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Masangeles de Beatriz Flores Silva

Publié le 10/09/2009 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

À feu et à sang

En 2001, la réalisatrice uruguayenne Beatriz Flores Silva suivait, sur les trottoirs de Montevideo, la jeune Elisa et son passage du rêve au désenchantement dans En la Puta Vida. Avec Masangeles, la réalisatrice revient sur une autre « putain de vie », celle d’une orpheline précipitée dans une famille et un pays déchiré par la violence.

Masangeles a sept ans et vit seule avec sa mère dans un joli appartement de Montevideo. Son père, elle le voit le plus souvent à la télévision, dans des émissions politiques. Lorsqu’il ne passe pas sur le petit écran, le fameux politicien Aurelio Saavedra vit avec sa nombreuse famille légitime dans une immense bâtisse entre château fort et manoir anglais. Pourtant, après le suicide de sa maîtresse le soir des élections, Aurelio n'a d'autre choix que de conduire l'enfant au milieu des « siens » que, pour la plupart, il ignore ou méprise.

MasangelesLa petite Masangeles au regard innocent va devoir évoluer prudemment entre une grand-mère autoritaire, joliment grossière et décapante, une belle-mère obsessionnelle et neurasthénique, un demi-frère révolté, une tante obèse et grippe-sou, et quelques cousins plus frappés les uns que les autres… Masangeles traîne sa mélancolie au milieu de ces étrangers, se cache, observe, apprend, grandit. Masangeles porte en elle l’amour à tout prix, l’amour pour ce père volage qu’elle compte protéger de tout, l’amour pour ce frère déchiré confondant révolution politique et rébellion contre l’autorité paternelle, l’amour compassion pour tous ceux qui l’entourent, jusqu’aux serviteurs à qui elle sait rendre leur dignité… Une autre façon, en somme, de prendre le pouvoir.

Cette demeure qui, au fil des années (de 1966 à 1973), se transforme, s’agrandit, se délabre, se vide et finit enfin par brûler, n’est que le reflet métaphorique de ce qui se trame au-dehors. En Uruguay, en 1966, les élections sont remportées par les libéraux, le parti appelé Colorado. La situation économique de plus en plus critique provoque des agitations et entraîne la constitution d’une organisation de guérilleros appelés les tupamaros qui souhaitent renverser le gouvernement. C’est au cœur de cette tourmente, de cette escalade de violence entre des dirigeants corrompus, des militaires violents et des guérilleros plus ou moins convaincants que va évoluer notre joli personnage angélique. Car le nom de cette enfant qui va devenir une jeune femme n’est pas un hasard : más (plus) àngeles (anges) semble s’extraire du réel et puiser son existence à un niveau symbolique qui la place à la fois dans et au-delà de l’histoire. Pas étonnant, pour une réalisatrice née en Amérique du Sud et sans doute bercée par le réalisme magique d’une Isabel Allende ou d’un Gabriel Garcia Marquez de penser son film comme la chronique réaliste teinté de merveilleux. S’affichant comme une grande épopée au souffle quasi surnaturel,Masangeles mêle au réalisme de la narration des éléments fantastiques et fabuleux, non pas tant pour les concilier que pour en exagérer l’apparente discordance. Et pourtant, si l’intrusion dans le quotidien de scènes surréalistes, voire burlesques ou parfaitement irréelles fonctionne parfaitement dans la littérature, le danger est grand au cinéma de tomber dans la surenchère un peu plaquée. Le film n’échappe, hélas, pas toujours à ce piège et l’usage excessif d’images poétiques (la belle-mère à moitié échevelée continuant à jouer du piano alors qu’il est en feu, le cousin dévoré longuement par les mygales dans son lit à baldaquin) mettent un peu le spectateur à distance. Mais si la recherche de l’allégorie s’avère parfois laborieuse et étiole un peu le souffle épique recherché, Masangeles décrit parfaitement par le biais du microcosme que représente la famille, toute une société en proie à la folie, d’autant que la distribution est parfaite de bout en bout.

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