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The Grand Scheme de Sabrina Calmels

Publié le 22/02/2013 par Sylvain Gressier / Catégorie: Critique

"Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage / Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage / Polissez-le sans cesse, et le repolissez / Ajoutez quelquefois, et souvent effacez"

Trois artistes peintres venus des États-Unis semblent avoir fait leur credo des vers de Boileau. Si une œuvre ne donne pas satisfaction, il faut la tuer, sans autre forme de procès, ad nauseam.
Pour son premier film, Sabrina Calmels suit cette entité à trois têtes appelée
Goldmine Shithouse lors d’une résidence d’artistes à San Francisco. Installés dans un atelier pour deux semaines, les jeunes peintres au verbe fleuri et à l’humour pince-sans-rire, enchaînent sessions de travail et cocktails alcoolisés peu engageants sur fond de hard rock. La nuit, ils dorment sur des matelas au sol dans un coin de la pièce. Le jour, ils ouvrent la porte aux regards des passants venus, occasionnellement, tailler le bout de gras. Point de vue horizontal sur l’acte de création, The Grand Scheme donne à voir la peinture et questionne le regard.

the grand scheme de sabrina calmelsProcessus de création forçant le respect et l'envie de toute personne fatalement confrontée un jour ou l'autre au blocage artistique, la jeune réalisatrice, issue des rangs de la section son de l'Insas, a, dans un certain sens, repris à son compte la démarche des trois artistes.

Les rejoignant au cours des quatre dernières années lors de leurs résidences à travers plusieurs villes d'Europe et des Etats-Unis, elle trouve finalement, dans leur dernière rencontre, la matière dramatique à l'élaboration de ce documentaire. Les précédents tournages faisant ainsi office de précieux travail préparatoire - tant au niveau de la maîtrise technique que de la sensibilité personnelle -, et l'on s'étonne à la vision de certains plans de la proximité de cette caméra qui résulte en fait d'une relation de confiance établie sur le long terme.

Fruit de rencontres humaines à différents niveaux, le film met en exergue, tantôt de manière implicite par la relation liant ces trois hommes et leur art, tantôt explicitement, à l'image de ces passants et curieux aux questions parfois naïves, les interactions et enjeux que catalyse l'acte de création et de représentation. À l'image de ses protagonistes, peu prolixes quant à leurs travaux, le film ne prétend pas discourir sur l'art. Point ici, comme souvent dans les documentaires liés à la peinture, d'interviews, d'avis d'experts, ou de biographies orientant le spectateur vers une perception (voire une compréhension ?) balisée et autorisée du sujet. Libre à chacun de se faire son opinion sur l'œuvre elle-même, l'objet étant d'avantage ici de mettre en exergue cette volonté créatrice en perpétuel mouvement.

Le film s'arrête ainsi habilement avant le jour du vernissage, éludant ainsi la représentation d'une fin qui n'aurait pas lieu d'être. Il laisse ouvert le cours de la création artistique et de l'aventure humaine. Un manifeste pour l'énergie qui appelle à voir au-delà de l'académisme nécrosant et des méandres introspectifs.

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