu’il soit avec les inondations à Liège, Verviers, Rochefort. Même sur le tournage, nous avons vécu l’enfer à ce niveau-là. Donc oui, ce fut un combat de tous les instants pour réaliser ce film.

 

Cinergie.be : Ces entraves à la réalisation ont-elles également eu au final un effet positif sur le résultat final ?

Vivian Goffette : Je n’ai pas fait le film dont je rêvais à la base, car ce fut compliqué et j’ai dû faire de nombreux compromis. Cependant, au niveau de Yanis Frish et de son caractère, ce temps écoulé a peut-être été bénéfique. Il avait grandi entre-temps et il était peut-être un peu plus timide et contenu que plus jeune. Vu qu’on a tourné deux ans et demi après le casting initial, il avait pas mal changé et il était presque adolescent. Il était moins enclin à montrer ses émotions et plus dans la retenue comme beaucoup d’ados. Et vu que Les Poings serrés racontent l’histoire d’un enfant qui garde tout pour lui et n’ose rien exposer aux adultes, peut-être bien que son jeu a été plus spontané et que le film y a gagné.  

 

Cinergie.be : Les thèmes du film ne sont pas légers. La pédophilie, le syndrome d’aliénation parentale (SAP) et le harcèlement scolaire sont des sujets délicats à traiter. Quelle a été votre motivation à aborder ces thématiques ?  

Vivian Goffette : C’est la question de l’identité. Comment peut-on grandir sous l’autorité d’un père dont on ne peut pas se revendiquer. C’est l’histoire d’un deuil impossible. C’est la négation d’une partie de notre identité. Comment peut-on demander à un enfant de nier une partie de ce qu’il est ?  Au départ, le thème c’est plutôt celui-là. Puis forcément l’histoire et son univers a permis d’aborder d’autres sujets comme le mensonge en lien avec ces thématiques lourdes mentionnées dans votre question.

 

Cinergie.be : Le casting est de qualité avec des personnalités montantes du cinéma belge comme Laurent Capelutto, Lucie Debay ou l’excellent comédien flamand Wim Willaert.  Ce dernier apporte une vraie bouffée d’air et un espoir dans l’humanité dans ce film assez anxiogène. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre les moments de tension et les moments plus légers afin de laisser souffler le spectateur ?

Vivian Goffette : Là, tout à l’heure, on m’a demandé si j’avais encore espoir dans l’humanité ? C’est vrai que l’humanité est effrayante. On ressent une sorte de tension permanente dans nos sociétés, mais si on se referme et qu’on perd espoir, il ne reste plus rien. Tant qu’on va vers l’autre, qu’on essaie de comprendre ce qui est différent ou ce qui nous semble incompréhensible, il reste de l’espoir à mon sens. Nos sociétés connaissent un repli identitaire généralisé. Les extrêmes deviennent la norme. Et à mon sens, ce qu’il faut faire c’est l’inverse si l’on veut sauver l’humanité. Et le personnage de Wim est un personnage spontané et naturel qui n’a pas de préjugés et qui juge les gens pour ce qu’ils sont et pas sur base des “on dit”. Il fait beaucoup de bien au film par l’humanité qu’il possède en lui. Et puis c’est un acteur de qualité et le résultat est vraiment bien.

 

Cinergie.be : Les Poings serrés est un film qui explore en partie l’univers carcéral et notamment les parloirs dans les prisons. Comment avez-vous préparé ces séquences ?

Vivian Goffette: Ce film a demandé un très long travail de documentation. Je suis allé à la rencontre d’enfants de détenus et de pédophiles. J’ai rencontré des détenus et des psychologues de prison. Des gens m’ont accordé leur confiance. On m’a transmis des documents comme un journal intime d’un enfant pendant la détention de son papa. J’ai vécu de l’intérieur ce type de problématiques et ce travail de documentation m’a permis de comprendre comment un enfant traversait une épreuve pareille. 

 

Cinergie.be : Peut-on qualifier votre film de drame social ? De manière surprenante, on note également plusieurs attributs généralement présents dans les thrillers policiers dans votre film ?  

Vivian Goffette: J’aime bien l’expression “suspense intime”. Je ne parlerais pas de drame social car la question du social ne se pose pas vraiment. Je dirais qu’il s’agit d’un film de chambre. Comme la musique de chambre. Ce sont trois ou quatre personnages qui échangent et partagent des émotions afin de nous faire comprendre ce qu’il se passe dans la tête de cet enfant renfermé sur lui-même. Le focus du film n’est pas le choc, mais l’onde de choc qui résulte des agissements de ce père. Je fournis des éléments pour comprendre les horreurs à la base de cette situation. Mais le film se concentre surtout sur le vécu de ces évènements par le gamin.

 

Cinergie.be : Vous proposez un film relativement court, mais très dense et impactant. Pour les férus de cinéma belge, on remarque que plusieurs films belges à succès comme Un monde de Laura Wendel et d’autres prennent de plus en plus le pli d’aller à l’essentiel contrairement à certaines productions internationales qui font systématiquement plus de deux heures. Peut-on parler de marque de fabrique du cinéma belge des années 2020 ? 

Vivian Goffette: J’ai également remarqué cette tendance. Parfois on a des scènes au montage qui sont très chouettes, mais elles déforcent un peu le propos ou elles en disent un peu trop. Je pense qu’il faut aller à l’os dans ce type de sujets. De même, ce n’est pas utile d’apporter des plans esthétiquement beaux mais qui n’ont pas d’impact sur la trame générale. Par rapport au sujet, il fallait être pile poil juste et rester dans le non-dit. Dès qu’une réplique dépasse son intention initiale, il faut la couper et se limiter à l’essentiel pour favoriser les émotions spontanées chez le spectateur.

 

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