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André Delvaux et le cinéma belge mis à l'honneur à l'ULB

Publié le 01/01/2005 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Événement

Organisé dans le cadre de l'exposition CinémaTech/André Delvaux, un colloque-débat d'une journée consacré à André Delvaux et au cinéma belge s'est tenu le 10 décembre 2004 à l'Institut de Sociologie de l'ULB, présidé par A. Nysenholc et organisé par Catherine Delvaux, Aline Duvivier, Didier Devriese, Fabien Gérard.

 André Delvaux

 

La journée a démarré par une série d'interventions sur André Delvaux, précurseur d'un cinéma belge qui paradoxalement jouit d'une reconnaissance publique et critique à l'étranger et d'une indifférence polie en communauté française. Comme depuis L'homme au crâne rasé qui ne fut connu du public belge que parce qu'il avait obtenu le Grand Prix du Festival du Jeune Cinéma à Hyères en 1966. Les films belges, quelques cinquante ans après ne se rentabilisent souvent que grâce à leur diffusion à l'étranger où ils jouissent d'un préjugé favorable que ni Bruxelles ni la Wallonie ne leur accorde. Paresse face à un cinéma américain qui s'octroie près de 80% des recettes, en ce début du troisième millénaire ? Manque de sentiment d'identité des francophones par rapport aux flamands qui soutiennent leur cinéma?

 

Les chiffres parlent d'eux-mêmes, Le Fils des frères Dardenne a fait plus de spectateurs en Flandre qu'en Wallonie ! Confituur est un succès en Flandre pas du côté francophone. Manque de visibilité télévisuelle de la part des chaînes francophones -hormis ladeux/RTBF - qui ne soutiennent pas vraiment leur cinéma à la différence des chaînes flamandes qui invitent dans leur talk-show des comédiens et des réalisateurs ? Peut-être.

 

Ces arguments laissent perplexe Luckas Vander Taelen, réalisateur et directeur du VAF (Vlaams Audiovisueel Fonds) qui comprend mal que la plupart des films belges sortent du côté francophone à la sauvette. Conséquence : ils ont rarement le temps de rencontrer un public qui s'il, ne consulte pas la presse imprimée (laquelle fait son travail d'information contrairement à jadis), ignore le plus souvent la sortie de nos films. D'autant qu'à Bruxelles comme en Wallonie, on manque d'écrans dans une cinématographie ou la rotation des films est de plus en plus grande, boostée par une volonté d'un retour sur investissement rapide qui est devenu le credo de l'économie marchande d'aujourd'hui. Par ailleurs certains distributeurs craignant un échec ne sortent pas de copies sous-titrées dans la région linguistique voisine (tant en Flandre qu'en Wallonie).

 

Luckas Vander Taelen préconise donc d'établir les mêmes passerelles qui existent entre les trois régions, au niveau de la production, mais cette fois également au niveau de la diffusion. Un intervenant ouvre la boîte à Pandore en se demandant s'il ne faut pas travailler davantage en amont. Quelle est la place du septième art dans l'enseignement ? Qui apprend aux jeunes générations à aimer un cinéma différent que les « blockbusters » qui leurs sont proposés ? Quelques passionnés en prennent l'initiative, soutenus par une éducation nationale qui malgré l'apparition du DVD, n'a toujours pas intégré le cinéma dans ses programmes.

 

Une table ronde animée par Louis Danvers a permis aux participants de constater, par la bouche de Fernand Denis (« La Libre Belgique ») qu'en matière de promotion les grands festivals internationaux servaient toujours de rampe de lancement pour notre cinéma. Ce fut le cas pour Toto-le-héros, La Promesse, Rosetta, Ma vie en Rose, Une liaison pornographique). Une reconnaissance qui sert souvent d'alibi pour décider de la promotion des films belges sur notre territoire. Frédéric Fonteyne qui a présenté La Femme de Gilles, son dernier film, dans le circuit scolaire et les Centres culturels de la Communauté française en Wallonie, fit part du décalage qui existait entre des élèves soumis au formatage du tout-à-l'image et de son film. C'était d'ailleurs tout l'intérêt de l'opération : piquer la curiosité des élèves.

 

« A l'étranger, je suis considéré comme Belge, ici je me sentais étranger dans mon propre pays ». Comme si la population des cinéphiles qui, il y a quelque années encore représentaient un segment du public, avaient disparus et avec eux l'esprit de découverte et de curiosité pour la diférence.

 

 

 André Delvaux  

Fabien Gérard, professeur et assistant des cinq derniers films de Bernardo Bertolucci, nous fit part de ses inquiétudes sur le manque de travail sur le cinéma en amont de la scolarité. La plupart de ses étudiants, au début de ses cours, prennent Bertolucci pour une vieille barbe du cinéma. Ne parlons même pas de Citizen Kane. C'est quoi au juste ce machin en noir et blanc ? Haussant le débat de plusieurs crans, Jean-Claude Batz, ne se déclara nullement étonné des réflexions de Fabien Gérard ou de Frédéric Fonteyne.

 

« La submersion du marché européen par les produits de l'industrie audiovisuelle américaine conduit de manière inexorable et cumulative non seulement à l'asphyxie des productions et des cultures nationales des pays européens dans le domaine de la communication et en particulier dans l'audiovisuel mais également au tarissement des échanges intra-communautaires entre pays européens eux-mêmes, voire à l'improgression progressive sur les écrans des salles et sur la télévision d'un modèle unique américain, un processus d'uniformisation dévastateur pour le modèle européen de la diversité culturelle des peuples. Enfin, la saturation progressive sur les écrans des salles et sur la télévision d'un modèle dévastateur pour le modèle européen de la diversité culturelle des peuples. Enfin, la saturation progressive et prolongée des écrans par la parole et les images américaines à une imprégnation en profondeur des consciences individuelles par des valeurs propres à susciter des phénomènes de rupture de mémoire et par-delà de rupture de civilisation. »

 

Intervention saluée comme il se doit par les participants et sur laquelle nous reviendrons dans de prochains dossiers où nous retracerons le parcours d'un analyste du cinéma belge et européen, longtemps chercheur à l'Institut de sociologie, professeur à l'INSAS et producteur d'André Delvaux.

 

A la suite de quoi un intervenant fit remarquer, à la stupeur d'une partie de l'assemblée, que les jeunes réalisateurs s'intéressaient davantage aux séries télévisées américaines qu'au cinéma. Or, s'il y a bien un style qui fait école et est carrément tendance c'est le style asiatique. Hormis ses grands réalisateurs (Hou Hsio Hsen, Wong Kar Wai, Zhang Yimou), le cinéma d'Asie a réussi à transformer - tel Kubrick qui a passé sa vie à s'approprier le cinéma de genre - des genres comme le fantastique, l'horreur ou le thriller et à en faire des films inventifs, créatifs en n'hésitant pas à en bousculer les codes narratifs, privilégiant l'impact sur l'exhibition de l'action. Pour des raisons évidentes de coûts de production. Les cascades et les effets spéciaux coûtent cher. Rien d'étonnant si l'on constate que des réalisateurs belges réalisent des films de genres en détournant les codes de ceux-ci.

 

Que ce soit Calvaire de Fabrice du Welz ou Troubles d'Harry Cleven dont le film louche du coté de Tsukamanto (Gemini) ou Kiyoshi Kurosawa (Cure). On peut dire, sans trop se tromper que le Festival du Film Fantastique de Bruxelles a davantage d'influence sur les jeunes réalisateurs que les séries américaines !

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