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Mademoiselle Zallinger de Prunelle Rulens

Publié le 20/11/2017 par / Catégorie: Critique

Seul court-métrage sélectionné en compétition pour le Prix du Film sur l’Art du Brussels Art Film Festival, Mademoiselle Zallinger de Prunelle Rulens brouille les conventions habituelles de captation de la représentation théâtrale. En filmant l’action scénique à travers des coulisses latérales, la cinéaste montre avant tout une actrice en action, et plonge le spectateur dans l’univers mental « étendu » de son personnage.

mademoiselle zallingerLe personnage de la gouvernante (Mademoiselle Zallinger) dans la pièce de théâtre de Thomas Bernhard, Elizabeth II, est un rôle à la fois secondaire et primordial. La comédienne Delphine Bibet interprète ce rôle placide ou fougueux amené ici au premier plan par la caméra de la cinéaste. « Mademoiselle » déambule fugacement autour d’Herrenstein, le vieillard interprété sur scène par Denis Lavant. Dans cet univers clos mis en scène par Aurore Fattier, la caméra enregistre ce qui se passe en coulisse, en dehors de l’illusion scénique. Mademoiselle Zallinger met donc en crise les repères sensitifs qui s’articulent selon les conventions habituelles de captation de la représentation théâtrale (notamment la frontalité) car le sujet est en l'occurence déplacé. Une tension forte entre le rendu de « l’œil » du spectateur du film (ce qui est donc vu à l’écran) et le rendu de « l’œil » du spectateur de la pièce de théâtre (que le spectateur du film ne peut qu’imaginer) naît subrepticement au début du métrage, pour croître au fur et à mesure du temps cinématographique. En effet, le lieu de la prestation scénique est vu partiellement alors que la salle est auditivement tangible, notamment par le biais du bruit d’une foule avant une représentation, par le monologue aigre du Maître en chaise roulante sur scène voire encore par les silences confondus des domestiques qui habitent l’espace. Le travail solitaire et invisible de Mademoiselle Zallinger et de ses comparses invite par ailleurs à se questionner également sur la notion de rapport au pouvoir : la profonde incommunicabilité entre dominés et dominant provoque un profond sentiment de solitude, d'enfermement réciproque. Delphine Bibet, par ailleurs à l'écoute constante de la scène, est filmée au plus près : ses rites, baignés de mélancolie, sont enregistrés dans les coulisses en un jeu de clair-obscur très délicat tandis que les lumières du plateau théâtral inondent parfois son personnage. Un moment très saisissant du film est la captation de cette performance de l’actrice dont les doigts frappent un clavier de piano inexistant, rapport imaginaire à une musique classique intradiégétique.

Le film de Prunelle Rulens offre donc à ses spectateurs un point de vue « élargi » sur le théâtre, mais offre aussi un autre point de vue sur ces comédiens, en tension. Le film est l’occasion de partager une histoire plus intime avec une Mademoiselle Zallinger « propagée » au-delà des artifices de l’illusion scénique fondamentalement décloisonnée. Ce documentaire révèle donc ce processus complexe de la puissance de l’action qui métamorphose le corps et ses mouvements dans le temps, tant au-dedans qu’au dehors d’une scène, et permet au spectateur de ne plus imaginer se restreindre aux limites imposées d’un monde. 


 

Bande annonce du film : https://vimeo.com/237561799

Le film sera présenté à Cinematek (Bruxelles) dans le cadre du BAFF (http://www.baffestival.be) le samedi 18 novembre 2017 à 17H00 et au cinéma Churchill (Liège) dans le cadre des 40 ans de Dérives a.s.b.l. le jeudi 16 novembre 2017 à 20H00.

Un article de Muriel Andrin (ULB) sur l’atelier Dérives dans un article de Cinéma en Atelier : http://cinemaenatelier.be/timeline-event/derives-2/

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