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Sans queue ni tête de Jeanne Labrune

Publié le 05/10/2010 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Sans queue ni tête, ou les deux à la fois

Présenté en avant-première au Festival du Film Francophone de Namur, servi par des comédiens fantastiques dont Isabelle Huppert en prostituée et Bouli Lanners en psychanalyste, Sans queue ni tête de Jeanne Labrune, spécialiste des comédies légères et chantantes, absurdes et fantaisistes, est plus grave que prévu. Et moins savoureux. 

Sans queue ni têteJeanne Labrune, petite et plutôt blonde, présentait son film à Namur avec beaucoup d’énergie et d’humour : « Comme je suis à moitié folle, j’ai tout tenté pour me soigner » d’où quelques années de psychanalyse… Lorsqu’un livre tombe par hasard de sa bibliothèque, c’est un livre de Lacan, ouvert sur des pages qui parlent de ces patients devenus analystes à leur tour, un passage que Lacan, non sans humour évidemment, appelle « la passe », faisant référence au travail des prostituées. À partir de là, et parce que Jeanne Labrune construit des films savoureux autour des tours et détours de l’inconscient, du désir et du langage, Sans queue ni tête déploie toute une série de parallèles entre ces deux métiers, la prostitution et la psychanalyse.

La putain, mal nommée Alice, n’est pas au pays des merveilles, et le psy en question, bourgeois et coincé, est malmené dans sa vie amoureuse et professionnelle, et son nom (Xavier Demestre) résonne comme celui de l’auteur du Voyage autour de ma chambre (Xavier de Maistre). Tous deux vont peu à peu subir, chacun de leurs côtés, une série de petites secousses. Lentement, les fissures iront s’élargissant, à la façon des Personnages désespérés de Paula Fox, et les entraîneront à sortir enfin de leur chambre respective, donc.

Sans queue ni têteLe film s’ouvre sur un premier malentendu serti d’un jeu de mots autour d’une pipe où les premiers mots d’Isabelle Huppert, « Et les verres, tu les aimes, les verres ? », sonnent comme le fameux « Et mes jambes, tu les aimes, mes jambes ? » à l’ouverture du Mépris de Godard. Le ton du film est donné, enlevé - et s’établit d’emblée, non dans un rapport amoureux, mais un rapport au monde géré par l’argent. Plein d’humour et de jeux de mots, Sans queue ni tête est porté par la grâce un peu gouailleuse d’Isabelle Huppert et l’élégance pudique de Bouli Lanners, formidable dans ce contre-emploi.Mais ces constants parallèles entre les deux métiers, au lieu de construire le film, lentement l’éprouvent.

Les petites secousses silencieuses qui rident les visages et déchirent l’âme des personnages, les phrases échappées par mégarde et les gestes captés au vol, ont du mal à prendre toute leur intensité dans cette trame narrative construite sur l’alternance. Le film s’en sort mieux quand il abandonne cette sorte de montage alterné qui lui donne la forme d’une suite de scénettes et le lamine. Et de même pour les seconds rôles que Labrune affectionne en général dans le genre du film choral, mais qui sont ou lourdement symboliques ou plutôt transparents ici – exception faite de Didier Bezace, fantastique en patient soudainement affranchi, et sadique. C’est dans cette seconde partie, quand il met ses deux personnages en présence l’un de l’autre, et que cette rencontre les démasque un peu, que Sans queue ni tête prend toute son intensité et sa profondeur. Jusqu’à cette très belle scène où Alice éclate en colère et en sanglot, secourue par la douceur d’un « simple d’esprit ». Et si l’on ne s’accorde pas sur cette vision un peu parisienne et de la psychanalyse et de la prostitution, la fin du film, légère et chantante, le porte, à nouveau, vers une certaine grâce, incarnée par la statuette d’un ange qui se ballade de main en main.

Sortie le 6 octobre

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