Dans un avant-propos qui ne manque pas de pertinence Brigitte Renard indique que « le documentaire est le mal-aimé de l'histoire du cinéma ». Nous ne sommes pas certains que ce le soit encore. Le succès en salle d'Être et avoir de Nicolas Philibert ou d'Arbres de Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil nous prouverait que cela change.
Ces films qui nous regardent - L' Image, le monde
Heureusement d'ailleurs car il y a un type de cinéma documentaire pour consommateurs de reportages de télé -sociologie qui tient davantage du folklore que du cinéma. Heureusement, grâce à la génération des Van Der Keuken, Philibert, Varda, Kramer les typages sociaux ont fait place au désir du cinéaste de s'inscrire dans le monde pour le donner à voir.Ceci étant reconnaissons que la Médiathèque a développé une politique éditoriale (5.000 titres comprenant un fonds documentaire) sur support vidéo ou DVD dans lesquels vous pourrez trouver - miam, miam - aussi bien les admirables Portraits 1 et 2 d'Alain Cavalier, San Clemente de Depardon, l'Homme d'Aran de Robert Flaherty, Voyage en Italie de Rossellini ou Amsterdam global village de Johan Van Der Keuken, etc. Patrick Leboutte, l'auteur de l'ouvrage a raison de souligner que le cinéma est né du documentaire avec L'arrivée du train en gare de La Ciotat de Louis et Auguste Lumière et plus encore de revenir sur au documentaire comme cinéma d'essai, "un concept qui à l'instar de la célèbre "lettre volée" trop apparente pour être aperçue n'a jamais été considéré". On ne peut que lui donner raison. Voilà qui nous permet de voir se côtoyer l'Homme à la caméra de Dziga Vertov à Adieu Philippine de Jacques Rozier. Dressant un panorama des pionniers du documentaire à nos jours, Leboutte isole quelque cinéastes qui ont sa sympathie parmi lesquels Philippe Simon, Alain Resnais et Edmond Bernhard qu'il qualifie de pionnier belge du cinéma d'essai. Choix subjectif donc qui ne renvoie pas à l'ensemble du cinéma documentaire du monde ou de nos contrées.
Patrick Leboutte, Ces films qui nous regardent, Une approche du cinéma documentaire, éd. La Médiathèque de la Communauté française de Belgique.
L'Image, Le Monde, 3
Dans l'éditorial de la revue, Patrick Leboutte dresse une photographie de la situation actuelle du cinéma en salles. "Plus rien ne nous arrive, plus rien ne nous transporte, quand tant de films ne nous aiment pas. Plus rien ne bouge et plus aucune expérience n'est possible quand la seule proposition faite au spectateur est celle d'exercer son droit à l'expertise : reconnaître un auteur à son style". Voilà un discours radical qui exclut la production de fictions créatives, c'est-à-dire la vitalité actuelle du cinéma européen (Moretti, les Dardenne, Stevenin, Desplechin), du cinéma asiatique (E.Yang, Hou Hsiao Hsen, Wong Kair Wai, Kitano, Fruit Chan, le Tsui-Hark de Time and Tide, Im Kwon-Taek, Aspitachong Weerasthakul, etc.),iranien (Kiarostami) ou les frères Coen, Amos Kollek, Lynch, Jarmush parmi les indépendants américains.
Que le cinéma majoritairement diffusé baigne actuellement dans un mainstream où le prêt à penser domine sur le jamais vu, nous ne pouvons le constater chaque semaine. De là à jeter le bébé avec l'eau du bain, il y a de la marge. Marge dans laquelle se faufile une série de films échappant au manque de création qui affecte les 80% de la production mondiale, conçue comme produits à consommer dans l'urgence. En un mot comme en cent il n'y a pas que les sauvages, il existe des civilisés qui sont fréquentables et visibles sans qu'on soit obligé de s'administrer un Prozac après coup. Patrick Leboutte, lui, regarde résolument vers les à côtés du cinéma, vers les films qui se situent en dehors des circuits de production et d'exploitation traditionnels. Ce n'est donc pas pour rien que la thématique de ce numéro est : Images sauvages. D'où le dossier consacré à la peu ordinaire aventure de Lever de drapeau papou filmé par un otage de Philippe Simon, notre collaborateur, dont nous avons abondamment parlé et qui donne matière à réflexion sur l'acte de filmer.
"De l'autre côté du vent" d'Erik Bulot fait un sort au promauteur d'aujourd'hui. Lors de l'élaboration de la politique des auteurs par "Les Cahiers du Cinéma" à la fin des années cinquante c'était la singularité du regard sur le monde qui primait sur le formatage industriel. Bulot constate qu'aujourd'hui nombre de productions échappent au carcan commercial "en se situant à l'intersection des genres : films d'artiste, documentaire poétique, journal filmé, vidéo intime, film-essai. Ceci n'empêchant pas, répétons-le, les films de Scorsese, Belvaux, Akerman ou de Oliveira d'exister comme cinéma de fiction créatif dans le circuit des salles. Certains films ont le pouvoir de nous secouer, de changer notre regard sur le monde. Les auteurs sont sans doute minoritaires mais il existent encore même s'il se trouvent des essais intéressants, par ailleurs, qui travaillent la fiction dans l'esprit des recherches plastiques de l'art contemporain. Signalons une double page de dessins d'enfants effectués suite à la projection d'Arbres de Sophie Bruneau et de Marc-Antoine Roudil. Ce qui nous permet de faire un raccord avec l'excellent article que Frédéric Sabouraud consacre à la place du cinéma à l'école. Les questions qu'il pose nous paraissent fondamentales dans le protocole de la transmission du savoir entre générations qu'est l'école. Sabouraud fait remarquer que les élèves ont souvent vu davantage que les enseignants et que dès lors la transmission ne peut être la même que dans d'autres matières. "Quand l'image fait irruption dans l'école, la complexité du sens qui en émane et l'absence de savoir encore établi (plus pour longtemps malheureusement) offrent une chance à saisir. Celle de se questionner sur la notion du savoir et de l'être. Etre en même temps que savoir et non plus savoir puis être".
L'Image, Le Monde, Images sauvages, n°3, éd. Léo Scheer.