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L'Homme au crâne rasé d'André Delvaux

Publié le 30/03/2022 par Fred Arends / Catégorie: Sortie DVD

Pour beaucoup d'historien.ne.s du cinéma, le premier long-métrage d'André Delvaux réalisé en 1966, constitue l'entrée du cinéma belge dans l'ère de la modernité à l'instar de À Bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard qui initiait la Nouvelle Vague française.
Il s'agit également de l'un des premiers films belges marqué du sceau de ce que l'on a qualifié de "Réalisme magique", qualité et identité d'un cinéma qui traverse nombre d'œuvres belges, d'André Delvaux à Jaco Van Dormael en passant par Alain Berliner et certains films de Marion Hansel. Restauré par Cinematek,
L'homme au crâne rasé est aujourd'hui disponible en VOD sur la plateforme Avila.
Redécouverte d'une œuvre-clé et particulièrement étrange d'un cinéaste incontournable de notre cinéma.

 
L'homme au crâne rasé est disponible sur https://avilafilm.be/fr/film/lhomme-au-crane-rase
 

 

L'Homme au crâne rasé d'André Delvaux

Éclairé dans un noir et blanc onctueux et subtilement nuancé du talentueux et fameux directeur de la photographie Ghislain Cloquet (chef opérateur de nombreuses cinéastes essentiels de la modernité dont Bresson, Duras et Demy), L'homme au crâne rasé (De Man die zijn haar kort liep knippen dans sa version originale) retrace le parcours de Godfried Mierevelt (Senne Rouffaer), jeune avocat et professeur dans une école pour filles. Épris de Eufrazia Veerman dite Fran (Beata Tyszkiewicz), l'une de ses élèves, il semble se détacher de sa vie quotidienne, celle d'un mari, père de deux enfants, pour s'amarrer progressivement à une expérience intérieure et intime. Refusant une approche psychologisante de son récit, André Delvaux construit par la force d'un montage finement élaboré l'épopée d'une voix intérieure où la réalité s'emmêle dans les fils d'un imaginaire troublé par le désir et par l'idéal amoureux. La voix en off de Godfried dépeint son embrasement, sa quête alors que son visage est le plus souvent impassible, masque vertueux de l'homme banal. 

Le trajet du désir

 

Scindé en deux parties, le film révèle deux manières du rapport de Godfried à la femme désirée et comment ce désir prend corps dans son regard. La longue séquence de la remise des diplômes qui constitue la première partie de l'œuvre est une démonstration éclatante du trajet d'un désir dévorant. La mise en scène y atteint le grandiose dans ce qu'elle s'attache à rapprocher le regard désirant du corps désiré. L'espace de l'école devient territoire de prédation et de préhension. Alors que Fran chante, ironie évidente, La Ballade de la vraie vie comme spectacle de fin d'année, Godfried, d'abord lointain et situé à l'étage, s'évertue à essayer d'atteindre la femme aimée, à abolir les distances et chercher à se faire voir. Les plans se font de plus en plus rapprochés dans l'espoir d'un contact scopique, pulsion magnétique du regard. Nous sommes dans le 'Male Gaze' absolu, Fran n'est qu'un objet de désir rendu vivant par le regard de l'homme. Par la projection mentale d'un sujet amoureux. Elle représente pour Godfried l'incarnation de la beauté1 même si elle acquiert un statut de sujet, par la parole, dans la seconde partie du film. 

Œuvre étrange aux frontières de l'irréel, L'homme au crâne rasé s'éloigne de l'adaptation littéraire académique et explore les affects d'un homme éparpillé entre réalité et fiction, fantasmes et concrétudes de l'existence. Voyage d'une voix intérieure à re-découvrir avec intérêt.


1 Dans le film, c'est le mot néerlandais vleeswording qui est utilisé pour incarnation, littéralement : le devenir viande.

 
L'homme au crâne rasé est disponible sur https://avilafilm.be/fr/film/lhomme-au-crane-rase
 

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