Cinergie.be

Amazing Grace d'André Colinet

Publié le 01/01/1999 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Amazing Grace d'André Colinet a obtenu une mention spéciale ("pour la liberté totale de l'entreprise") à la sixième Biennale Internationale du Film sur l'Art qui s'est déroulée au Centre Georges Pompidou en décembre '98. L'occasion pour nous de parler d'un réalisateur secret qui nous livre un peu, beaucoup, énormément de lui-même.

Amazing Grace d'André Colinet

Au détour d'un plan muet où l'on voit Marcel Piqueray dédicaçant une plaquette de poèmes à l'une de ses lectrices, on découvre les amis de toujours, Boris Lehman (qui, face caméra, prend une photo du réalisateur), Michelle Blondeel (qu'est-devenue la co-réalisatrice de Marcher ou la fin des temps modernes ?), Catherine Montondo, Serge Meurant et Henri Storck, avec qui le réalisateur a, comme beaucoup de cinéastes belges de sa génération, une relation filiale évidente.

C'est un film qui montre l'envers du décor, la difficulté d'être artiste, de tenter de vivre pour et par l'Art, voire même de vivre de son art tout simplement. Françoise André dit un moment face caméra (elle a trois plans-regards d'une grande intensité), interpellant ainsi le spectateur amateur d'art pictural et donc quelque peu voyeur: "Bien qu'on se sente très fort intérieurement quand on est jeune, malgré tout le fait d'être rejeté est très très dur. C'est un isolement, c'est au fond, ne pas être aimé". Et plus loin : "J'ai besoin de chaleur humaine, j'ai besoin d'amis, j'ai besoin de contacts, j'ai besoin de pouvoir échanger mes sentiments, mes joies, mes tristesses avec des êtres, c'est un peu ce que je peins."

Amazing Grace est un carnet de route et aussi un film sur un amour qu'on essaie de fixer sur la pellicule, pour l'éternité, afin de "retrouver les jours heureux" (voix off du réalisateur). Un film où André Colinet expose ses préoccupations artistiques, ses amitiés, son désir amoureux pour Catherine qu'il transfigure (la photographie embaume le temps, le soustrait à sa propre corruption comme aimait à le souligner André Bazin). Plans sur le visage de Catherine, à contre-jour de profil, en très gros plan, elle se tourne pour faire face avec un regard caméra (Colinet filme Catherine avec la même tendresse et la même fascination que Philippe Garrel éprouve pour Mireille Perrier dans Elle a passé tant d'heures sous les sunlights). Ponctués d'un thème musical récurrent, l'Aria "Erbame dich mein Gott" de la Matthaüs Passion de Jean-Sebastien Bach, on voit des plans de Catherine nue de dos, la caméra panote de droite à gauche, la filmant des pieds à la tête comme une caresse ou encore les plans de Catherine enveloppée d'un drap blanc, qui se dénude en se retournant, découvrant son corps en mouvement et fixant du regard la caméra qui la révèle ou encore le couple que Catherine forme avec sa petite fille, (sorte de calque d'elle-même enfant).

Il y a dans Amazing Grace un art de capter le temps qui passe (comme tout les vrais cinéastes Colinet s'intéresse plus au temps qu'aux images), de faire d'un visage le paysage d'une vie, d'un sourire une promesse de bonheur, d'un corps féminin le vertige de la solitude; mais malgré la construction polyphonique des plans qui répondent les uns aux autres, quelques scènes théâtralisées et surjouées (sorte de ponctuation récurrente) cassent le rythme d'un film où l'on est plus du côté de Lester Young que de Charlie Parker. Beaucoup de plans sont peu éclairés parce que Colinet n'essaie pas de nous faire croire que le cinéma est la reproduction imagée de la vie, il filme la vie (ce qui l'intéresse c'est de la saisir - dans ce qu'elle a de plus insaisissable - pas de contrôler des personnages évoluant dans un milieu donné). La plupart des plans sont tournés en son non-synchrone. Qu'importe ! La voix du réalisateur (qui curieusement passe de l'anglais au français au gré de son feeling) ou le thème musical (la voix de Kathleen Ferrier qui ressemble curieusement à celle d'Alfred Deller) nous en apprennent davantage.

Tout à propos de: